Lire cette analyse qui dresse un bilan sans complaisance de Paul Biya à la magistrature suprême :
« RDPC , AN 40 ET RENOUVEAU : AUTOPSIE D’UNE PROMESSE
Ce 24 mars 2025 , le RDPC, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, le parti de Paul Biya, célèbre le 40e anniversaire de son existence . Au pouvoir depuis sa création, le parti du renouveau gère le destin des Camerounais depuis ce temps et pendant cette durée. Alors que les doutes pour que son candidat naturel ne soit pas dans la course pour la présidentielle de cette année au Cameroun s’amincissent, le prétexte est tout trouvé pour marquer un temps d’arrêt et dresser le bilan des promesses du renouveau.
Fonctionnement
Avec plus de 17535 membres dans ses bureaux et 377 sections RDPC, OFRDPC et OJRDPC sur le territoire national (360) et à l’extérieur (17) , le RDPC se positionne comme le parti politique le plus puissant et le plus influent du pays .
Avantagé par son positionnement de parti politique au pouvoir au Cameroun, et par sa majorité obèse dans toutes les institutions électives de la République, le parlement avec 152 députés sur 180 et 94 sénateurs sur 100 , les communes avec 316 mairies contrôlées sur 360, et les conseils régionaux avec 540 sur 600, le parti des flammes règne de façon quasi totalitaire sur le pays.
Et pourtant, malgré cette puissance de façade, le parti peine à organiser un congrès ordinaire ou extraordinaire pour se donner un nouveau souffle en termes de ressources humaines légitimes à divers postes de son appareil, mais également pour compléter un bureau politique dont plus de la moitié des membres est soit décédée, soit incarcérée, soit appelée à d’autres fonctions.
Comme s’il était grippé, le renouveau qui fut alors une belle promesse semble avoir du mal à se réinventer en interne comme machine, et à satisfaire pleinement les aspirations profondes des Camerounais de façon générale.
Rigueur et moralisation
Le nombre de hauts commis de l’Etat militants de ce parti en prison à ce jour, au point de constituer un gouvernement carcéral pour des motifs de détournements de la fortune publique avec à leur tête l’ancien premier ministre Inoni Ephraim, rend compte de l’ampleur mais aussi de l’échelle de l’échec de l’objectif de rigueur. Si le pays a cédé son leadership de pays le plus corrompu à d’autres, le phénomène n’a perdu ni en intensité ni en ampleur, au point où les scandales à propos de succèdent et se multiplient, comme en témoignent le rapport de la Chambre des Comptes sur les fonds COVID-19 ou encore la chronique des procès du Tribunal Criminel Spécial. Mais comment pourrait-il en être autrement lorsque l’application de l’article 66 sur la déclaration des biens reste un serpent de mer 20 ans plus tard ? Ou encore lorsque plutôt que d’instruire des enquêtes au sujet de la fortune insolente de ses collaborateurs, le Président de la République Paul Biya servit l’argument de la nécessité des preuves au peuple qui réclamait la fin de la récréation ?
La corruption rampante, l’impunité, le népotisme, le favoritisme, et le tribalisme d’Etat sont devenus les pieuvres et les cancers qui gangrènent l’ensemble de l’Etat, au point qu’aucun secteur n’en est épargné.
Dans un pays dans lequel l’homosexualité est réprimée par la loi, des progénitures de responsables au plus haut sommet de l’État affichent impunément, de façon ostentatoire et provocatrice leurs délits dans ce sens, narguant ainsi toute une République entière. Ne sommes-nous pas dans la République du « Tu sais qui je suis ? » Ne sommes-nous pas dans la République dans laquelle les valeurs se mesurent au nombre de milliards volés, à la quantité de lois piétinées, au nombre de trafics d’influence réalisés, dans la République de la courtisanerie et de la génuflexion en lieu et place de la méritocratie, de l’égalité des chances et de la justice ?
Démocratie et prospérité
Ces objectifs font bel et bien partie des promesses de l’article 2 des statuts du RDPC. Et pourtant, là où l’interdiction doit être l’exception, elle est devenue la règle. En 2019, l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme indiquait dans son rapport sur les libertés publiques au Cameroun que 85% des manifestations publiques et 65% des réunions publiques sont systématiquement interdites dans le pays de Roger Milla, et que ces interdictions ciblent principalement toutes les initiatives ou actions qui visent à revendiquer un droit ou contester un abus, et que les partis politiques de l’opposition constituent la cible privilégiée de ces décisions d’interdiction. La démocratie à la matraque est devenue la règle là où cela aurait dû l’être pour la liberté d’expression. Les droits et les libertés du peuple sont pris en otage par ceux à qui il a délégué ses pouvoirs, à ses représentants qui, au lieu d’agir conformément à sa volonté, se servent de cette délégation pour l’embastiller et le bâillonner plutôt.
Selon un rapport de la Banque Mondiale sur le Cameroun, 08 millions de personnes seront pauvres en 2026 et vivront avec moins de 813 francs CFA par jour. Selon une étude en 2024 de l’INS du Cameroun, 74% de jeunes âgés de 20 à 35 ans sont au chômage.
Selon un rapport du gouvernement, le Cameroun qui était un pays autosuffisant alimentaire dans le passé a près de 03 millions de sa population menacée d’auto insuffisance alimentaire depuis 2023 .Le pays qui possède pourtant 71 millions d’hectares de terres arables, et des atouts écologiques exceptionnels, dépense plus de 1500 milliards à importer chaque année ce qu’il pourrait produire lui-même en masse et à très court terme. Alors que la pauvreté et la faim gagnent du terrain et terrassent les populations, la BEAC dans un de ses rapports, révèle que les chiffres de l’inflation du Cameroun dépassent la norme admise en zone CEMAC.
Malgré les nombreuses promesses faites et les multiples engagements pris, le quotidien des Camerounais continue d’être caractérisé par les rationnements en électricité, les fameux délestages, ainsi que par la pénurie en eau potable. Point besoin de rappeler le scandale lié à l’état des infrastructures routières dont l’indignation de l’actuel délégué général à la sûreté nationale, Martin Mbarga Nguelé, rejoignit les pleurs des populations. Il aura fallu que les cris d’indignation proviennent du sommet pour que les lignes commencent un peu à se bouger, comme si l’expression du peuple n’avait aucune valeur. Nos deux capitales politique et économique sont devenues le symbole mondial du visage hideux et nauséabond de l’insalubrité, à cause des montagnes d’ordures qui en jonchent toutes les rues. Alors que le ministre de la santé publique prétend que le plateau technique de nos hôpitaux n’a rien à envier à ceux des États-Unis, des cartons servent encore de couveuses à des enfants prématurés en 2025 au point qu’ils en meurent.
L’échec cuisant et lamentable des candidats camerounais au dernier concours CAMES, section médecine, constitue un excellent marqueur et révélateur de la valeur actuelle de notre système éducatif.
Sur les près de 300 entreprises publiques existantes par le passé, plus de la moitié a fermé pour des raisons de mauvaise gestion.
Unité nationale et paix
Les inégalités et les injustices sociales, la mal gouvernance et la mauvaise redistribution de la richesse nationale ont engendré des fronts de contestation armés dans un pays qui avait jadis la réputation d’un havre de paix. Et même si l’intensité des combats semble avoir baissé dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le calme est loin d’être revenu dans ces territoires comme l’illustrent le recent kidnapping d’un sous-préfet finalement libéré et l’interruption d’un match du championnat camerounais de football, mais aussi la poursuite des lockdown et le non retour des milliers de déplacés dans leurs localités diverses.
L’impact du statut spécial octroyé a du mal à être visible de façon concrète.
05 ans plus tard, les 154 milliards du plan de reconstruction peinent à être trouvés pour deux zones dans lesquelles l’Etat perd près de 200 milliards chaque année depuis le début de la guerre. Pourquoi mettre son énergie à trouver 154 milliards qu’on ne parvient pas à mobiliser depuis 05 ans pour reconstruire, et perdre déjà près de 1800 milliards à cause de la guerre, alors qu’il suffit d’octroyer le fédéralisme réclamé pour continuer à enregistrer à nouveau les 200 milliards perdus par an ? Question simple de logique.
Le tribalisme, les replis identitaires et le communautarisme prennent des proportions inquiétantes au grand dam de l’unité nationale, et la montée des discours haineux constitue le carburant d’une ambiance conflictuelle en veilleuse qu’il importe de surveiller à la loupe .
Décentralisation et diplomatie
Seulement 02% des ressources sont transférées chaque année aux collectivités territoriales décentralisées là où 15% règlementaires sont attendues. Cela se passe de tous commentaires.
Avec l’une des meilleures écoles de diplomatie d’Afrique noire, la diplomatie camerounaise semble de plus en plus perdre de sa verve comme l’illustre la récente agression d’un ministre de la République en terre belge sans que le petit doigt n’y soit levé. Alors que de nombreux pays africains frappent du poing sur la table lorsque leurs ressortissants sont malmenés en terre étrangère, le silence de la diplomatie camerounaise est souvent une extraordinaire curiosité.
Si dans le RDPC , on rétorque que tout n’est pas que noir, et que des avancées significatives ont été enregistrées en termes de nombre d’universités, d’établissements scolaires, de formations hospitalières, de kilomètres de routes, de fourniture en eau potable,
une question de fond demeure. Que vaut la quantité sans la qualité ? Sinon, pourquoi scolariser ses enfants à l’étranger, se faire soigner à l’étranger plutôt que chez soi, si la qualité y est ? Quel dirigeant ou responsable américain, européen ou chinois irait confier la prise en charge de sa santé ou de l’éducation de ses enfants à un pays étranger, si le sien possède toutes ces commodités dans la qualité ?
Le RDPC célèbre son 40e anniversaire dans un contexte caractérisé par une concurrence politique forte, une offensive soutenue de ses concurrents dans les métropoles et de vives critiques de sa gouvernance. À quel degré sa solidité résistera -t-elle à l’épreuve de la concurrence, les résultats de l’élection présidentielle de 2025 et des élections municipales et législatives de 2026 nous le diront. Lui qui à l’argument de l’expérience de son champion, les adversaires répondent déjà que l’expérience n’est pas une jauge de la performance et de l’efficacité, auquel cas, le Cameroun serait la première puissance économique mondiale du fait de l’âge et de l’expérience de son président.
Serge Gautier ONANINA ,
Journaliste politique et analytic journalist«