Victime d’un accident de la circulation depuis quelques jours sur l’axe Douala-Nkongsamba dans le littoral du pays, l’écrivain Fotsing Dzodjou continue, depuis son lit d’hôpital de nous faire vivre le sort réservé aux malades Camerounais, surtout lorsque ceux viennent à être démunies. Au cinquième jour, il raconte dans une chronique que vous propose Lebledparle.com, son expérience personnelle, en tant que « condamné à mort ».
Sur le chemin de la résurrection au pays du cimetière.
Les condamnés à mort…
On m’a dit que j’ai perdu connaissance, et je pense que j’ai toutes mes facultés. N’en déplaise à ceux qui pensent le contraire…
Quoi qu’il en soit, la première leçon à retenir pour ce drame est que les pauvres sont condamnées à mourir dans les hôpitaux du Cameroun. Dire le contraire, c’est exprimer sa malhonnêteté.
Mais, il y a ceux qui prennent leur tasse quotidienne de malhonnêteté et qui n’hésiteront pas à la dresser à la moindre occasion. Et ces gens sont connus de vous et moi.
Dans les prochains jours, je retrouverai totalement la forme, et je vous expliquerai pourquoi les victimes des accidents de circulation meurent plus en étant à l’hôpital que durant l’accident…
« Ô monsieur, si tu n’as pas d’argent, attends d’abord… » s’exprime d’un ton autoritaire le responsable des services de santé à qui la hiérarchie aurait intimé l’ordre de renflouer les caisses de l’Etat et qui s’emploie, cœur froid, à refouler tous les pauvres qui entrent à l’hôpital.
À mon arrivé à la radiologie, une femme est décédée devant moi, accidentée elle aussi. Depuis les urgences, elle avait perdu connaissance, et il fallait un membre de sa famille pour prendre les responsabilités, et comme elle n’avait pas dit à sa famille de l’attendre à l’hôpital parce qu’elle allait faire l’accident au retour, elle est morte faute de prise en charge. C’est une simple femme, elle ne représente rien pour le pays. Elle est le visage de vous et de moi qui croupissons dans la misère infâme et qui sommes confiés à la face tranchante des semblants de route qui n’hésite pas à nous envoyer à « l’hopitoir », mouroir par excellence.
NO MONEY NO LIVE
Les condamnés à mort !!!!
Je suis entrain de recevoir les soins de qualité, mais il faut aussi disposer de beaucoup d’argents. Oui, la santé c’est pour les riches dans ce pays. Mais la bourgeoisie n’est pas la chose la mieux partagée au pays. Les pauvres servent de bétail électoral, et doivent mourir faute de 10 000 FCFA. Ils sont nourris au pain et à la sardine, et quand ils s’engraissent, la route et l’hôpital les abattent. Du pur bétail.
Après ma future guérison certaine, les gens diront « gloire à Dieu », « force à Jésus », « gloire à nos ancêtres ». Mais on oubliera une chose, une réalité quotidienne, surtout la plus importante : l’argent. Oui, les ancêtres peuvent nous sauver des accidents, Dieu peut nous sortir d’un accident ; Mais les hôpitaux de ce pays vous tueront une fois dans leurs services. Oui, puisque j’ai vu des gens mourir tout simplement parce qu’ils n’ont pas eu d’argent. Et vous voulez en douter, faites un accident et vous saurez concrètement de quoi je parle.
Ou si votre temps vous le permet, faites un tour dans les urgences pour vous rendre compte par vous même comment se déroule le processus d’abattage de l’homme pauvre. Je pèse mes mots : le processus d’abatage de l’homme pauvre.
Depuis dimanche à 22h, heure où j’ai intégré cette salle dite VIP, je suis mal à l’aise, pourtant moi et ma famille sommes bien installés. Une seule question me revient à chaque seconde, et cela me met face aux millions de camerounais qui doivent mourir ce soir faute de moyens :
« Et s’il n’y avait pas les moyens ? » Cette question est devenue un fantôme qui me hante. Puisque je serais mort aussi, comme ces millions de camerounais qui succombent à leurs blessures une fois arrivés aux urgences des hôpitaux publics.
Je serai déjà mort, avec une tête couverte de sang comme les laves d’un volcan couvrant la vallée. Nous devons nous engager dans le combat, c’est même une nécessité. D’ailleurs, notre vie en dépend.
Celui qui en doute encore, est déjà un cadavre qui s’ignore. Il n’est malheureusement pas le seul cadavre ignorant, mais il condamne ses proches et ses concitoyens qui sont vous et moi. Il refuse d’être celui qui dit non à ces abattoirs dissimulés en hôpitaux.
L’eau potable pour tous ou le champagne pour quelques un ?
Le prophète Thomas SANKARA, en ces termes, demandait à la jeunesse africaine de savoir faire le choix de ses dirigeants. Oui, puisque les Camerounais ne meurent pas seulement de maladie, mais aussi et surtout de souffrance, de la négligence et de pauvreté.
Pour quitter la ville de Nkongsamba dimanche, il fallait trouver 90 000 F cfa pour être transporté par une ambulance, 90 000 f cfa, ou sa ou rien.
C’est comme ça qu’avec le sang et les fractures, nous sommes restés sur place de 11h jusqu’à 16h, puisque qu’il fallait trouver 90 000 F cfa, ajouté à cela l’argent des radios, etc. Et si on n’avait pas pu trouver cet argent ? Vous seriez entrain de commenter sur mon mur vos sermons bibliques et invoquer nos ancêtres pour qu’ils nous accueillent dans l’au-delà. Alors même qu’il suffit désormais de se lever comme un seul homme et d’honorer la mémoire de nos ancêtres en disant non à cela.
Mais, l’indifférence du Camerounais est une épine dans sa chaussure qui ne lui fait même plus mal à force de supporter la douleur.
90 000 FCFA, presque 3 mois de salaire (SMIC) au Cameroun.
Je venais d’apprendre que les ambulances dans les hôpitaux publics sont des voitures à louer, qui d’ailleurs coûtent cher que les bus VIP de nos agences de voyages. Les pauvres camerounais seront toujours transportés sur les motos, même étant dans le coma.
Combien de camerounais peuvent débourser 90 000 F cfa pour s’offrir le luxe de l’ambulance ?
Vous avez dit grands hôpitaux ? Sauf que les ministres et directeurs n’iront jamais s’y faire soigner. Oui des mouroirs, avec un personnel frustré ou désarmé de toute morale et qui ne regarde que son gain… Mais que faire ? Leur salaire ne représente rien. Ils sont parfois obligés de s’abaisser à de salles besognes parce que la vie n’est pas facile pour eux-mêmes. Bref, le pays est malade, l’éthique en médecine est aux abonnés absents.
Combien de camerounais voyagent avec l’argent de la radio et des plâtres dans leurs poches ? Et si tu n’as pas, mon frère tu dois mourir et laisser les gens tranquilles.
D’ailleurs, près de moi à Nkongsamba, un enfant de 3 ans souffrait faute de soins, faute d’argent de pansement après chirurgie suite à un abcès interne. Le Camarade Colins TSAMO, le premier combattant arrivé sur les lieux, m’a fait part de la situation du BB, et son papa coulait les larmes, assis au chevet de son fils. Étant moi même en détresse, j’ai pu trouver 5000 FCFA que j’ai remis au papa pour les soins de son fils. Mettez-vous à la place de ce papa, avant de soutenir ce régime.
Si jamais vous trouvez dans votre esprit une toute petite explication pour relativiser cette situation, vous êtes à l’image du régime qui nous envoie à l’abattoir. Et d’ailleurs, la mort n’est pas tribaliste pour ceux qui verront ici une tentative d’indexer une tribu.
Demander à un accidenté en perte de connaissance, de trouver 500 000 f cfa, c’est une épreuve difficile, un peu comme demander à Paul Biya de compter les résultats des élections bureau par bureau. Epreuve difficile, laissez moi en rire un peu.
Quand nous luttons pour le changement dans ce pays, certaines ne comprennent pas, ou ne regardent que leur ventre. Mais je suis sûr que 80% de ceux qui défendent ce régime mourront s’ils étaient à notre place. Oui, puisque la corruption, la mauvaise gouvernance, l’inertie, la médiocrité et la filouterie ne connaissent ni RDPC ni SDF encore moins le MRC.
N’accusons pas les infirmières pour tout, c’est le système que nous devons combattre. Les pauvres ne peuvent pas recevoir les soins dans notre pays.
Accident de circulation, 8 morts sur place, 62 blessés et 40 succombent à l’hôpital, et vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi ? Oui, parce qu’ils n’ont pas d’argent pour recevoir les soins.
Allez manger la sardine, porter les T-shirts, chanter au meeting pour recevoir 2000 f cfa, mais sachez que vous mourez le jour où votre maladie dépassera votre porte monnaie.
Aux urgences, on ne demande pas la carte du parti ni l’ethnie d’origine, mais plutôt l’argent…
Ce n’est qu’un début de ce que je vais vous raconter…
Je poursuis juste mes soins ici, merci à vous, j’ai toujours besoin de vous, vous êtes notre réconfort. Dites aux autres que ça va, que je me suis réveillé et que les spécialistes rassurent.
Un autre front de combat va s’ouvrir, cette fois après de tristes expériences…
Je vous reviens, dès que possible…
Merci pour votre mobilisation, merci à ceux qui continuent de se mobiliser.
Même après les soins, il faut un mois de convalescence, ce qui est pénible pour un homme de terrain. Mais…
Vous ces milliers de personnes qui m’ont appelé en vain, je suis dans la possibilité de prendre vos appels maintenant, même si je ne dois pas causer pour longtemps.
Merci infiniment,
Fotsing Nzodjou.
Un condamné à mort qui veut sauver sa peau.