Dans une tribune libre, Alain Christian Djoko, juriste fait une lecture juridique sur « le procès politique du MRC ». Le philosophe analyse les conséquences de l’arrestation de Maurice Kamto et les autres leaders du MRC. LeBledParle.com, vous propose de lire cette chronique.
Le procès politique du MRC
On sait d’expérience que la nuit est souvent le théâtre de toutes sortes de crimes, d’impairs ou de forfaitures. Conscient de l’insanité de son acte, le braqueur opère dans la nuit pour ne pas être vu, entendu ou démasqué. Car il n’a pas seulement peur d’être arrêté, il a surtout honte de ses actes. Comme le braqueur, le régime a décidé dans la nuit du 12 février, en violation de toutes les règles et procédures pénales d’inculper le leadership du MRC et de le placer en détention provisoire en attente de son procès.
Il sera jugé dit-on pour rébellion, insurrection, hostilité contre la patrie, outrage contre le président et j’en passe. La liste est longue et cela n’a rien de surprenant. Il va sans dire que pour un régime malfaisant, trouver les motifs d’incrimination est ce qu’il y a de plus aisé. Il mobilisera toutes sortes arguties ou d’infractions élastiques, imprécises, frappe-tout, fourre-tout et attrape-tout pour arriver à ses fins. Parlant des fins, il faut dire que l’arrestation du leadership du MRC participe d’un quadruple objectif.
Le sens politique d’une procédure judiciaire
- Le premier objectif est de contrecarrer le Plan de résistance qu’avait annoncé Maurice Kamto à l’aube de l’année 2019.
- Le second objectif est d’intimider tous ceux et celles qui envisageraient de protester contre la mal gouvernance, le hold-up électoral, la corruption généralisée et la guerre au NOSO. Pour un régime qui ne vit que pour sa survie, le pouvoir judiciaire n’est qu’un instrument chargé d’humilier et de mater tout ce qui est susceptible de le faire vaciller. C’est aussi une guerre psychologique que livre ce régime contre le peuple. Il faut frapper fort pour inspirer la crainte, instiguer le doute et dissuader les opposants les plus téméraires.
- En analysant le bilan de ce régime quadragénaire, il est difficile de ne pas avoir de mépris politique couplé à la haine viscérale envers les personnes qui le composent. Dans ce contexte, il peut s’avérer tentant de délaisser les sentiers de la légalité. En fait, le troisième objectif de cette arrestation est d’inciter les partisans de Kamto à la faute (insurrection armée, tribalisme, etc.) pour in fine justifier une répression sanglante.
- Il n’est pas incongru enfin de penser que l’arrestation du leadership du MRC vise par ricochet à le maintenir hors du « champ politique » le temps pour le régime de se fabriquer ou de se tailler une opposition à sa guise. Autrement dit, il n’est pas exclu que la stratégie des nervis et « tchinda » du régime consiste à choisir leurs adversaires, ceux qu’ils considèrent comme les moins dérangeants ou les plus dociles. Ce faisant, ils espèrent conserver les rênes du pouvoir tout en se faisant passer pour des démocrates. Comme le rituel usurpé de l’élection à des fins de respectabilité démocratique, le plus important pour eux est d’avoir une opposition afin de donner à penser urbi et orbi qu’on est en présence d’un État démocratique. Qu’importe si cette opposition est en toc ou en pacotille, l’essentiel est qu’elle soit docile et sous tutelle. Quand les sbires d’un régime désignent assez joyeusement ce qui pour eux tient lieu d’opposition, il y a indubitablement anguille sous roche. Quand en tant que membre de l’opposition vous ne faites pas peur à votre adversaire ou concurrent politique, en l’occurrence le parti au pouvoir, alors soit vous manger à sa table, soit vous en êtes une émanation, soit encore vous souffrez un nanisme politique.
Tout bien considéré, les objectifs susmentionnés participent d’une ambition plus grande : la conservation du pouvoir même après le départ de Biya. La férocité de ce régime est proportionnelle à cette volonté de se pérenniser au-delà même de son fondateur. Des successeurs putatifs aux braqueurs de la fortune publique en passant par les intellectuels faussaires, les criminels ambulants, les plagiaires incompétents et le clan familial, tous redoutent une fin de « carrière » abrupte. En réalité, ces apparatchiks verdâtres d’un régime autoritaire et déliquescent savent qu’ils ont perdu la bataille. Et comme tous ceux qui savent qu’ils ont tout à perdre, ils vendent chèrement leur peau. Ils usent de toutes sortes de stratégies y compris la tactique de la terre brûlée : le tribalisme. Pour ces sans-cœurs, la fin justifie tous les moyens.
Les enjeux et défis d’une résistance politique
Au demeurant, la procédure judiciaire en cours contre Kamto et les militants du MRC relève purement et simplement d’un règlement de comptes politique. Le dossier juridique est vide. Il s’agit d’une arrestation politique. De fait, leur libération ne s’obtiendra qu’à la suite d’une lutte éminemment politique. La bataille va être longue, mais la bonne nouvelle pour notre pays c’est qu’il n’y a qu’une seule issue à ce combat : la victoire. D’ici là, nous devons faire preuve d’imagination politique, d’endurance civique et de résilience éthique. Certes, devant le péril qui menace les dernières assises de « l’unité » de notre pays, c’est une voie que certains qualifient de naïve. Mais il est fort judicieux de rappeler ici ce que Maurice Kamto disait : « la vraie bataille c’est dans la tête ». Cette métaphore était aussi une façon de mettre en garde les camerounais(es) contre les stratégies des pompiers-pyromanes du régime et des suprémacistes ethniques qui de tous les bords, essayent d’allumer un brasier humain mâtiné de haine et de chauvinisme tribaux.
Maurice Kamto, Penda Ekoka, Kingue, Albert Dzongang ont réussi leur vie personnelle. Ils auraient pu se contenter de quelques strapontins ministériels et jouir d’une retraite bien méritée. Ils auraient pu se contenter de quelques bouchées, honneurs et champagnes prévus par la réglementation et la corruption politique en vigueur. « Politic na jangui » disait Achidi Achu. Mais ils ont refusé de céder aux sirènes de ces mondanités. Ils ont surtout renoncé à l’apathie, au conformisme ambiant, au lamento quotidien de nos indignations purement numériques. Non pour eux, mais pour nous, ils ont décidé de se lever pour essayer de crayonner un autre Cameroun. Celui où il y a l’eau pour tous et non le Ruinart pour quelques-uns.
Oser se tenir ainsi devant un régime si autoritaire, c’est déjà arracher à la résignation sociale et au défaitisme politique, sa certitude. Une telle posture nous rend attentifs à l’idée que la noblesse de la politique est de ne pouvoir se taire devant les injustices. La politique authentique est portée par quelque chose qui la dépasse. Elle n’est que le tamtam des malades agonisant à la maison faute d’argent ; le violon d’une jeunesse jadis fer de lance de la nation, mais aujourd’hui sacrifice d’une gérontocratie bouchée à l’émeri ; le phare braqué sur les blessures des « Bensikineurs » et l’écho d’une veuve et d’un orphelin victimes d’une justice aux ordres du plus offrant. Bref, je suis simplement en train de dire que la vraie politique met son honneur dans la fidélité à ce qui se donne à voir et à vivre comme injustices, à ce qui est aspiration au bien-être des camerounais, c’est-à-dire les conditions (suffisance énergétique, sécurité, justice sociale, opportunités, libertés civiles et politiques, droits sociaux et économiques, etc.) à partir de quoi s’élèvent la fierté, l’unité et le patriotisme d’une nation.
C’est en cela que je salue le courage et le leadership du MRC. Pas besoin d’en être militant, cela tombe sous le sens. C’est en ayant cela aussi à l’esprit qu’il est opportun de nous lever pour le Cameroun, sa dignité, son histoire et son avenir. Ce qui m’effraie ce n’est pas tant la méchanceté de l’oppresseur que le silence des gens bons, tonnait Martin Luther King, Jr. Si tu es neutre devant l’injustice qui sévit au Cameroun, c’est que tu as choisi le parti du bourreau. Et à ceux et celles à qui viendrait l’idée de se féliciter de ce qui arrive aux filles et fils du Cameroun, gardez à l’esprit que la violence et l’injustice que vous saluez et célébrez aujourd’hui sont celles qui s’abattront demain sur vous dans la plus grande indifférence. Car au soir de tous ces égarements mortifères, nous redeviendrons tous ce que nous avons toujours été, nous souviendrons de ce que nous avons parfois oublié, serons ce que nous avons comme seule identité : nous sommes les maillons d’une seule et unique chaîne.