Le groupe 100 % camerounais, qui a dans son portefeuille la Société camerounaise des moulins du Centre, Nosuca, Maïscam, la Société camerounaise de transformation de céréales, entre autres entreprises, fait face à des dettes cumulées de plus de 15 milliards Fcfa, et est en passe d’être mis en liquidation par la justice.
Propriétaire de la Société camerounaise des moulins du centre (Scmc) et la Société camerounaise de transformation de céréales (Sctc) dans le secteur de la meunerie, de la Maïserie du Cameroun (Maïscam) qui produit du gritz à base de maïs destiné à la fabrication de la bière, des Nouvelles sucrières du Cameroun (Nosuca), une agglomerie qui transforme du sucre brut importé, de la Cameroon Salt Company (CSC) qui produit du sel de cuisine, de la Cameroon Packing Company (CPC), qui opère dans le domaine de la sacherie, El Hadj Mohamadou Ousmanou Abbo, a pendant plusieurs décennies fait la fierté du Cameroun avec son groupe 100% camerounais. Mais, le plus grand éleveur du Cameroun a entamé depuis quelques années une longue traversée du désert. Dans une enquête publiée il y a un mois, Jeune Afrique révèle que le groupe est miné par le manque d’investissements et une bataille de succession déjà bien entamée.
Aujourd’hui, « la plupart de ses usines sont à l’arrêt. D’après des documents du Tribunal de grande instance de Wouri [à Douala, Ndlr] d’août 2018 que nous avons pu consulter, les entreprises Scmc, CPC et CSC sont sous le coup d’une procédure de sauvegarde (avec nomination d’un liquidateur, évaluation des plans de redressement envisagés, plans de remboursement auprès des créanciers », écrit le journal. Qui poursuit en indiquant que SCMC est endettée à hauteur de 11 milliards Fcfa, notamment envers des banques pour près de 8 milliards – dont Société générale – et envers ses fournisseurs (particulièrement les négociants en blé européens Cerealis et Ifaco Grain) pour 2,8 milliards Fcfa. CPC et CSC sont respectivement endettées à hauteur de 1,9 milliard et 2,3 milliards Fcfa, toutes deux en majeure partie vis-à-vis d’Afriland First Bank (respectivement 880 millions et 1,9 milliard Fcfa). Enfin, d’après les informations de Jeune Afrique, les unités de SCTC et de Nosuca sont à l’arrêt. « Seul Maïscam, qui jouit du monopole de la production de gritz (transformation du maïs destinée à la fabrication de la bière) et d’un contrat de fourniture auprès du géant de la bière Castel (Brasseries du Cameroun), est en activité », souligne-t-il.
Pour le journal, l’exemple le plus éloquent de l’effondrement de l’empire Abbo est sans nul doute celui des minoteries SCMC et SCTC. De 2007 à 2013, ces entreprises, qui comprennent un moulin à Douala, un à Yaoundé et un autre à Foumbot (Ouest), vivent une sorte d’âge d’or multipliant par trois leurs ventes de farine annuelles (de 20 000 à 63 000 tonnes) comme leur chiffre d’affaires (de 6,5 à 21 milliards Fcfa). « Des indicateurs qui stagnent ensuite de 2013 à 2015, puis s’écroulent brutalement à partir de 2016. En cause, notamment, la concurrence féroce qui sévit au pays depuis l’arrivée en 2011 du singapourien Olam, lequel a mené une véritable guerre des prix. Entre 2013 et 2016, le prix du sac de farine au Cameroun a ainsi diminué de plus de 20 %. La plupart des minotiers déjà présents, dont Somdiaa et La Pasta, ont réagi à cette offensive en investissant massivement dans leurs capacités de production… mais pas le groupe Abbo », analyse l’hebdomadaire basé à Paris.
Avançant en âge, note JA, le patriarche s’est peu à peu éloigné de la direction opérationnelle de ses sociétés, tentant de les confier à ses enfants, en particulier à partir de 2005, à la fin du long partenariat qu’il avait noué avec Somdiaa dans le sucre et dans la meunerie. « De 2008 à 2015, comme pour d’autres entités du groupe, Abbo décide de confier la gestion de SCMC et de SCTC à CCDI Group (aujourd’hui en liquidation amiable mais ressuscité sous le nom de 55 Africa Capital). Une dévolution judicieuse. Sous sa coupe, les moulins vont revoir leurs gammes, innover dans la farine à beignet, s’allier à Soacam – société de distribution de Nana Bouba – et lancer une campagne de communication axée sur la qualité. Leur puissance de feu est alors énorme. Avec Soacam, ils bénéficient d’un réseau de distribution exceptionnel qui couvre toutes les grandes villes du pays comme les marchés les plus reculés », confie un bon connaisseur du marché de la meunerie au Cameroun cité par le journal.
Dans la foulée, en 2010, une ligne de production est transférée de Yaoundé à Douala pour réaliser des économies sur le transport. « La stratégie est gagnante, et le beignet devient rapidement le premier produit issu de la transformation de la farine au Cameroun, devant le pain et les pâtes. Mais, à partir de 2012, CCDI va commencer à demander à Abbo de mettre la main à la poche pour développer les capacités de production des moulins et des usines de sel et renouveler le matériel industriel de CPC, jugés inadaptés. Fin de non-recevoir. D’après plusieurs sources, Abbo a en fait l’intention de vendre. Plusieurs groupes sont d’ailleurs intéressés, dont Olam, Afisa et le gérant, CCDI. Mais aucun n’en offrira le prix demandé, autour de 80 millions d’euros [soit environ 52,5 milliards Fcfa, Ndlr], jugé trop élevé.
Castel, via sa filiale Somdiaa, propriétaire de la Société sucrière du Cameroun (Sosucam), est lui fortement intéressé par le rachat de Maïscam, pour laquelle il est prêt à offrir plus de 10 millions d’euros, soit un peu plus de 6,5 milliards Fcfa. « Mais, là encore, estime Jeune Afrique, Abbo est trop gourmand… Fatigué par son intransigeance, CCDI va finalement jeter l’éponge à l’été 2015. Pour renouveler le management, le patriarche nomme alors à des postes clés certains de ses enfants, notamment ceux de sa quatrième épouse, parfois au détriment de ceux issus des mariages précédents ; Rachid, jeune contrôleur des impôts, et Farida, qui revient au Cameroun en 2016 après sept années passées au Canada à travailler pour la banque locale CIBC ».
L’enquête pointe une mauvaise gestion, des investissements trop faibles, ou les deux, et relève que tous les comptes des entreprises du groupe plongent. A l’en croire, les pertes s’accumulent, les impayés auprès des fournisseurs se multiplient, et El Hadji Abbo refuse invariablement de renflouer le groupe sur ses deniers personnels. « C’est là que démarre, en 2017, « l’affaire de la cargaison de blé disparue ». M. Abbo va accuser du vol de plus de 15 000 tonnes de blé l’ancien représentant du groupe CCDI qui gérait cinq de ses sept entreprises, un Français du nom de Bernard Lafontan, ancien collaborateur de Somdiaa. Après neuf mois d’investigations, l’enquête diligentée par la police judiciaire camerounaise, sur instruction de la présidence, et confiée à la Division des affaires économiques et financières, est abandonnée. En revanche, par l’intermédiaire de Credendo, l’assureur-crédit belge, ses fournisseurs, Cerealis et Ifaco Grain, vont engager des procédures contre Abbo en France, où ses biens sont saisis, notamment ses appartements neuilléens [Neuilly sur Seine, Ndlr] ». Pour un observateur averti cité par JA, « aujourd’hui, Maïscam est la seule entreprise du groupe qui se porte à peu près bien, car elle est en position de monopole. Nosuca, CSC et CPC peuvent encore être relancés, mais pour les minoteries SCMC et SCTC, cela paraît compromis vu l’avance prise par la concurrence. De toute façon, Abbo semble se complaire dans ce statu quo. La question est désormais de savoir ce qui lui survivra… »
Persévérant, le groupe, dont les deux moulins de Ngaoundéré et Douala sont loués à Sali Moussa, un autre grand commerçant du Nord, a profité des déboires du groupe Abbo pour prendre en location-gérance les moulins de SCMC et de SCTC, dans l’idée de les relancer, indique Jeune Afrique.