Après la sortie de Lejeune Mbella Mbella, ministre des Relations extérieures mardi 28 mai 2019, s’adressant à l’ensemble du Corps diplomatique accrédité au Cameroun, en présence du ministre de la Communication, M. Emmanuel René Sadi pour donner son point de vue sur la situation sociopolitique du pays, la question de la communication gouvernementale au Cameroun continue d’alimenter les débats.
Le professeur Owona Nguini, politologue et enseignant des sciences politiques dans une interview accordée au quotidien bilingue national, apporte des éclaircies sur cette sortie diplomatique.
Lebledparle.com vous propose cette interview réalisée par notre confrère de Cameroon Tribune, Jean Francis BELIBI
Le ministre des Relations extérieures était face au corps diplomatique mardi dernier pour faire le point de la situation sociopolitique dans notre pays. Qu’est-ce qui peut expliquer cette stratégie dans la communication gouvernementale ?
Il s’agissait de transmettre à ces chefs de missions diplomatiques la position que le Cameroun a sur sa situation sociopolitique intérieure. Dans la communication du ministre des Relations extérieures, ce qui ressort, c’est que le pays doit faire valoir sa souveraineté et il le fait en demandant à ses partenaires de respecter le principe de non-ingérence dans ses affaires intérieures. Mais le ministre des Relations extérieures dit aussi que le pays reste disposé à discuter avec ses partenaires d’un certain nombre de choses qui concernent l’évolution de sa situation politique intérieure, afin qu’ils aient une meilleure connaissance de ce qui passe, aussi bien pour ce que certains appellent la crise postélectorale créée par la contestation du processus électoral par le MRC et ses associés, que pour la situation de crise créée par la dérive armée du mouvement social anglophone qui a fait que ce mouvement se transforme en insurrection armée. Le gouvernement répète qu’il est important que toutes ces situations soient résolues de l’intérieur, dans le cadre des institutions, des lois et règlements en vigueur. Que le Cameroun a les moyens de les résoudre à partir d’une perspective Cameroun camerounaises. Il ne souhaite pas que cela soit internationalisé. C’est ça le sens profond de ce que le ministre des Relations extérieures dit.
Il a également souligné que le gouvernement reste disposé à accepter l’accompagnement de ses partenaires tout en réfutant toute immixtion dans les affaires intérieures du Cameroun. N’y a-t-il pas contradiction à votre avis comme semble vouloir le faire croire une certaine opinion ?
Il n’y a pas contradiction. Le partenariat ne peut s’exercer qu’avec la volonté des autorités de la République du Cameroun. Cela veut dire que ce ne sont pas ces partenaires qui s’invitent directement sur tel ou tel sujet concernant les affaires du Cameroun. C’est lui qui peut leur proposer de prendre en compte leur avis dans la gestion d’un problème. L’info claire et nette. Si le Cameroun invite tel ou tel pays sur un problème quelconque, par exemple la situation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, pour lui demander sa position sur cette affaire, et ce qu’il suggère comme démarche à mener pour sa résolution, il n’y a pas d’ingérence. Par contre, si le Cameroun n’a pas fait la démarche, et que les partenaires s’invitent dans l’analyse de la situation, sans la moindre prudence diplomatique, le gouvernement du Cameroun considère que c’est de l’ingérence. Donc il n’y a pas contradiction entre le fait de dire : ne vous immiscez pas dans les affaires du Cameroun, mais accompagnez-nous, parce que c’est nous qui le demandons. Quand nous demandons l’accompagnement, c’est que nous considérons que ce n’est pas de l’ingérence. L’ingérence est de fait quand nous n’avons pas demandé une intervention d’un partenaire et il s’invite de lui — même, pousse son intervention à un point qui peut incommoder la République du Cameroun.
Quelle forme peut prendre cet accompagnement à votre avis ?
L’accompagnement prend essentiellement la forme de conseils. Il peut éventuellement prendre la forme d’appuis, matériels, techniques et même financiers. Mais en fonction des sollicitations du Cameroun. Parce que si l’intervention se fait en dehors de ce cadre, cela correspond à une immixtion dans les affaires intérieures.
L’ingérence peut-elle également se faire à partir des pays d’où sont par exemple collectés des fonds pour alimenter la contestation à l’intérieur du Cameroun ?
C’est le cas d’un pays qui a une position activiste qui montre qu’il a effectivement une volonté d’intervenir dans la gestion de la crise, et de le faire selon des modalités qui ne sont pas souhaitées par le gouvernement du Cameroun. On est là dans une posture d’ingérence parce que les initiatives prises par ce pays aux Nations unies, même si elles se tiennent encore dans certaines procédures, traduisent la volonté de faire pression pour qu’il y ait une internationalisation de la gestion de cette crise. Et les déclarations de certains hauts fonctionnaires de ce pays montrent bel et bien cet esprit. Là, il y a clairement une volonté d’ingérence. Et il y a même de la mauvaise foi et nous ne sommes plus sur le terrain de l’analyse de la diplomatie, mais du rapport entre la diplomatie et la stratégie. Puisque ce pays est bien placé pour savoir qu’un certain nombre d’acteurs qui ont alimenté la dérive armée de la crise sont résidents sur son territoire et qu’ils y mènent des initiatives aussi bien idéologiques que financières pour soutenir le mouvement armé. Donc ce pays ne peut pas à la fois demander aux autorités camerounaises d’entreprendre le dialogue, sans que lui-même prenne des mesures pour canaliser sur son territoire, l’action de ces acteurs qui alimentent le conflit au Cameroun. C’est du double-jeu. Si le gouvernement de ce pays soutient le dialogue et propose au Cameroun d’aller dans ce sens, qu’il commence déjà par canaliser, voire neutraliser ceux qui agissent sur son territoire dans des actions qui ne vont pas dans le sens du dialogue.
Dans sa réaction, le doyen du corps diplomatique a appelé à la dénonciation de ceux qui s’immiscent dans ce qu’il a appelé une affaire camerouno-camerounaise.
La position de la communauté diplomatique doit être considérée de façon nuancée. Certes, il y a la position exprimée par le doyen du corps diplomatique, qui le fait certainement après une concertation avec ses homologues, mais cela dépend aussi de la personnalité diplomatique qui occupe cette position. Ensuite, les missions diplomatiques de la plupart des pays représentés ici au Cameroun n’ont pas nécessairement, à titre propre, pris position. Mais on sait, à travers l’action d’une organisation comme l’Union européenne que beaucoup de pays vont s’aligner sur sa position à travers celle que le Parlement européen a pu prendre sur ces questions, que ce soit de la gestion de la contestation postélectorale par le MRC et ses associés, ou de celle de la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. S’agissant du désaccord touchant aux élections, le Cameroun a les moyens complets pour résoudre le problème de l’intérieur, même s’il y a des pressions internationales. Puisque les institutions chargées du processus électoral ont fait leur travail. Les résultats de l’élection ont été proclamés.