Dans un Entretien accordé à ABK Radio, Anicet EKANE, Président du Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie (MANIDEM) s’est prononcé sur les DERNIERS développements de l’actualité au Cameroun. Au micro de Luc NGATCHA, l’ancien candidat à l’élection présidentielle de 2004 et 2011 taxe ce régime de dictature.
Monsieur Anicet EKANE, on suppose que le MANIDEM n’est pas très heureux depuis quelques jours avec ce qui s’est passé au Cameroun notamment avec les mutineries observées dans les prisons camerounaises, dans la prison centrale de Yaoundé (Kondengui) et à la prison de Buea. Et le MANIDEM a d’ailleurs produit un communiqué pour parler de cela. Quel en était le contenu ?
En fait, la philosophie de ce communiqué, c’est que c’était prévisible d’autant plus que depuis des années, on parle de cette surpopulation carcérale dans la plupart de nos prisons au Cameroun. J’en sais quelque chose puisque j’ai été dans certaines de ces prisons en tant que prisonnier et aussi en tant que visiteur. Vous savez, quand on met six mille personnes au sort différent, du condamné à mort qui n’a rien à perdre au petit délinquant qui a pris un sac ou un cartable à une femme. Qu’on mette des prisonniers qui sont frustrés du fait qu’on leur a mis là peut-être sans raison, depuis des mois voire des années sans jugement, en détention provisoire, on crée des conditions d’une mutinerie. Généralement, les mutineries n’arrivent pas dans les prisons qui sont désertes où il y’a très peu de prisonniers. Les mutineries arrivent dans les prisons surabondamment occupées donc, c’était une situation prévisible. Elle a même peut-être tardée.
Est-ce qu’à votre époque, la question de la surpopulation se posait déjà ?
Absolument ! En 1990, quand j’étais en prison à Batouri, j’ai été à Yokadouma, les prisons étaient très exigües. La promiscuité était exécrable. Vous savez peut-être aujourd’hui il y’a des toilettes, mais en 1990 dans les prisons d’Édéa, Yokadouma ou Batouri, il n y’avait pas d’eau et les prisonniers allaient puiser de l’eau. Donc la situation de nos prisons est catastrophique depuis de nombreuses années et tout le monde le sait. Généralement au Cameroun, on attend la catastrophe avant de se ressaisir, voilà elle est arrivée, elle n’a été aussi grave qu’elle aurait pu être parce-que, pour le moment, on n’a pas enregistré de morts et de blessés graves mais on a frôlé le pire.
Mais est-ce que les revendications de ces détenus des crises anglophones sont-elles fondées ?
Oui, sur les détentions préventives qui se prolongent évidemment. Vous savez, la lenteur de la justice camerounaise est légendaire, je pense qu’il faut traiter mieux les problèmes des gens et les régler plutôt que de laisser languir dans les situations embarrassantes. Imaginez un peu les chiffres qu’on a pu retenir, les trois quarts des prisonniers et détenus dans nos prisons sont en détention provisoire, c’est extraordinaire. La situation préventive est une mesure transitoire et c’est un problème très sérieux.
Quand vous parlez de désengorger les prisonniers, vous faites allusion à quoi ?
A la libération des détenus en détention provisoire. Moi je vais souvent rendre visite aux gens en prison ; je vais souvent au palais de justice. Imaginez un magistrat qui a deux cent cinquante dossiers des prisonniers qui arrivent par exemple de New Bell, les trois quarts ou même les quatre cinquièmes sont envoyés, sans débat, sans peine.
Systématiquement ?
Généralement oui, on appelle le détenu, il vient, le dossier n’est pas prêt, les avocats ne sont pas là d’ailleurs la plupart des petits délinquants qui sont dans les prisons n’ont pas d’avocat donc, rapidement le magistrat s’en débarrasse en renvoyant. Il renvoie le jeune en prison souvent et lorsque l’affaire est finalement traitée, on se rend compte que ça ne valait pas la peine qu’il passe des mois voire des années en prison. C’est ce qu’il faut rapidement régler ça et ça c’est une décision volontariste, politique de dire qu’on s’engage dans un processus. On doit régulariser rapidement les problèmes des prisonniers qui sont en détention préventive. C’est aussi vrai pour les prisonniers arrêtés pour des problèmes de droit commun. C’est vrai aussi pour des prisonniers dans le cadre de la crise anglophone parce que dans le feu de l’action, on a tendance à ramasser plein de gens quand il y’a les problèmes de sécurité. Il faut régler le problème de leur jugement. Parce que lorsqu’on se rend compte après les enquêtes, après le travail du juge d’instruction, que tel doit être libéré et l’autre condamné, ça va rapidement désengorger nos prisons.
Quand vous voyez les gens qui passent trois ans ou quatre ans, cinq ans voire dix ans sans rencontrer le juge d’instruction, ça laisse un peu songeur d’ailleurs certains pensent que la justice est un peu paralysée ou alors ne fonctionne pas dans notre pays.
Quel est votre avis sur cette question ?
C’est une question de moyens, en ressource humaines et en logistique. Vous savez, une ville comme Douala devrait avoir une dizaine voire plus de tribunaux. Il y’a deux ou trois qui fonctionnent de façon régulière. Mais il faut augmenter les palais de justice pour désengorger nos prisons. Peut-être, vous n’allez souvent pas dans les audiences, les juges ont deux cent, deux cent cinquante dossiers. Vous imaginez, il faut à chaque fois qu’il y ait des audiences pour que ce juge puisse lire ces dossiers, les comprendre, confronter les différentes positions souvent antagonistes. La mesure la plus facile, c’est qu’il trouve le moyen sur les deux cents cinquante dossiers qu’il a pendant une audience, à envoyer deux cent sinon plus ; et c’est ce qui arrive habituellement. Les avocats vous le disent. J’ai été ces derniers jours aux audiences où passait par exemple l’activiste ESSAMA André Blaise, on renvoie la plupart des dossiers. D’ailleurs, je ne sais même pas souvent pourquoi ils le font, peut-être parce que la loi l’exige. On prend des cas, on ramène des centaines des prisonniers de la prison, pour les amener à l’audience et la centaine de prisonniers est renvoyée pour une prochaine audience voilà.
Mais président, est-ce qu’augmenter les palais de justice va résoudre le problème de la lenteur administrative ?
Bien-sûr parce que les magistrats ne vont pas avoir à traiter deux cent dossiers. D’abord c’est déjà un boulot énorme pour un magistrat d’avoir à traiter deux cents dossiers en terme de nombre, il aurait tendance s’il n’est pas professionnel à bâcler les problèmes ou à être sous le coup d’influence d’une partie de dossiers, à rapidement régler les dossiers qui sont sur sa table. S’il y’a deux cent cinquante dossiers pour un magistrat et que maintenant, on arrive à cinquante dossiers par magistrat, forcément on va aller plus vite et forcément les détenus provisoires vont diminuer et les prisons seront désengorgées.
Et quand bien même certains dossiers sont libérés, la sentence donnée, il se pose encore les problèmes de sortie de prisons parce qu’il y’en a encore qui restent en prison, pourtant ils ont déjà été libérés. Parce qu’il faut les dossiers, parce qu’au palais qu’il n y’a pas de rames de papiers pour imprimer les levées d’écrou.
Finalement à qui la faute ?
Au gouvernement ! C’est le gouvernement qui gère les pénitenciers. C’est du sort aujourd’hui du ministère de la justice avant c’était l’administration territoriale. Je pense qu’il faut communiquer, il faut une mesure volontariste de grande envergure pour régler ce problème, sinon on va arriver à des situations incontrôlables. Vous vous imaginez à Yaoundé lundi soir, si pour une raison, ou pour une autre les grands bandits comme il a été dit auraient pénétré dans les quartiers VIP et qu’ils avaient assassiné deux ou trois personnes ou avaient pénétré dans les quartiers des femmes en violant les femmes etc.…vous imaginez ce que cela aurait donné ? la police aurait été obligé d’employer les méthodes un peu moins catholique c’est tant mieux lundi 22 juillet soir, on a frôlé le pire à la prison centrale de Kondengui , on n’y est pas allé, mais raison de plus, l’occasion faisant larron, que le gouvernement prenne des dispositions pour régler progressivement ce problème-là, les constructions nouvelles dont on parle depuis des lustres, une sur la route de japoma qui devrait être construite, le chantier est à l’arrêt…vraiment c’est Dommage !
Vous pensez que le gouvernement est conscient du travail à faire pour améliorer un peu les conditions de vie dans les prisons ? Parce qu’aujourd’hui on estime que les prisons sont devenues véritablement des mouroirs et qu’est- ce qu’il faut faire pour humaniser davantage les prisons ? Est-ce que vous pensez que le gouvernement est conscient de cela et s’attèle à travailler pour changer la situation ?
Ils ne sont ni aveugles ni sourds. Ils entendent les récriminations qui viennent de toute part. Ils sont tout à fait conscients mais c’est un problème de priorité. Vous savez quand vous avez cent mille francs à gérer, vous les envoyez là où il y’a des priorités. Pour vous, peut-être compte tenu du fait qu’il n’y’a pas eu des situations comme celle de lundi 22 juillet au soir, mais ils ont pensé qu’on peut continuer à tourner en rond avec ce problème de désengorgement des prisons. Maintenant qu’il y’a eu cette crise, le ministre de la justice va se réveiller et le gouvernement va prendre des dispositions sérieuses pour commencer à régler définitivement ce problème de désengorgement dans nos prisons
Est-ce que vous pensez que ces détenus de la crise anglophone doivent être libérés ?
Non, ce n’est pas à moi de décider qu’ils soient libérés.
Je vous pose la question si vous étiez par exemple procureur ou juge ?
Mais les cas sont très différents, il y’a les gens comme Mancho Bibixy qui ont fait des marches tout à fait pacifiques, qui devrait déjà être dehors depuis ça fait plusieurs années, mais rien n’est fait.
Je rappelle qu’ils sont considérés comme des détenus politiques.
Oui c’est comme ça qu’ils se considèrent.
Est-ce que vous pensez qu’il faut les libérer ?
Je vous ai donné des exemples parce qu’ils ont entamé des manifestations il y’a de cela presque trois ans à Buea. Il y’ a Mancho Bibixy votre confrère de la radio, oui il y’a plein comme ça mais il y’a d’autres qui ont commis des actes répréhensibles sérieux comme des assassinats qui devraient être rapidement jugés et qu’on devrait décider de leur sort, le fait de laisser Mancho Bibixy et compagnie avec ceux qui sont souvent pris la main dans le sac, n’est pas normal. Là il y’a une différence, on devrait rapidement faire la part des choses et justement séparer ces deux groupes de personnes impliquées dans la crise anglophone, d’autant plus que ceux qui peuvent être confondus dans les actes répréhensibles. On peut prendre une mesure d’apaisement et faire sortir un maximum de gens et ne garder peut-être que ceux qui sont vraiment coupables d’actes impardonnables.
Non, vous n’allez pas dire maintenant que vous savez, il y’a des gens qui sont en prison parce qu’ils sont coupables.
Est-ce qu’il ne faut pas tous les libérer ?
Le gouvernement a d’ailleurs lancé une opération de désarmement et d’insertion dans les régions anglophones et a dit à tous ceux qui ont les armes, déposez-les armes et nous allons travailler à vous insérer, donc les gens qui ont pris les armes et qui ont par exemple tué, qui ont violé, le gouvernement est prêt à leur accorder le pardon, mais le gouvernement n’est pas prêt à accorder le pardon à ceux qui ont manifesté comme Mancho Bibixy qui ont manifesté pacifiquement.
C’est ça le drame de la situation ! C’est-à- dire la mesure d’apaisement qui absout ceux qui ont pris part. Il est vrai que le geste de déposer les armes qui est un geste fort, mérite qu’on traite leur cas avec beaucoup d’indulgence et aussi de bienveillance. Même ceux qui ne l’ont pas fait parce que je suis sûr qu’il y’a en a parmi eux qui étaient pris dans la folie de manifestations au Nord-Ouest et au Sud-ouest et qui aujourd’hui se rendent quand même compte que c’était sans issue et qu’ils sont peut-être prêts à revenir à de bonnes intentions. Il faut rapidement traiter ces cas-là et désengorger nos prisons et apaiser parce que c’est de ça qu’il s’agit. La situation de ces régions-là, les gestes d’apaisement sont des gestes politiques qui ne tiennent pas nécessairement compte des fautes commises mais qui essaient de ramener la situation à une situation plus gérable.
Vous citez ceux qui ont manifesté au départ et qui sont arrêtés depuis mais vous ne citez pas Ayuk Tabé Sisiku et sa compagnie est-ce qu’eux aussi doivent être libérés ?
Ayuk Tabé dit qu’il n’est pas Camerounais donc c’est une agression au pays. Ayuk Tabé malgré ce que j’entends, dit qu’il est prêt à négocier, mais, avec des conditions. Ayuk Tabé sait qu’il y’a déjà deux États, l’État Ambazonien et l’État camerounais. Donc qu’on négocie entre ces deux États, ce n’est pas la même chose. Ayuk Tabé est un terroriste. Qu’il assume le fait qu’on ait porté les armes pour attaquer le Cameroun. Vous vous imaginez et c’est ce que je ne comprends pas. Dans certaines radios, on fait l’apologie, d’Ayuk Tabé etc.., ce sont des terroristes. Vous imaginez dans les radios aux États-Unis faire l’apologie des gens qu’on a arrêtés à Guantanamo ? les gars de Ben Laden etc… ou en France, les terroristes qui ont commis des attentats et leur radio les présentent comme des gens tout à fait respectables ? Le moindre grincement de dents d’une audience renvoyée ça fait la une des journaux, ça pose quand-même un problème. On a affaire à des terroristes qui ont attaqué le Cameroun, le pays de nos ancêtres.
Donc aujourd’hui Ayuk Tabé ne doit pas être libéré, c’est ce que nous comprenons ?
La libération est peut-être un acte politique mais elle se fait dans un contexte. Comme préalable, nous demandons, au MANIDEM, Il y’a un préalable : il faut que tous ceux qui sont impliqués dans la prise des armes contre le Cameroun, les déposent, c’est le minimum.
Mais les Ayuk Tabé déposent déjà…
Mais, non Ayuki Tabé n’a jamais dit que les sécessionnistes ou les bandes sécessionnistes qui se réclament des formes ambazoniennes déposent les armes. Il faut qu’il le dise même s’il ne sera pas suivi parce qu’il y’a eu de bande de voyous qui sont infiltrés dans cette opération. Mais au moins, que ce soit claire pour Ayuk Tabé que c’est fini la lutte ! C’est la condition sine qua none.
Donc s’il le fait, on le libère ?
Ah mais ce n’est pas moi qui décide de sa libération, s’il le fait on est dans les meilleures conditions pour négocier un retour au calme, un retour à des situations plus gérables de ce que vivent nos compatriotes de ces zones-là. Ça fait trois ans qu’il ny’a pas d’école, l’économie des petites et moyens entreprises, de l’informel c’est terminé. La plupart des villages qui étaient prospères dans la culture du cacao etc.… ou du café sont abandonnés, les jeunes sont partis, les centaines de milliers de gens sont dans les pays voisins ou à l’intérieur du pays. Qu’on arrête ça, que ça permette que la situation progressivement se régularise ; on sera à des meilleures conditions pour discuter de l’avenir de notre pays.
Le régime de Biya est comment ?
C’est un régime de dictature, il est né d’une dictature. Ahidjo lui a passé la main comme dictateur pas pour servir les intérêts des opposants comme ce régime néocolonialisme. Je pense qu’il ne faut pas faire comme si on le découvre aujourd’hui ce que ce régime est. Quand on s’engage en politique, c’est en toute connaissance de cause, en se disant que je m’engage dans un combat qui sera dur, féroce, lorsqu’on sait ceux qu’on a en face. Il ne faut pas aller là-bas la fleur au fusil en chantant des chansons d’amour. Le régime ne se laissera pas faire lorsqu’il est attaqué.