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Jean Bruno Tagne : « Paul Biya est dans la ruse permanente »

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Le président camerounais Paul Biya a annoncé mardi la convocation fin septembre d’un « grand dialogue national », au moment où son régime fait juger pour « insurrection » des leaders de l’opposition. Dans une publication sur sa page Facebook ce mercredi 11 septembre 2019, le journaliste Jean Bruno Tagne pense que le Chef de l’Etat a fait dans la ruse, comme il a l’habitude de le faire. Lebledparle.com vous propose l’intégralité de son opinion.


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Jean Bruno Tagne à Berlin – capture photo

Paul Biya a donc parlé. Et alors ?

Que ceux qui se préparent à aller avec enthousiasme au « grand dialogue » annoncé par le président de la République hier dans son discours à la nation n’oublient jamais que Paul Biya est dans la ruse permanente. Et cela semble lui réussir ; c’est bien pour ça – entre autres – qu’il est au pouvoir depuis 37 ans et pourrait encore l’être pour longtemps.

Bien sûr on ne développe pas un pays avec la petite ruse. Le Cameroun serait un géant. Est-ce son ambition ? bref.

Je vous propose cet extrait de mon livre (Accordée avec fraude. De Ahidjo à Biya comment sortir du cycle des élections contestées) qui parle de l’un des plus grands enfumages de l’histoire politique du Cameroun sous le renouveau : la tripartite.

Bonne lecture

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Le 22 octobre 1991, les partis politiques reçoivent l’invitation à la tripartite et l’ordre du jour de celle-ci. Le gouvernement décide unilatéralement des personnalités invitées aux travaux et de l’ordre du jour qui porte sur deux points : l’élaboration d’un avant-projet de Code électoral et la définition des modalités d’accès aux médias publics pour tous les partis politiques dans la perspective des élections législatives anticipées du 16 février 1992. Le pouvoir vient de donner le ton de ce qu’il entend faire de la tripartite : une réunion qu’il souhaite contrôler de bout en bout en fixant lui-même les règles du jeu. L’opposition sent venir le danger. Elle commence même à envisager l’idée de ne plus participer à cette tripartite. De discussions en concertations, la Coordination subordonne sa participation à la tripartie à quelques préalables contenus dans un mémorandum daté du 26 octobre 1991 et adressé au Premier ministre.

Le pouvoir semble avoir repris la main. On note désormais une accalmie dans les rues. L’opposition n’est plus aussi unie qu’elle l’était. Le gouvernement a réussi à diviser les partis politiques qui arrivent à la conférence tripartite au palais des Congrès de Yaoundé en rangs dispersés. La rencontre regroupe près de 300 formations politiques et organisations de la société civile, des religieux, des journalistes, des chefs traditionnels, des membres du gouvernement et une foule de personnalités inféodées dont le but est de mettre l’opposition dite radicale en difficulté.

Le dirigisme avec lequel Sadou Hayatou mène les travaux est patent ; il donne la parole aux personnalités favorables au pouvoir, la retire à ceux qui se montrent critiques. Pierre Flambeau Ngayap, Samuel Eboua, Adamou Ndam Njoya, John Fru Ndi et d’autres opposants n’en peuvent plus. Le lendemain de l’ouverture des travaux, ils claquent la porte. Ils ne reviendront dans la salle qu’après une longue médiation organisée par l’homme politique et homme d’affaires Paul Soppo Priso, l’ancien Premier ministre John Ngu Fontcha, l’ancien président de l’Assemblée nationale Salomon Tandeng Muna, le cardinal Christian Tumi, entre autres.

Pour approfondir :   En réponse à la crise anglophone, Paul Biya crée une commission de promotion du bilinguisme au Cameroun

Les accords de la tripartite sont signés le 13 novembre 1991. Ruse, trahison, mensonge, corruption, tribalisme ont réussi à avoir raison d’une opposition jusque-là unie. Elle est désormais laminée. Son arme la plus redoutable face au gouvernement, les villes mortes, sont désormais mortes. Paul Biya vient de remporter la partie.

La conférence tripartite n’aura donc été qu’une pantalonnade pour l’opposition, un grand marché de dupes dont les recommandations ne seront d’ailleurs pas appliquées, ainsi que le relève Fabien Eboussi Boulaga : « Malgré un déroulement chaotique, suspect ou inacceptable à maints esprits exigeants et perspicaces, la Conférence se termine le 13 novembre 1991 dans l’euphorie d’une cérémonie de signature d’une déclaration que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier d’“historique“. (…) Pour faire bref, il est possible d’affirmer qu’aucune décision de la tripartite, de la plus grande à la plus petite, n’a été respectée à la fois dans sa lettre et son esprit. « 

Les élections législatives anticipées, initialement annoncées pour le 16 février 1992 et qui se tiendront plutôt le 1er mars, vont achever de diviser l’opposition camerounaise. La Coordination de l’opposition ne vaut plus rien. Elle s’est désagrégée sous l’effet conjugué de la bérézina de la tripartite et de l’éviction de Samuel Eboua, son principal animateur, de la présidence de l’Undp lors du congrès tenu à Garoua les 4 et 5 janvier 1992, par un groupuscule. Ce groupuscule qui enterre l’opposition intransigeante a pour leader Bello Bouba Maïgari, assisté de Issa Tchiroma Bakari et autres Amadou Moustapha…

Une loi a été hâtivement adoptée quelques semaines plus tôt, précisément le 16 décembre 1991, par une Assemblée nationale monolithique. Ledit texte fixe les conditions d’élection des députés. Pour l’opposition dite radicale, cette loi n’est pas de nature à garantir des élections crédibles. Bien plus, ce Code électoral est jugé contraire à l’esprit et à la lettre des accords de la tripartite. Le Sdf de Ni John Fru Ndi, l’Ufdc de Hameni Bieleu, l’Udc d’Ada-mou Ndam Njoya décident de boycotter cette élection. Les autres partis politiques de l’opposition ne se feront pas prier.

Au terme de cette élection, le Rdpc, l’ancien parti unique s’en tire avec 88 députés, vient ensuite l’Undp désormais dirigé par Bello Bouba Maïgari, qui en compte 68, suivie, de l’Upc avec 18 sièges alors que le Mdr de Dakolé Daïssala, lui, obtient six députés dans la nouvelle Assemblée nationale apparemment multicolore du Cameroun.

Sur les 180 sièges le parti au pouvoir ne recueille pas la majorité absolue. Commencent alors des manœuvres qui permettent au président Biya de rallier à lui les 18 députés de l’Upc et les six du Mdr, en échange de postes au gouvernement. Dakolé Daïssala entre au gouvernement comme ministre d’Etat en charge des Postes et Télécommunications alors qu’Augustin Frédéric Kodock est nommé ministre d’Etat à l’Aménagement du territoire. C’est cette transaction clientéliste qui permettra au pouvoir de s’offrir une majorité confortable à l’Assemblée nationale.

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Le 25 août 1992, Paul Biya annonce des élections présiden-tielles anticipées pour le 11 octobre. Une anticipation de sept mois. La technique manque de finesse. Elle est même cousue de fil blanc. Il a simplement voulu prendre ses adversaires de court. L’élection n’a qu’un seul tour. Le choix d’une élection à un tour est un calcul politique qui évite au président de la République de devoir, dans un second tour au cas où il n’aurait pas obtenu la majorité absolue au premier, d’affronter un adversaire dans un corps à corps qui peut se transformer en un « risqué » référendum pour ou contre Biya. Or avec un tour unique, il peut être déclaré pré-sident de la République même avec moins de 30% des suffrages.

Le Code électoral (loi n° 92/010 du 17 septembre 1992 fixant les conditions d’élection et de suppléance à la présidence de la République) est passé à l’Assemblée nationale comme une lettre à la poste. Il est taillé à la mesure du pouvoir en place. L’administration est appelée à jouer un rôle trop important dans l’organisation et la conduite des élections. Connaissant la bureaucratie camerounaise fortement partisane et inféodée au Rdpc, rien, mais alors rien du tout, ne permet d’espérer une élection crédible et juste.

Pour Fabien Eboussi Boulaga, l’organisation d’une élection crédible ne fait simplement pas partie de l’Adn de l’administration. « Il convient de dire, analyse-t-il, que l’administration territoriale et préfectorale camerounaise n’a pas d’expérience en matière d’élections libres. Sous la colonisation française, les administrateurs fabriquaient les résultats comme le faisaient les préfets de la IIIème République. (…) Nos administrateurs ont été formés à leur école. Sous le parti unique, ils avaient seulement à décider des décimales de pourcentages qui commençaient à 98% en montant.

« Quand vient ou revient le pluralisme, les ministres de ce département, les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets ne se recyclent pas. (…) La préfectorale ne connaît que les instructions et les consignes qu’elle reçoit de la hiérarchie. Elle est donc notoirement incompétente et ignorante en matière de lois et de processus démocratiques : elle n’en a jamais eu une démonstration concrète ni une leçon de choses simulées. En outre, elle n’a pas les moyens intellectuels, humains et matériels pour faire face à la diversité des tâches qui s’abattent sur elle avec chaque élection. Comme disait un sous-préfet, avec un agacement justifié : «On n’a pas que ça à faire.»«

 » Enfin, tous les membres de la préfectorale comme de la haute administration sont des membres du Rdpc et doivent le devenir activement durant les élections, en utilisant les moyens de l’Etat. Déliés de tout devoir de retenue, ils ont plutôt “


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