Le Cameroun, signataire de plusieurs conventions et traités internationaux et réaffirmant dans le préambule de sa Constitution le caractère sacré des droits de l’Homme, ne semble pas respecter ses engagements.
Cyrille Rolande Bechon, la directrice exécutive de l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme évalue les libertés publiques au Cameroun dans cette interview réalisée par nos confrères de Défis Actuels.
Quelle appréciation faites-vous des libertés publiques au Cameroun ?
Les libertés publiques sont consacrées au Cameroun par la Constitution, les traités et conventions ratifiés et les lois, en l’occurrence les lois de 90 dites des « libertés ». Comme appréciation, je dirais que ce sont des acquis démocratiques qui sont aujourd’hui galvaudés et leur jouissance déniée aux Camerounais par le pouvoir en place.
Depuis la dernière élection présidentielle, on a l’impression que ces libertés ont systématiquement régressé qu’est ce qui peut justifier cela ?
La restriction des libertés publiques n’a pas commencé après l’élection présidentielle de 2018. Elle a commencé en 2014 après l’entrée en vigueur de la loi de répression du terrorisme. Nouveaux Droits de l’Homme, l’organisation que je dirige, a récemment rendu public un rapport sur les libertés publiques au Cameroun. Ce rapport fait état des différents cas de violations flagrantes des droits fondamentaux. En matière des droits de l’Homme, rien ne peut justifier ces violations des droits fondamentaux. C’est une méprise de la part du gouvernement ; c’est une attitude des pouvoirs publics que l’on doit condamner et les appeler à cesser de telles violations.
Les manifestations des partis politiques semblent désormais interdites systématiquement, et le pouvoir brandit l’argument de risque de troubles à l’ordre public, cet argument est-il fondé ?
Vous l’avez donc compris, il ne peut y avoir de justification possible face à une telle régression. L’ordre public est le seul argument évoqué par les autorités pour masquer et tenter de justifier l’injustifiable et l’inacceptable. Il faut noter que cet argument est complètement illégal dès lors que la loi de 90 enlève à l’autorité administrative la capacité d’empêcher les réunions publiques et la réduit considérablement pour les manifestations publiques.
Cela ne trahit-il pas une certaine peur du pouvoir en place ?
S’agit-il de la peur, je ne suis pas certaine. À mon avis, je pense plutôt que c’est en réalité le vrai visage d’une dictature et d’un État gouverner d’une main de fer
Quelles peuvent être les conséquences d’une telle restriction des libertés et quelle incidence cela peut avoir sur l’image du Cameroun à l’international ?
La principale conséquence des violations récurrentes des droits de l’Homme à l’international c’est la mauvaise image que cela donne au Cameroun. Cette mauvaise image est donc de nature à impacter négativement sur les relations du Cameroun avec ses partenaires bilatéraux et multilatéraux. Il n’est pas inutile de rappeler que les États-Unis par exemple ont déjà pris plusieurs sanctions contre le Cameroun.
Une contre certains dirigeants en les interdisant l’accès et le séjour sur le sol américain, la réduction de l’aide militaire américaine au Cameroun et tout récemment, le retrait de l’AGOA. Au niveau interne, une restriction permanente tel que l’on observe au Cameroun peut avoir pour conséquence la radicalisation des acteurs politiques et sociaux, qui peuvent ainsi choisir de s’exprimer par d’autres moyens y compris par la violence
Que dit la loi en matière de manifestation publique ?
La loi sur les réunions et manifestations publiques a inscrit les manifestations publiques sous le régime de déclaration. Mais contrairement aux réunions publiques, l’autorité administrative peut poser des actes. En premier lieu, l’autorité administrative peut changer l’itinéraire ou le lieu de la manifestation si elle estime que ceux proposés par les organisateurs font craindre des troubles. Deuxièmement, l’autorité peut changer la date. C’est normalement après l’impossibilité ou l’échec des solutions alternatives suscitées que l’autorité administrative peut interdire une manifestation publique
Que faut-il faire quand une manifestation a été abusivement interdite ?
Face à une interdiction abusive, des actions sont possibles à l’intérieur du pays et à international. Au niveau interne, il faut saisir le juge. Ce juge peut être le juge administratif ou le juge judiciaire. Au niveau international, il faut saisir les mécanismes conventionnels de protection des droits de l’Homme comme la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ou le Comité des droits de l’Homme.