Un colonel se plaint d’avoir été privé de rémunération alors qu’il assumait les fonctions d’attaché de défense à Madrid. Il demande au juge de l’urgence de lui accorder une provision d’un milliard de francs afin de retrouver un niveau de vie acceptable.
Le colonel Tsague Louis a-t-il été privé de salaire 14 mois durant alors qu’il exerçait les fonctions d’attaché de défense pour la mission militaire auprès de l’ambassade du Cameroun en Espagne ? C’est en tout cas ce qu’il avance dans le cadre de l’affaire qui l’oppose au ministère de la Défense (Mindef), son ancienne administration de rattachement. L’officier supérieur en retraite depuis l’an dernier dit avoir été privé de rémunération de manière abusive. Le sevrage lui aurait causé d’importants dommages.
Raison pour laquelle il a saisi, d’une part, le Tribunal administratif de Yaoundé pour réclamer le payement de son dû et, d’autre part, le juge de référé administratif (juge de l’urgence), afin d’obtenir une provision d’un milliard de francs en attendant l’issue du premier recours. Cette dernière procédure a connu d’abondants échanges le 22 novembre 2019 avant son report au 13 décembre prochain pour la présentation au juge, de documents supplémentaires, nécessaires à la compréhension des faits portés à sa connaissance.
Le plaignant explique que par décret présidentiel du 21 juin 2012, il a été nommé attaché de défense adjoint du Cameroun pour la mission militaire auprès de l’ambassade du Cameroun en Espagne avec résidence à Madrid. Quelques jours plus tard le 25 juin 2012, il a pris service au ministère des Relations extérieures (Minrex) qui a demandé au ministère des Finances (Minfi), de procéder au mandatement de son salaire au taux extérieur.
Sa rémunération est passée à 4 millions de francs. Le 18 octobre 2017, cinq ans plus tard le ministre de la Défense a décidé de suspendre le salaire de quinze personnels militaires nommés à l’étranger, mais toujours pas en possession d’accréditations ou de cartes consulaires pour y exercer en toute quiétude. Fait curieux, son nom ne figure pas sur la liste des agents ciblés par l’acte ministériel, mais la mesure s’étend à lui.
14 mois s’égrènent ainsi sans qu’il ne perçoive plus un radis. Pendant cette période, ses conditions de vie se sont détériorées, la prise en charge médicale de ses enfants internés dans une structure hospitalière en 2011 n’a pas été optimale. En plus, il a enregistré de nombreux préjudices dans l’évolution de sa carrière.
« Mission sans frais »
Plus tard suite à ses démarches, le Mindef a ordonné le rétablissement de ses salaires, mais la mesure n’a jamais été exécutée. Louis Tsague soutient que la suspension de sa solde émane des faits tronqués, fait suite à un détournement de pouvoir du ministre de la Défense et viole le principe du parallélisme des formes. Il exige donc le payement de ce qu’il considère comme des créances salariales et le remboursement des frais d’hospitalisation de ses enfants.
Au cours de l’audience, M. Abah Oyono Jean Calvin, enseignant d’université et conseil du militaire, a exposé sur le caractère certain de la créance querellée. Il explique que son mandant avait un statut de « diplomate accrédité » et effectuait des missions en Espagne dans le cadre de ses fonctions quand sa solde a été suspendue. Le Mindef a demandé son rétablissement dans ses droits sachant qu’il n’était pas concerné par la suspension, mais un décret du chef de l’État datant de juillet 2018, a mis fin à sa carrière de militaire avant l’exécution de la mesure.
Ces développements de l’universitaire n’ont point ému le porte-parole du Mindef au procès. Celui-ci a trouvé que le plaignant va vite en besogne alors qu’il a omis de joindre à son dossier son accréditation pour aller officier en Espagne, la correspondance du Mindef demandant la suspension de son salaire et celle ordonnant le rétablissement de ses salaires au taux extérieur, des documents censés crédibiliser sa démarche. Le colonel prend alors la parole et déclare qu’il n’a pas obtenu d’accréditation.
Néanmoins, il a effectué des missions en Espagne dans le cadre de ses fonctions d’attaché de défense. Des missions approuvées par l’État. En ce qui concerne les deux autres documents évoqués par son contradicteur, il a soutenu qu’ils existent bel et bien et pourront être présentés lors d’une prochaine audience de l’affaire.
Pour sa part, le parquet général n’a pas jugé utile de voir la couleur des documents annoncés pour afficher son opinion sur ce recours. Son représentant a fait observer que le remboursement des frais d’hospitalisation des enfants malades n’est pas justifié parce qu’ils ont été internés en 2011 à la lumière des éléments du dossier, alors que ta nomination de leur géniteur est intervenue en juin 2012.
« La nomination n’a pas d’effets rétroactifs », tranche le parquetier. S’agissant des données relatives à deux missions effectuées en Espagne par le militaire, il est apparu que la première est une permission accordée par les services de la présidence de la République pour permettre à l’agent de ne pas être mis en difficulté à la sortie du territoire. Une « mission sans frais », c’est-à-dire non couvert par le budget de l’État. La seconde mission a trait à une évacuation sanitaire.
De l’avis du ministère public, un agent diplomatique ne peut se retrouver à l’extérieur de son pays sans accréditation au risque d’être considéré comme étant en situation irrégulière.
« Il ne s’est pas établi à Madrid. Le salaire au taux extérieur exige l’installation sur place. On ne peut pas vivre au Cameroun et prétendre à un salaire au taux extérieur. » En conclusion, le colonel Tsague n’a rien à réclamer au Mindef. C’est la position du parquet général. Le débat se poursuit le 13 décembre.