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Dieudonné Essomba : « l’Etat unitaire n’a plus les moyens de gérer les services sociaux du Cameroun »

Essomba Dieudonne v4

Dans une chronique publiée sur les réseaux sociaux, l’économiste-statisticien Dieudonné Essomba revient sur la crise de l’enseignement au Cameroun, avec les derniers évènements autour de la mort de Boris Kevin Njomi Tchakounté, de l’altercation entre l’enseignant d’Ayos et le sous-préfet de la ville…


Essomba Dieudonne v4
Dieudonné Essomba – capture photo

Tous ces évènements sur l’enseignement amènent le consultant média à conclure qu’il faut segmenter le pays. D’ailleurs c’est la posture qu’il adopte depuis quelques mois déjà. « Il faut le dire de manière claire, nette et définitive : l’Etat unitaire n’a plus les moyens de gérer les services sociaux du Cameroun. Il n’en a pas ! Ce n’est pas un problème de Biya, même si celui-ci l’aggrave par son entêtement. C’est un problème de système épuisé, inadapté, devenu obsolète », écrit Dieudonné Essomba.

« L’Etat unitaire avait menti aux communautés et aux diverses corporations qu’il allait résoudre tous leurs problèmes en gérant seul l’argent. Ce mensonge pouvait marcher et a effectivement marché pour autant que le Cameroun était encore trop jeune, que le pays ne comptait que quelques bacheliers. Mais les choses ont évolué ! Le Cameroun n’a plus une seule Université, mais des dizaines ; il n’a plus quelques Lycées, mais des milliers. Il a des dizaines de milliers d’écoles primaires. Tout cela n’est plus gérable par un Ministère central ! C’est une folie qui rappelle la bureaucratie soviétique et qui se paralyse peu à peu ! », ajoute-t-il.

Lebledparle.com vous propose l’intégralité du texte.

IL FAUT SEGMENTER L’ETAT DU CAMEROUN

Depuis quelques mois, le milieu scolaire est le lieu de tous les scandales et l’Etat n’arrive pas à s’en sortir ? Chaque jour amène son lot de désordre, au point où on peut se demander si l’enseignant a encore sa place.

Mais c’est mal poser les problèmes que de raisonner ainsi.

Voyons les choses comme elles se passent réellement : si l’Etat du Cameroun avait appliqué ne serait-ce que le niveau de décentralisation que lui-même avait accepté en 1991, il y a 29 ans et constitutionnalisée en 1996 il y a 23 ans, ce n’est pas seulement la crise anglophone que nous aurions évité, mais toute cette violence qui monte en force et qui devient de plus en plus incontrôlable.

Au moins, en refusant la fédération, s’il avait appliqué leur propre décentralisation !

L’Etat lui-même avait clairement accepté que les Lycées reviennent aux Régions et qu’il allait leur remettre l’argent qu’il utilisait pour cette mission, de manière à ce que chaque région se débrouille chez elle fonds ! C’était le même argent, mais qui devait être utilisé sous une autre forme : à partir du bas, et non du haut.

Mais au lieu d’adopter cette solution intelligente, les gens de Yaoundé, plombés par une boulimie du pouvoir et une soif altérée d’argent ont préféré louvoyer, au point de multiplier les bombes dans la République, et transformer des bisbilles, ; des problèmes mineurs et parfaitement localisés en problèmes nationaux pouvant entrainer des guerres !

Prenons le cas tragique du jeune TCHAKOUNTE, poignardé au lycée de Nkolbission ! Affecté à l’Ouest, sa Région d’origine, il n’a pu s’installer dans son lieu d’affectation, faite de ressources, se retrouvant obligé d’aller donner des cours de vacation par-ci par-là en attendant le jour où la lourde bureaucratie soviétomorphe de Yaoundé allait le prendre en solde ! Qu’est-ce que ce monsieur faisait à Nkolbisson ? S’il avait été recruté par la région de l’Ouest à l’Ouest, aurions-nous vécu ce drame comme une catastrophe nationale ? Au point où sa levée de corps oppose les enseignants aux forces de l’ordre, ravivant les dangereuses tensions entre les corporations de métier !

Aujourd’hui, que reste-t-il dans l’imagerie populaire ? Des soldats armés jusqu’aux dents, trainant des enseignants à terre ! Un spectacle qui se répète de jour en jour, donnant l’allure d’un régime particulièrement violent.

Et quand on sait très bien la susceptibilité des enseignants qui, faute d’avantages, voient le monde entier en noir, estimant qu’ils ont fait l’école et doivent faire queue basse devant des gendarmes et policiers qui n’atteignent pas le niveau de leurs élèves, quel est l’intérêt d’entretenir un système aussi tendu, aussi violent ?

On a également vu un sous-préfet pénétrer de force avec une escouade de gendarmes dans un Lycée à Ayos et aller molester un enseignant pendant un examen, sans la moindre urgence et en l’absence du proviseur, mais arguant tout simplement du pouvoir qui lui vient tout droit du chef de l’Etat ! Et depuis ce geste, c’est le calme plat ! En tout cas, la bureaucratie de Yaoundé l’a défendue, car elle doit rester toute puissante, contrôler tout, dominer tout, écraser tout !

Et c’est de cette manière que cet Etat multiplie les tensions, oppose les corporations, et, multiplient les haines tribales !

On a eu un recrutement récent de 1000 instituteurs, avec 52.000 candidats tous dotés d’un CAPIEMP ! Une attribution qui aurait dû revenir au Communes suivant les lois de la décentralisation. Malheureusement, ce Gouvernement autiste qui ne vit que glorioles espérait faire un bon coup politique : « le Président Biya, dans sa haute magnanimité, a décidé de recruter 1.000 instituteurs ».

Mal lui en a pris : il n’en a récolté que des haines et des frustrations ! Les mêmes réactions d’ailleurs qu’entrainent ces recrutements sporadiques des mêmes instituteurs pour des opérations de contractualisation.

On a également assisté au misérable spectacle des recrutements des enseignants des Universités, avec toutes les accusations de tripotage, de corruption, de tribalisme que cette opération a entraîné, au point où on a encore recouru à l’arbitrage du Président ! Pourtant, quand le Ministre engageait cette opération, il croyait réaliser un grand coup politique et se faire valoir auprès de son patron !

Il faut le dire de manière claire, nette et définitive : l’Etat unitaire n’a plus les moyens de gérer les services sociaux du Cameroun. Il n’en a pas ! Ce n’est pas un problème de Biya, même si celui-ci l’aggrave par son entêtement. C’est un problème de système épuisé, inadapté, devenu obsolète.

L’Etat unitaire avait menti aux communautés et aux diverses corporations qu’il allait résoudre tous leurs problèmes en gérant seul l’argent. Ce mensonge pouvait marcher et a effectivement marché pour autant que le Cameroun était encore trop jeune, que le pays ne comptait que quelques bacheliers. Mais les choses ont évolué ! Le Cameroun n’a plus une seule Université, mais des dizaines ; il n’a plus quelques Lycées, mais des milliers. Il a des dizaines de milliers d’écoles primaires. Tout cela n’est plus gérable par un Ministère central ! C’est une folie qui rappelle la bureaucratie soviétique et qui se paralyse peu à peu !

Tout en générant la haine et la violence. Dans un pays normal, comment peut-on opposer l’armée à l’éducation ? Ce sont des corps qui sont tous utiles, mais qui se situent à des niveaux stratégiques très différents ! L’éducation est un service de proximité, intérieur, ubiquitaire, convivial et populaire. Quoi de plus normal qu’elle soit gérée par des structures de proximité ? L’armée est un service stratégique qui renvoie aux rapports entre le Cameroun et les puissances étrangères. C’est un service secret, élitiste et mystérieux, qui doit avoir un prestige lié à son caractère hiératique et formidable. Quoi de plus normal qu’elle soit gérée par un pouvoir puissant et lointain ?

Mais quand on les met dans le même lot, on les oppose, on les confronte en permanence, on entretient des compétitions et des jalousies corporatistes, comment voulez-vous bâtir la paix et le développement avec un tel système ? Qu’est-ce que le régime gagne exactement à recruter les instituteurs à Yaoundé ?

C’est franchement hallucinant !

Bien entendu, on va me dire que M. TCHAKOUNKE aurait aussi pu être poignardé à l’Ouest, ou qu’un ESSOMBA aurait pu être poignardé au Centre. J’en conviens, mais ce n’est pas là le problème ! S’il avait été recruté à l’Ouest, on aurait un problème confiné à l’Ouest, avec les autorités à l’Ouest et la police de l’Ouest, et non le triste spectacle où l’Education nationale se bat avec l’armée nationale dans la capitale !

On a vu comment une femme avait été charcutée par sa sœur à Douala, mais au terme du processus, le problème est devenu national.

Ce désir de tout contrôler, alors qu’il n’en a pas les moyens a transformé l’Etat du Cameroun en un objet de contestation permanente et violente qui finira par le faire voler en éclats. Tout petit problème au Cameroun devient national, même lorsqu’il n’a qu’un caractère localisé. Et le terrible problème anglophone, causé toujours par cette folie du pouvoir, reste actuel ! En tout cas, il n’est pas prêt de s’éteindre !

Ce qu’on demande au Gouvernement, c’est de segmenter l’Etat. Il s’agit très clairement de diviser les 5.000 Milliards de FCFA du budget en deux, une moitié pour l’Etat Central, pour ses missions stratégiques de défense et de diplomatie, des missions de coordination, de régulation, d’arbitrage et des infrastructures structurantes.

L’autre moitié doit aller aux Etats régionaux, pour toutes les missions opérationnelles relevant de la puissance publique. Le Gabon, la Guinée Equatoriale ou la Gambie gèrent bien leurs Lycées et leurs Universités sans venir demander conseil au Cameroun. Il n’y a aucune raison que des Régions camerounaises peuplées que ces pays tels que le Centre, l’Extrême-Nord, l’Ouest ou le Sud-ouest soient ravalées à de simples récepteurs d’un développement décidé par une puissance lointaine de Yaoundé.

Cette manière d’instrumentaliser les Communautés ne peut jamais conduire au développement.

Et il faut le faire vite, car le temps presse. L’âge de Biya est devenu un indicateur que le pouvoir sera vacant incessamment et els ambitions se réveillent. La présidence de Yaoundé qui concentre tous les pouvoirs d’Etat est devenue une bombe placée sur nos têtes, avec toutes les Communautés qui aiguisent leurs machettes !

Car effectivement, si cet Etat reste tel quel, l‘après-Biya va se jouer avec des machettes.

Et ceux qui bloquent idiotement l’évolution du système, parce qu’ils s’imaginent dans leur naïveté qu’ils vont capturer le pouvoir seront engloutis !

Dieudonné Essomba

Pour approfondir :   Les jeunes du MRC militent aux cotés de l'autorité administrative à Ebolowa

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