Le Cameroun est en guerre. Hier, c’était contre deux ennemis identifiés sur des champs cernables en guerre asymétrique: Boko Haram dans l’Extrême Nord, Ambazonian Fighters dans l’ex Southern Cameroons.
Un troisième ennemi a attaqué notre pays et le monde, plus sournois, plus meurtrier, indétectable à l’œil nu ou par les drones, un tueur silencieux qui sème l’anxiété et fait tourner à fond les incinérateurs de cadavres en Occident, qui brise la tradition des enterrements populeux et nous éclabousse le visage de l’impuissance du monde moderne face à la nature, le Coronavirus, petite bestiole invisible qui n’est même pas classée parmi les microbes.
Aujourd’hui, demain n’est plus assuré, ni pour les êtres humains, ni pour les systèmes et les structures qu’ils ont mis en place pendant des millénaires pour assouvir leurs besoins, les structures économiques et l’organisation de la vie en société. Par une voie insidieuse et mesquine, l’armaguedon qui signera la fin de l’espèce humaine pointe un petit bout de son doigt menaçant qui peut se transformer en coup de poing écrabouillant le genre humain et le faisant disparaître de la planète terre.
Tout d’un coup, l’avenir s’est revêtu d’une cape d’incertitude qui proclame une possibilité de la fin des temps, si ce dernier » petit » ennemi n’est pas vaincu.
Ce tableau eschatologique et apocalyptique requiert une mobilisation jusqu’à ses ultimes limites de la de l’espèce humaine qu’elle peut continuer d’exister. Il est autant un prisme grossissant faisant apparaître dans toute son absurdité la tentative de certains d’enfermer cet immense défi et ce danger extrême dans des ébats politiciens aux fins, pour les uns, d’ébranler un ordre établi, pour les autres, d’empocher à la va-vite un dividende politique, alors que les populations elles sont assommées par les chiffres croissants du nombre de cas détectés et de leur cortège de morts.
Ce faisant, la démonstration est faite par cette pandémie que la disparition de l’homme est possible; il laisserait derrière lui les vestiges de ses réalisations physiques, à l’exemple de la manière dont ont disparu avant notre ère la civilisation égyptienne du nord-est de l’Afrique ou la civilisation inca dans le monde amérindien précolombien.
En dépit de l’immensité du défi actuel qui commande que toutes les intelligences se coalisent, plusieurs politiques de de notre pays s’invitent à une exhibition questionnable d’oukases et d’auto- célébration, rendant inaudible et indiscernable dans ce brouhaha les diagnostics et les solutions pouvant éloigner autant que faire se peut notre pays d’une catastrophe imminente si le coronavirus venait à se développer hors de tout contrôle. L’urgence d’un recadrage s’avère donc nécessaire, pour rendre compréhensible la stratégie de mobilisation des moyens et des acteurs appelés à se déployer au mieux de leurs potentialités, à l’aulne d’une exigence citoyenne et républicaine.
*Clarifier le choix politique de la stratégie de risposte*
En fait, au plan politique, le débat de l’heure doit porter essentiellement sur les propositions et se substituer à la polémique. Ce débat revient à choisir entre deux options.
La première option est celle d’un confinement général des populations Ce serait la solution italo-française. Le résultat comparé au caractère drastique de cette mesure n’a toutefois pas été un recul de la pandémie à la hauteur de sa radicalité extrême.
La seconde option est celle d’une campagne de dépistage systématique « urbi et orbi », entendu dans les villes (d’abord) et dans les campagnes (ensuite) et l’instauration du port du masque principalement dans les zones urbaines à grande affluence humaine. C’est la solution dite de Hong Kong.
L’analyse de la première option qui serait le confinement aurait un impact économique négatif de très grande ampleur. Près de 95% de la population active non-rurale vivant des activités informelles dont les gains au jour le jour assurent la subsistance, le confinement exposerait un très grand nombre de foyers, leur progéniture comprise par ailleurs, à l’inanition, au point où cette option pourra occasionner beaucoup plus de morts que le coronavirus. Pour pallier cet effet négatif, la distribution de denrées alimentaires dans les quartiers populaires des villes pourrait être envisagée comme mesure d’accompagnement. Cela impliquera toutefois une mobilisation de ressources organisationnelles et logistiques considérables, sans négliger la complexité de la gestion de chaînes d’approvisionnement qui seront rendues nécessaires. Toutefois, même si l’option du confinement n’est pas retenue, il devrait toutefois être développé un dispositif d’accompagnement mis en place dans chaque région pour pallier les cas patents de menaces de famine dans certains ménages à très faible revenus du fait des perturbations et autre ralentissement des activités liées aux mesures prises par le Gouvernement pour juguler le coronavirus.
Comparativement, la solution la plus appropriée serait la deuxième option. Elle associerait le dépistage généralisé dans les zones urbaines et la prescription du port du masque à tous les citadins en migration quotidienne ou entrant dans les villes.
L’une ou l’autre option serait en tout cas à compléter par un dispositif de mise en quarantaine de personnes testées positif et le regroupement pour traitement dans des sites recensés dans chaque région des personnes développant la maladie.
*La question financière : Eviter le piège de la sous-évaluation*.
C’est le point crucial de la riposte au Coronavirus. Il impose une évaluation réaliste et objective du coût de l’option politique retenue.
Une évaluation des dépenses de base de la deuxième option qui a notre préférence fait ressortir les résultats ci-après:
– Kits de dépistage pour 10 000 000 de citadins à 3 000F le kit= 30 000 000 000 F
– 100 Masques pour 10 000 000 citadins à 100F le masque= 100 000 000 000 F.
En complément, il convient d’y ajouter 20 000 000 000 F pour les structures de prise en charge des malades et pour la mise en quarantaine des personnes testées positif ainsi que pour le soutien à la subsistance des ménages en détresse du faits des effets du coronavirus.
Le besoin financier de base pour une riposte efficace et proactive du coronavirus au Cameroun ressortirait donc à *150 milliards F*, sans mesures d’accompagnement massives. A titre comparatif, le niveau des dépenses prévues est de 250 milliards F au Gabon dont la population est le dixième de celle du Cameroun; il est de 1000 milliards F au Sénégal pour une population égale à la moitié de celle du Cameroun. Notre évaluation est donc « conservative » à tous égards.
Sous cet éclairage, il apparaît qu’il y a nécessité urgente de *réévaluer la dotation du « fonds de solidarité »* annoncé par le Gouvernement. Cette réévaluation doit s’opérer en explorant d’avantages les sources des ressources financières pouvant être exploitées pour son implémentation, certains pouvant subodorer même que c’est une exploration insuffisante de ces sources qui expliquerait en partie le très faible niveau évoqué du fonds de solidarité.
Au nombre de ces sources à explorer de ressources il y aurait tout d’abord les économies budgétaires. Il s’agit du rééchelonnement du service de la dette avec le club de Londres pour ce qui est de la dette privée, et avec le club de Paris qui réunit les créanciers publics, étant donné qu’en ce moment, ce service de la dette absorbe près de 20 % de nos dépenses budgétaires de l’État.
Il s’agit aussi l’abandon de certaines dettes bilatérales par nos partenaires et par certains organismes de partenariat multilatéral comme la Banque Mondiale.
En dehors des économies budgétaires, il y aura une deuxième source de ressources à travers un appui direct sous forme de dons par les différents guichets des institutions de Brettonwoods qui d’ailleurs ont déjà annoncé leur disponibilité à examiner les sollicitations allant dans ce sens.
And last but not least, il y a les ressources C2D qui pourraient être réorientées vers la réalisation des actions prévues par la riposte au Coronavirus. Si notre pays a pu mobiliser plus 1000 milliards F pour préparer les CHAN et CAN, ne mobiliser que 150 milliards F n’est pas au-dessus de ses capacités, l’expertise et la compétence en matière de mobilisation financière étant le seul levier requis.
*La parole présidentielle en tant que ressource essentielle de mobilisation du peuple*
La réussite de la riposte au coronavirus implique certes la mobilisation à bonne hauteur des ressources financières, mais aussi, la mobilisation de toutes les ressources symboliques pouvant renforcer la discipline des populations, cette discipline étant essentielle pour la réussite des actions prescrites par les pouvoirs publics. A ce propos, le seul et le plus puissant outil de mobilisation du peuple est la figure tutélaire de la République qu’est le Chef de l’État. La fréquence élevée des prises de parole de tous les dirigeants du monde, y compris la Reine d’Angleterre, indique bien l’obligation bien comprise par eux, ceux-là qui ont été portés aux commandes de leur pays par leur peuple, d’assumer leur mission, quand les circonstances les y convient, en le rassurant par leur apparition et leur parole publique, en période d’anxiété profonde.
Dans le contexte actuel, le peuple Camerounais ne saurait être sevré de la parole rassurante de son Chef. Pire, il ne saurait se voir infligé l’angoisse de ne pas voir celui-là aux commandes pour braver une menace existentielle qui plane sur sa tête.
Si une tradition a établi le silence comme style dominant du leadership de la présente dispensation du pouvoir au Cameroun, le caractère particulier de la situation actuelle commande un changement de paradigme. Par conséquent, *Le Président de la République doit sortir des limbes et parler à son peuple*. Le peuple le demande; il en besoin, et le Chef de l’Etat en a l’impérieux devoir. L’exception camerounaise qui a souvent justifié certaines esquives dans le passé ne saurait être de mise en cette circonstance où a travers le monde, on voit tous les dirigeants dignes de ce nom s’afficher et délivrer un verbe mobilisateur à leur peuple. Ce faisant, reconnu « primus inter pares», premier parmi les citoyens, le Président de la République, en prenant la parole sur ce sujet d’extrême importance, posera un acte politique majeur, à la hauteur des circonstances exceptionnelles que vit le monde entier. Et comme il se définit à travers son impact planétaire, le coronavirus aura engendré le temps des ruptures.
Las donc….à la politique politicienne; et en avant pour une politique pro-active, en riposte gagnante au Coronavirus.
Célestin BEDZIGUI
Président du PAL
Chef Traditionnel
Maire A1 de Monatélé
*Paru dans Le Messager de ce Mardi 6 Avril 2020