Le Prêtre Jésuite Ludovic Lado a rendu public le jeudi 15 octobre 2020, son carnet de pèlerin pour le retour de la paix au Noso. Dans le premier épisode, il parle de sa marche sur un trajet de 28 Km entre Douala et Kissoum. L’universitaire souhaite dans cette chronique « le sang humain cesser de couler dans le NOSO au profit du dialogue, de la justice et de la paix ».
Lebledparle.com vous propose l’intégralité de la chronique.
CHRONIQUES D’UN PELERIN
EPISODE 1 : DOUALA-KISSOUM (28 Km)
Douala-Yaoundé à pieds ? Quelle folie ! Mais une belle folie pour une cause noble : faire pénitence pour que le sang cesse de couler dans le NOSO et que le droit constitutionnel de marcher pacifiquement dans un pays comme le Cameroun soit respecté. Point de départ du pèlerinage le 12 octobre 2020 : stade de Japoma. Du centre spirituel de Bonamoussadi, j’ai rallié le stade de Japoma à moto, ce qui n’a pas été aisé un lundi de vraie rentrée scolaire. Je n’ai pas manqué de voir la foule d’élèves et de collégiens se pressant pour les différents établissements. J’ai pensé à tous ces enfants qui ne peuvent pas aller à l’école pour une raison ou une autre. Beaucoup d’enfants du NOSO ne le pourront pas, cette année encore. Je rappelle que je marche aussi pour une levée de fonds pour aider à la scolarisation des enfants déplacés internes de la crise anglophone.
Je suis accompagné durant ce pèlerinage qui devait durer environ 10 jours par un chasseur d’images, un reporter, un certain Jacob Fossi, qui a bien voulu faire le trajet avec moi. L’objectif est de réaliser au bout de l’expérience un petit magazine vidéo pour la mémoire. Il pleuvinait quand nous sommes partis de Douala, mais ma nouvelle soutane de circonstance pouvait absorber de l’eau. Quelques kilomètres nous permettent de rallier la route de Yaoundé. Sur l’axe lourd, le piéton doit faire attention avec les bordures de route si étroites. Le paysage est vert et rafraîchissant, ce qui me rappelle Laudato si, l’encyclique du pape François sur la question écologique. On en profite pour avancer avant que le soleil ne prenne ses droits. J’ai le temps de réciter mon chapelet.
La première anecdote survient quand mon accompagnateur flanqué de ses appareils est interpellé à un poste de contrôle routier par un policier qui contrôlait un automobiliste. Je pense qu’il a cru un instant qu’il avait été filmé. Il lui a demandé sa pièce d’identité. Je me suis rapproché de lui pour lui signifier qu’il m’accompagnait dans le cadre d’un pèlerinage pour la paix. Nous nous sommes séparés amicalement. C’était juste avant le pont de la Dibamba.
Nous poursuivons le trajet vers Misole et soudain nous sommes rejoints par une moto de laquelle descend un monsieur de blanc vêtu qui court s’agenouiller devant moi. Je lui donne spontanément une bénédiction. Il tient en main quelques tiges d’arbres de la paix. C’est la première fois que je le rencontre. Il se présente comme Jules Kom Kom, ambassadeur de la paix et marathonien professionnel. Il me dit avoir déjà fait ce trajet plusieurs fois et bien d’autres. Il dit avoir suivi le direct sure Facebook que venait de faire mon compagnon de route et s’est senti motivé pour rejoindre le pèlerinage. Nous poursuivons la route ensemble. À Misole II, nous marquons une pause d’environ 30 mn pour un rafraîchissement au petit marché. Quelques personnes se rapprochent de nous pour s’enquérir de la raison de notre pèlerinage. Un jus permet de reprendre quelques forces, après quoi nous reprenons la route.
Les effets de la fatigue commencent à se faire ressentir et les pieds deviennent plus lourds. Mais le souvenir des victimes de la crise du NOSO m’encourage. Je me représente les souffrances des femmes et enfants perdus dans la brousse, de quoi relativiser mes petites douleurs. Mon nouveau compagnon de route aime bien converser. Je regrette mon silence de méditation mais en même temps c’est un compagnonnage qui me renvoie à Fratelli Tutti, la nouvelle encyclique sociale du pape François sur la fraternité et l’amitié sociale.
Enfin nous arrivons à KISSOUM après près de 30 km de route. Nous décidons d’y passer la nuit. On s’installe dans un petit hangar en bordure de route où on nous sert comme repas de midi une omelette garnie au macaronni. Quelques contacts nous permettent d’identifier une concession pour nous accueillir pour la nuit. Note hôte a un hangar dans sa cour et nous y passerons la nuit à la belle étoile comme beaucoup de nos compatriotes dans les brousses du NOSO. Notre hôte qui est mbombog nous accueille chaleureusement et à le temps de nous expliquer la différence entre un chef et un patriarche en pays Bassa. Pour faire bref, le premier est élu et le second s’acquiert par hérédité. Il souligne aussi le caractère cosmopolite de Kissoum.
Au moment où je rédigeais ces lignes sur une tablette, la nuit était tombée et elle est vraiment noire dans un village sans électricité. Nous laissons respirer nos pieds pour les préparer pour la prochaine étape : cap sur EDEA à 22 km de KISSOUM. Puisse le sang humain cesser de couler dans le NOSO au profit du dialogue, de la justice et de la paix. Puisse la fraternité triompher.
Ludovic Lado SJ