Il a fallu deux pages pleines au ministre de l’Enseignement supérieur, le Professeur Jacques Fame Ndongo pour tenter d’apporter une explication sur structure syntaxique du mot « mesures barrières », dont l’usage s’est accru avec l’arrivée de la pandémie du Covid-19 dans le monde.
Interpelé par un internaute sur la question, le professeur de Lettres et sémiologie dans son cours de Grammaire normative teinté de sémiotique arrive à la conclusion selon laquelle, le trait d’union ne saurait se justifier entre le terme « mesure barrière ».
Ci-dessous, le texte du Pr Jacques Fame Ndongo
LA PROBLÉMATIQUE DU PLURIEL ET DU TRAIT D’UNION : FAUT-IL ÉCRIRE « MESURES-BARRIERES », « MESURES BARRIERE » OU « MESURES BARRIERES » ?
1— Du lexique médical au langage courant
Venant du métalangage médical, l’archi-lexème (mot composé) « mesure barrière » vient de faire une entrée fracassante dans le niveau de langue courant, voire familier. Du niveau de langue jargonnesque (jargon d’un métier), il est entré dans la langue de tous les jours et de tous les milieux sociaux au même titre que « geste barrière ». Si, au plan oral, son articulation ne pose aucun problème au locuteur [mƏZYr bariƐr], l’encodage écrit (graphème) demeure problématique.
2— Questionnement grammatical
D’aucuns écrivent « les mesures barrières »; d’autres « les mesures-barrières » (avec un trait d’union) et certains « les mesures barrière », voire les « mesures-barrière ».
Le questionnement grammatical est double : faut-il un trait d’union entre « mesure » et « barrière » ? Faut-il accorder « barrière » en « nombre » (marque du pluriel) lorsque le nom « mesures » est au pluriel ?
3— Quelle est la règle ?
Monsieur Bbeï Kertemar, de nationalité tchadienne, m’a interpelé, à travers les réseaux sociaux, à la suite de mon « post » intitulé « cérémonie conviviale et citoyenne après l’élection du Président du Conseil Régional du Centre » (27 février 2021). Il n’a évoqué que la problématique du nom commun « barrière » accordé au pluriel comme le substantif « mesures » (précédé d’un déterminant au pluriel : « les », « des », « ces », « ses », « mes », « vos », « leurs », etc.). Il voudrait connaitre la règle grammaticale qui autorise cet accord (il pense, sans nul doute, à des pluriels comme garde-robes, porte-fanions, timbres-poste, etc..).
4— L’étymologie ou la nature ?
Je rappelle que, le pluriel des noms dits composés demeure l’un des domaines les plus délicats de la grammaire française normative. Certains grammairiens ont voulu normaliser l’usage en se fondant sur l’étymologie des termes juxtaposés, là où d’autres, à l’instar de Maurice Grevisse (Le bon usage 12ème édition refondue par André Goosse, Paris, Ed Duculot, p. 256 et suiv), préconisent de privilégier la nature des éléments du composé.
5— Deux usages
En tout état de cause, le composé qui nous intéresse ici est du type nom+nom (et non, verbe +nom : garde-robes, porte-fanions, « garde » étant la forme substantivée du verbe « garder » et « porte » étant celle du verbe « porter »). La norme grammaticale d’accord prévoit alors deux usages :
1— Si le second nom est considéré comme un élément apposé ou coordonné au premier, les deux éléments s’accordent en nombre. Cela se vérifie avec des mots composés tels que « chefs-lieux », « oiseaux-mouches », « sabres-baïonnettes », « loups-garous », « avocats-conseils »…
2— Si l’un des deux noms est complément de l’autre, seul ce dernier prend la marque du pluriel. C’est le cas de « bains-marie », « timbres-poste », « Hôtels-Dieu », etc.
6— Quid du trait d’union ?
S’agissant du trait d’union, sa présence est recommandée par la grammaire française dans certaines circonstances comme marque d’unité lexicale :
– Soit dans les composés qui résultent d’un changement de catégorie (après-midi, sous-main, sans-gêne)
– Soit dans les composés formés d’un élément verbal (porte-barrière, tire-bouchon)
– Soit dans les composés résultant de la nominalisation d’un syntagme (laissez-passer).
7— Une unité lexicale et sémantique
À l’évidence, « mesure barrière » n’entre dans aucune de ces catégories. Par conséquent, le trait d’union ne saurait se justifier.
Dans « mesures barrières », les deux noms sont juxtaposés dans un rapport logique d’apposition, puisqu’ils concernent la même réalité (mesure barrière). D’où l’accord justifié des deux lexèmes au pluriel. Il s’agit d’une unité lexicale et sémantique que l’on ne saurait dissocier. Relativement à la structure de surface, le méta-syntagme nominal « mesure barrière » (nom+nom) est sous-tendu par une structure profonde : « une mesure qui génère des barrières ou une barrière contre la ou les maladies ». La subordonnée relative (« qui génère ») fonctionne dans le génotexte et s’est amuïe (s’efface) dans le phénotexte « mesure barrière », tout comme la périphrase « contre la ou les maladies ». Elle pourrait, ici, revêtir une fonction épithète (phénomène de l’épithétisation du substantif, explique la grammaire transformationnelle).
8— La norme
Il est donc correct d’écrire, au pluriel : « les mesures barrières ». Le nom « barrière » se mue, ainsi, mutatis mutandis, en substantif adjectivé revêtant, dans le cas d’espèce, la fonction d’épithète (après un effacement du pronom relatif « qui » et de la copule, c’est-à-dire la racine infinitive du verbe « générer »). Lire, à ce sujet, Éléments de linguistique française : syntaxe. (Ed.librairie Larousse. P.263), par Jean Dubois et Françoise Dubois-Charlier.