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[Tribune] Célestin Bedzigui : « Il faut sauver le Professeur Fridolin Nke pour sauver la Liberté d’opinion »

F Nke

Dans une tribune parue dans le quotidien LE JOUR du 23 Juillet 2021, Sa Majesté Célestin Bedzigui monte au créneau pour défendre le philosophe Fridolin Nké qui a été convoqué au SEMIL, au sujet d’une affaire le concernant avec le directeur de cette institution du ministère de la défense, le Colonel Emile Bankoui. Il invite le Dr Nké à ne pas répondre à cette convocation.

F Nke
Fridolin Nké – Capture photo

Lebledparle.com vous propose l’intégralité de la tribune.

*Le Philosophe et le Sécurocrate*

Sauver le Professeur Fridolin Nke pour sauver la Liberté d’opinion »

Le Cameroun est-il voué à  devenir la terre de tous les avatars? La puissance de l’État doit-elle être dévoyée par une utilisation abusive de ses organes contre les droits des citoyens ? Devrait-on  laisser les leviers de ces organes entre les mains de sécuritocrates qui les  utiliseraient à la guise de leur exaltation,  habités qu’ils sont par le seul esprit de répression sans mesurer les risques de rupture  politique que leurs initiatives font encourir à la communauté nationale? Doit-on laisser ainsi le droit citoyen fondamental de la liberté d’expression et d’opinion  être assassiné ?

La réponse que tout citoyen  déterminé à protéger des droits destinés à garantir l’épanouissement de tous est NON! NON!NON ! NON!

Le champ d’un rejet total  de tels maldones  s’étale sous nos yeux quand on voit  un  Professeur d’Université, enseignant  de philosophie et donc porteur par excellence de la flamme de l’éveil de l’esprit et de la liberté d’opinion, le jeune Philosophe Fridolin Nke, être convoqué à la SEMIL,  le service de renseignements de l’armée,  par le Colonel Bamkoui, le patron de cet organe,  sécurocrate à qui, dans l’opinion, sont imputés des  actes d’une gravité extrême que par décence nous taisons ici, bien qu’ils restent  inscrits sur le marbre de la mémoire collective et qu’ils  glaceraient d’effroi les plus courageux.

 D’être dans le viseur de ce personnage a suscité le plus grand émoi du Pr Nke, de son entourage et de sa communauté, pour  lesquels sa vie  serait en danger si par imprudence il déferait à une telle convocation qui n’est justifiée par aucune raison licite.

La qualité de philosophe du Professeur Nke Fridolin n’est pas une gâterie que notre plume lui décerne. Dans une tradition séculaire de professeurs  de philosophie Eton dont les Professeurs  Marcien Towa, Mono Ndjana, tous autant du clan Essele, lui du clan Menyagda, c’est le produit d’un long parcours académique reconnu par l’Université-mère de notre pays à Yaounde Ngoa Ekele où est localisé son bureau et où il professe  dans la pure tradition des philosophes de tous les temps, sous le chapiteau  de la critique des mœurs et de la société. Et c’est là, en toute violation des franchises universitaires universelles, qu’une escouade d’éléments lourdement armées sont allés pour l’enlever mais, ne l’ayant pas trouvé, lui ont laissé une convocation à  se présenter … au Directeur de la SEMIL…

Question grave ici: Que va faire un Professeur d’Université, enseignant de philosophie,  à la Direction de la Sécurité Militaire du Ministère de la Défense sinon  s’exposer imprudemment  à l’intimidation voire à  sa « neutralisation »? Tout fonctionnaire, fût-il des Ministères en charge de la Defense et  de la Sécurité,  a-t-il ainsi autorité et pouvoir pour convoquer un citoyen, de surcroît  Professeur d’Université à sa guise? Le Cameroun est-il devenu un Etat policier sous siège, avec limitation de  l’expression de leur opinion imposée aux citoyens ??? Sur la base de quelles lois  les sécurocrates croient pouvoir continuer d’écraser tous les droits citoyens  en persistant dans des pratiques répressives des temps révolues ?

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Quelle législation, dans notre pays, autorise le responsable d’une administration à  convoquer un citoyen  alors  qu’elle ne relève pas des services judiciaires civils ou militaires?

Il est vrai que de tout temps, le philosophe, dans sa fonction  d’agitateur de la pensée est exposé aux pulsions mortifères d’une frange rétrograde de la société.  C’est cette frange  qui a contraint Socrate, il y 3000 ans, à  se donner la mort en buvant la ciguë.  Heureusement qu’il y a aussi   des esprits pour leur barrer la voie. Ainsi par exemple, au plus fort des événements de Mai  1968, le Ministre de l’ Intérieur Marcellin sollicitant du Général de Gaulle l’autorisation de placer le philosophe Jean Paul Sartre en état d’arrestation au prétexte qu’il soutenait la contestation estudiantine s’est fait tancer par un, je cite : « Non, Monsieur le Ministre, on n »embastille pas Voltaire ».

Et là,  je me revets de ma robe de lumière pour dire,  tout d’abord, en homme politique, élu, à qui est assigné le devoir de prendre la défense des citoyens abusés: le Professeur Nke, citoyen de plein droit,  ne saurait être inquiété et convoqué à la Sécurité Militaire qui n’est pas dans la nomenclature des services judiciaires de l’ Etat et surtout, n’est pas un élément des FDS et n’a commis aucune infraction ou crime armé.

Ensuite, en tant que  Chef traditionnel Eton dont la mission est de défendre ses enfants en danger et si nécessaire  à mobiliser sa communauté pour la cause s’il le faut, je  dis ici avec énergie et fermeté: L’un des plus brillants  intellectuels Eton et auquel tient sa communauté, le Pr Fridolin Nke ne saurait déférer à  une convocation de la Sécurité Militaire qui mettrait en danger son intégrité physique sans que cela ne soit un asservissement à un ordre inique, scélérat, anti-républicain que certains croient pouvoir voir perdurer  dans notre pays. Devrait-il y être contraint que le donneur d’ordre  de cette initiative devra assumer  les suites imprévisibles de l’engrenage qu’il enclencherait. C’est de cette manière que d’abus en abus, de telles pratiques des sécuritocrates dans le NOSO,  ont plongé le pays dans le gouffre où il se débat à cette heure. Trop, c’est trop.

Depuis  trois décennies, le peuple camerounais mène un combat à souffle tendu contre des forces rétrogrades pour une jouissance de ses libertés citoyennes. Nous avons à l’esprit le souvenir de Njawe Pius qu’on peut dire avoir consumé sa vie dans ce combat. Il n’y a pas si longtemps, j’ai eu à apporter mon soutien au Chef Supérieur de Bamendjou, Sa Majesté Sokoudjou, qui avait été abusivement réprimandé par une autorité administrative zélée.

Faut-il donc  qu’après les autorités administratives,   ce soient les services de renseignements des FDS  qui se muent en organe de répression des citoyens? Par quelle législation  notre pays se verrait imposée une  » Loubianka » à  la soviétique, ce service de renseignement militaire chargé d’intimider et d’éliminer en son temps les tenants d’opinions dissidentes ?

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 Il nous revient d’ailleurs que la raison des manœuvres d’intimidation et d’une possible « neutralisation » du Pr Fridolin Nke serait sa désapprobation de la poursuite de la guerre dans le NOSO. Si tel est le cas, je donne ici, urbi et orbi , l’occasion que soient lancés aussi des séides à mes trousses car je suis de ceux qui pensent que si ce conflit perdure avec autant de perte en vies humaines,  c’est le produit d’une incompétence de ce gouvernement qui semble ne pas avoir le  courage  politique suffisant pour  choisir une stratégie  claire entre une guerre totale ou des négociations inclusives, option qui a mes faveurs plutôt que de continuer à   brandir comme une amulette païenne, le Grand Dialogue National, Grand Dialogue National, alors que la preuve est  faite qu’il s’est agit  d’un coup d’épée dans l’eau sans aucun résultat.

Lorsqu’on a vu sur les réseaux sociaux les images sanglantes et horribles des scènes de guerre du NOSO, plutôt que d’entretenir une diversion dérisoire comme la convocation du Pr Fridolin Nke à la SEMIL, l’opinion  attend que les responsabilités soient dégagées et que les conséquences soient tirées en terme de réalignement stratégique et politique.

En 1991, en une équipe restreinte autour du Premier Ministre Hayatou, nous avons pu,

 avec la Tripartite, bâtir un compromis républicain qui, s’il n’avait pas été par la suite unilatéralement violé, nous aurait assurément épargné la guerre sanglante actuelle dans le NOSO. Si cela a pu se faire  à l’époque alors que 7 régions sur 10  du pays étaient  paralysées par « les villes mortes », cela peut également se faire aujourd’hui, à condition que,  si l’option politique choisie est celle du dialogue inclusif,  soient impliquées  les parties actives au conflit, l’idée de l’acceptation des compromis en réparation des erreurs du passé soit acquises,    les négociations soient menées en continu avec une équipe expérimentée.

Les sécurocrates  ne sauraient aujourd’hui par des actes de vilenie politique, comme cette  convocation à la SEMIL d’un Professeur d’université, continuer  à  essaimer des frustrations dont la multiplication a été à l’origine de la crise du NOSO. Nous sommes en devoir de ne plus les laisser faire. Tenant compte de ce que les mêmes causes pourraient produire les mêmes effets, nous attirons l’attention de ceux à qui incombent la responsabilité  politique de préserver la paix, pour qu’ils tempèrent les ardeurs des adeptes de méthodes répressives aujourd’hui inacceptables et dépassées, au risque, s’ils ne le font,  de voir éclater d’autres foyers de contestation violente. 

Pour le pallier, nous appelons ce gouvernement  à s’atteler à mettre en œuvre ce qui peut tenir lieu de feuille de route tel qu’enoncé plus haut.  C’est sur lui que repose l’impératif de ramener la paix et la concorde civile dans notre pays et non aux securicrates exaltés. Il doit s’en préoccuper davantage plutôt que de privilégier des actions et des activités purement cosmétiques  et contreproductives.

Célestin Bedzigui

Président du PAL


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