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Serge Gautier Onanina : « Le surprenant silence de la classe politique africaine » au sujet du Sommet Afrique-France

Serge Gautier Onanina tribune

Le journaliste et analyste politique a proposé le mardi 12 septembre 2021, une réflexion sur le Sommet Afrique-France pour déplorer le silence de la classe politique africaine.

Serge Gautier Onanina tribune
Serge Gautier Onanina – DR

Lebledparle.com vous propose la tribune intégrale.

Sommet Afrique-France : Le surprenant silence de la classe politique africaine.

L’événement a fortement dominé l’actualité de ce week-end au point de presque la saturer. Mais il a surtout déchaîné de vives passions entre adversaires et donc détracteurs à raison ou à tort de la démarche d’une part,  et  soutiens d’autre part. Le sommet Afrique-France dont l’organisation conceptuelle et opérationnelle a été confiée à l’intellectuel Camerounais Achille Mbembe vient de se terminer à Montpellier autour des échanges et discussions entre 2000 acteurs et jeunes de la société civile africaine et le Président français Emmanuel Macron. Bien avant la grande messe, un rapport de 13 propositions développées sur 150 pages lui a été remis  par l’universitaire. Elles portent principalement sur les questions de démocratie, de dignité et de mobilité.

Même s’il s’en défend très régulièrement, l’historien philosophe de renom est connu et considéré comme le plus grand théoricien de la postcolonie, avec un regard critique sévère sur ses modalités, ses pratiques et ses perspectives. Produit de l’Université africaine et française , l’auteur de Sortir de la grande nuit : Essai sur l’Afrique décolonisée en 2010 , de Critique de la raison nègre en 2013 , de Politiques de l’intimité en 2016 et de Brutalisme en 2020 appartient  avec les Sénégalais Mamadou Diouf et Soulemayne Bachir Diagne et son compatriote Célestin Monga , à la crème des intellectuels universitaires francophones qui font la fierté de l’Afrique dans les universités américaines de Harvard , de Columbia ,Duke, au moment où la pensée européenne est en pleine décadence , et que les laboratoires et écoles de pensée de Paris,  de Londres et de Francfort se font supplanter par celles outre Atlantique.

Conscient de ce que l’Afrique est devenu l’un des enjeux géostratégiques majeurs de ce XXIè siècle , l’intellectuel Camerounais a cofondé avec l’écrivain, économiste, universitaire et musicien sénégalais Felwine Sarr ,l’auteur  de Afrotopia , Les Ateliers de la pensée , sorte de laboratoire et d’école de la pensée , afin d’outiller intellectuellement l’Afrique à se préparer aux  enjeux de son devenir dans le monde d’aujourd’hui et demain , et de se frayer son propre chemin à la mesure des défis de notre temps. Les Ateliers de la pensée qui se déclinent le plus souvent en une vingtaine d’axes thématiques ,  ont vu passer les plus grandes figures intellectuelles du continent et de sa diaspora , de Lilian Thuram à Christiane Taubira ,en passant par Kako Nubukpo , Célestin Monga ,etc.  Placée sous le thème  » Cosmogonie du lien et formes de vie « , sa 4e édition se tiendra du 23 au 26 mars 2022 à Dakar au Sénégal , un pays dont Achille Mbembe est depuis quelques temps le détenteur d’un passeport , afin de contourner les lourdeurs de procédures de l’administration publique son pays d’origine.

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Acculée par un sentiment anti-français de plus en plus marqué chez des populations africaines exaspérées  par l’impuissance de leurs dirigeants à se défaire des accords coloniaux , du FCFA , de la présence des bases militaires françaises en Afrique , des interventions et de l’ingérence françaises dans les affaires internes de leurs pays  ,de l’exploitation abusive des ressources de leurs sols et sous-sols , la France a-t-elle voulu séduire la cible qui  se positionne désormais comme son principal adversaire idéologique et donc sa véritable nouvelle  menace sur le continent , afin de prolonger son influence en déclin ? Les perceptions  de la démarche diffèrent en tout  cas selon diverses considérations .Mais le camp  des hostiles semble dominer celui des sympathiques.

On pourrait  dans le registre des critiques lui faire le reproche d’avoir dérogé à une règle classique : supprimer le traditionnel face-à-face entre le président de la République française et ses homologues africains, parsemé de discours et de huis-clos, sanctionné par un communiqué final. La question des résultats de cette ancienne formule sur le bien-être des populations surgirait alors très vite.

On pourrait  également relever  le calcul politique personnel  relatif à la séduction de l’électorat des  français  d’origine africaine à quelques mois de l’élection présidentielle en France.

 On pourrait enfin reprocher à la démarche son caractère paternaliste, de parler du  continent africain, de ses problèmes et de ses solutions chez le bourreau, à l’image d’une souris invitée à une conférence financée par le chat pour lui dire : »Quand tu me manges, ça me fait mal », pour reprendre l’allégorie du père Ludovic Lado. Une posture  en phase avec la tribune intitulée « Montpellier, la Françafrique à bout de souffle « de l’essayiste Boubacar Boris Diop et publiée quelques jours avant le Sommet Afrique-France pour qui « Un rendez-vous tel que celui de Montpellier n’aura de sens que le jour où nos pays seront maîtres de leur destin.  »  L’économiste camerounais Célestin Monga, enseignant à Harvard School et professeur associé à Paris I-Panthéon Sorbonne, dans une tribune parue dans le journal Le Monde du 9 octobre  considère quant à lui que « l’élite politique française est prisonnière de vieux schémas de développement cruellement inopérants. Elle gagnerait pourtant à s’émanciper de ses névroses coloniales et à comprendre qu’une Afrique libre et performante est son véritable intérêt – et cela indépendamment des origines des investisseurs qui y financeraient la formation du capital humain, des infrastructures et d’institutions efficaces ».

Mais  convenons tout de même que même si ce  rebranding passe mal, la formule des discussions et échanges directs, francs, sincères et sans filtre de cette nature avec le peuple ou ses représentants les proches, loin des rapports factices et éloignés de la réalité  que les collaborateurs  servent parfois au Chefs d’Etat est un exemple positif à imiter, à copier. Le Président Macron y a survécu et se porte physiquement et moralement bien, au sortir  de ces moments décomplexés et sans complaisance de vérités dans l’élégance et la courtoisie.

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Un exemple d’approche dont certains pourraient s’inspirer à condition de le vouloir .Vont-ils alors  s’en saisir ou considérer que la France n’est pas l’Afrique ? Nos dirigeants ont -ils par ailleurs pris conscience de la nécessité  de capitaliser la montée de ce sentiment anti-français et sont-ils suffisamment outillés et rusés pour  mettre cette marque d’hostilité à contribution pour se débarrasser de ce bourreau colonial séculaire qui refuse de voir son empire mourir ? Les lendemains seraient intéressants à scruter dans ce sens.

Et la classe politique africaine dans tout cela ?

Elle ne s’est pas beaucoup fait entendre  ni sentir au sujet des enjeux et  perspectives de son continent, dans un contexte où ni l’autorité ni la puissance de l’ancienne mère patrie ne font plus peur.

Au Cameroun, Chief Milla Assoute du RDMC a eu le courage d’une sortie dans laquelle il qualifie  le sommet de Montpellier de projet « de recolonisation consentante du Continent  » , de  » véritable plaisanterie honteuse  » et de « Tartufferie blessante » . Il est rejoint dans cet élan par  Anne Féconde Noah du PCRN qui s’interroge sur la contrepartie des millions du Fonds d’innovation pour la démocratie face des dirigeants légitimement élus par des peuples auxquels ils seront appelés à rendre compte. Pas de doute en tout cas pour Chief Milla Assoute, pour qui ce sont des « fonds pour déstabiliser l’Afrique et pour financer le désordre ».

Silence d’ensemble pour le reste .De quoi se demander de quoi nos politiciens se préoccupent  le plus .Du rôle de futur vassal à jouer ou de celui de libérateur  et de conducteur de leurs peuples vers l’indépendance totale et la prospérité ?

 Comme le rappelle Sartre au sujet de l’engagement littéraire : »L’écrivain est en situation. Chaque parole à un retentissement, chaque silence aussi. » Une vérité qui s’applique davantage à nos politiciens chez qui l’émancipation des névroses coloniales est une  urgence à côté celle des  égoïsmes personnels.

Le contrôle intégral de notre destin, de notre  liberté totale et  de notre prospérité complète passe par ces préalables nécessaires et par ces indispensables exigences.


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