Il est très discret et réservé. Parle très peu. Ne côtoie pas les milieux mondains. Son nom n’apparaît presque pas dans les scandales politiques et financiers qui meublent le quotidien des camerounais.
Pourtant René Emmanuel Sadi, diplomate de formation, est dans les couloirs du pouvoir de Paul Biya depuis plus de 30 ans. Dans un contexte de lutte de succession, guerre de clans, son nom est régulièrement cité dans les salons à Yaoundé comme potentiel successeur de Paul Biya. Les arguments ne manquent pas. Enquête sur un homme qui tisse dans l’ombre sa prise de pouvoir.
A Yoko, dans la forêt du Mbam et Kim, il est considéré comme « l’enfant du pays ». Sa résidence située sur une colline surplombe la ville. Au-delà de la célèbre prison de Yoko, qui a accueilli les prisonniers politiques sous le régime Ahidjo, c’est l’une des attractions pour tout visiteur qui passe dans cette ville où rien n’a changé ou presque depuis l’indépendance du pays, il y a 56 ans.
René Emmanuel Sadi s’y rend parfois lorsque son agenda le lui permet. La route n’étant pas goudronnée, il est plus visible sur place en saison sèche. Il consulte, discute, réconforte et 48 heures plus tard, reprend la route. Ces heures passées avec lui par les populations locales et ses proches font oublier toute la pauvreté ambiante de l’arrondissement. « Sadi nous a sorti du noir et de l’hibernation » confie une jeune. Beaucoup, au-delà de l’arrondissement de Yoko, dans le Mbam de manière générale, le voit déjà en dauphin du chef de l’Etat.
Diplomate de formation Né le 21 décembre 1948 à Maroua dans l’Extrême-Nord au Cameroun, René Emmanuel est le fils de François Sadi, infirmier bréveté ayant servi l’administration coloniale dans la région septentrionale du pays. Après son baccalauréat en philosophie, il entre à l’université de Yaoundé où il effectue des études de droit, puis à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC). Il sera recruté en 1975 au ministère des affaires étrangères. Il est nommé par la suite deuxième secrétaire, puis premier secrétaire de l’ambassade du Cameroun au Caire.
Revenu au pays, il devient conseiller technique, puis diplomatique de Ahmadou Ahidjo. Lorsque ce dernier démissionne en 1982, il l’embarque avec lui. Malin, Sadi survit à la disgrâce du Père de la Nation qui s’ensuit. Il est renvoyé à son ministère d’origine au poste de directeur des études et de l’information. Il est promu directeur adjoint du cabinet civil de la présidence de la République en 1985, alors qu’à ce moment, une chasse à l’homme est engagée contre les anciens collaborateurs de Ahmadou Ahidjo. Avant d’être conseiller technique au Secrétariat général de la division des affaires de la protection diplomatique de la présidence de 1995 à 2004.
En décembre 2004, René Emmanuel Sadi est nommé Secrétaire Général Adjoint à la présidence. Une position qui lui permet alors de faire partie des voyages officiels du président de la République. Dès lors, « le digne fils du Mbam » est presque de tous les voyages du chef de l’Etat qui ne se passe plus de lui. Paul Biya a pris soin de l’étudier depuis son arrivée à la tête de l’Etat en 1982. Il ne l’a pas rejeté, il a éloigné pendant quelques temps, puis ramené et sa loyauté semble l’avoir rassuré. Et Sadi apprend également à connaître le personnage. Il sait que le chef de l’Etat aime les hommes discrets et travailleurs. Il s’y attèle. Régulièrement, il lui fait des notes. Paul Biya apprécie.
Dès 2006, le « lion d’Etoudi » pense sérieusement à se représenter. Or, son parti le RDPC est en lambeaux depuis le congrès de 2004 qui avait été marqué par des fractures au sommet du parti et de l’appareil de l’Etat. Il faut un homme pour remettre les choses dans l’ombre. Le nom de Sadi circule. D’ailleurs, il le connait très bien et ne doute pas de lui. Le 4 avril 2007, à la surprise général, le chef de l’Etat lui confie le secrétariat général du comité central du RDPC, en plus du poste de secrétaire général adjoint de la présidence. Une véritable marque de confiance.
Il se distingue rapidement par son style dénote avec le rythme imposé par son prédécesseur Joseph Charles Doumba. Interdiction des meetings Au comité central, il discute, négocie, réhabilite, consulte. Il se construit une véritable stature de chef. Il présente l’image d’un homme humble. Qui sait écouter. Il ne décide de rien et confie régulièrement que la dernière décision revient au chef de l’Etat. Mais lucide, c’est là qu’il commence à placer ses pions. Les dossiers techniques, il les confie largement à Pierre Celestin Ndembiyembe et Benoit Ndong Soumhet. Il appelle régulièrement Fame Ndongo, voit Talba Malla. Le parti revit. René Sadi gagne l’attention des militants. Il réussit à entrer dans les grâces du récalcitrant Charles Ateba Eyene de regretté mémoire, qui salue partout sa dévotion pour le parti. Les militants le prennent pour le sauveur. Il est sur toutes les lèvres.
Paul Biya lit tout et voit tout. Mais Sadi est malin. Au même moment l’opération Epervier a été déclenchée afin de débarrasser le chef de tous ceux qui lorgnent son royal fauteuil.
Il ne réagit pas, ne dit rien, bien que ce soit de hauts cadres du RDPC qui soient principalement arrêtés. Lorsque des scandales sont dévoilés par la presse, discrètement, il crée une commission qui fait sa propre enquête et envoie les conclusions auprès du chef de l’Etat. A Yaoundé, les langues commencent à se délier. Beaucoup commencent à voir un potentiel successeur. Pour les conforter, en décembre 2011, Paul Biya fait de lui le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation. Après la diplomatie qu’il connaît, le parti qu’il contrôle et où il a imposé ses pions et bâtit un réseau, il est projeté au poste de ministre de l’administration territoriale. C’est le chef des terres comme on dit au quartier.
Il contrôle gouverneurs et préfets. « L’homme de Yoko » est rusé. Il consolide son réseau et place les siens. Il fait par exemple nommer son fils premier adjoint préfectoral dans le Mfoundi et n’hésite pas également à parachuter les enfants de ses amis dans la préfectorale. Le calcul est simple : en ces temps d’incertitudes sur la succession, il est important d’avoir ses hommes sur le terrain. D’ailleurs, ils le lui rendent très bien. Les meetings et manifestation de l’opposition sont systématiquement réprimés. Elle ne peut donc pas se déployer. Ce qui peut dès lors au moment venu lui ouvrir les portes du paradis.
QUI PEUT L’ARRETER ?
René Emmanuel Sadi jouit d’un atout, ni du Nord, ni du Sud,issu d’un groupe ethnie minoritaire, il apparaît comme un schéma crédible pour bouleverser le mythe de l’axe Nord-Sud afin de relancer les cartes au sommet de l’Etat. Mais le chemin s’annonce périlleux. Ses relations avec Grégoire Owona, secrétaire adjoint du comité central et ministre du Travail et de la Sécurité sociale sont houleuses. Martin Belinga Eboutou, le tout puissant directeur du cabinet civil et homme de main du chef de l’Etat, ne l’aime pas du tout. Le Garde des sceaux, Laurent Esso, le « cœur du pays », homme de confiance du chef de l’Etat le déteste tout autant. Avec le Nord par contre, il a été habile. Même il ne s’en est pas pris à Marafa Hamidou Yaya, il entretient des relations cordiales le Sécretaire à l’Organisation du parti et directeur de la Sonara, Ibrahim Talba Malla et n’égratigne pas Cavaye Yeguié Djibril. Mais tous l’ont dans le collimateur. Avec l’Ouest dont il est géographiquement proche il joue l’apaisement et parfois au ponce pilatisme….Il sait que le chemin sera long et périlleux…
© Boris Bertolt, Correspodance