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[Tribune] Louis Marie Kakdeu : « L’investissement dans l’aviculture est à haut risque » au Cameroun

secteur avicole Cameroun

L’universitaire et économiste, Louis Marie Kakdeu a publié une tribune le mercredi 16 février 2021 pour la mort programmée du secteur avicole au Cameroun. L’analyste des questions économiques estime que le Cameroun gère mal la crise de grippe aviaire dans le secteur. Et ce sont les éleveurs qui sont perdants dans cette affaire.

secteur avicole Cameroun
Cartons d’œufs – capture photo

Lebledparle.com vous propose le texte intégral.

Cameroun : Vers la disparition du poulet national dans nos assiettes

Par Louis Marie Kakdeu

L’on s’achemine petitement mais sûrement vers une crise alimentaire sévère au Cameroun. Et pour cause principale, la dépendance quasi-totale à l’étranger et la gestion catastrophique des crises sanitaires. Je ne vais parler que du poulet ce soir.

Voici le tableau : Sur 1000 éleveurs de poulets que nous avions identifiés au Cameroun en mars 2016, il n’en restait plus que 12 dans le secteur en 2021. Plus de 988 anciens éleveurs ont changé d’activité ou alors ne font l’élevage du poulet que comme activité complémentaire. Et pour cause, le secteur n’est plus sécurisé. L’investissement dans l’aviculture est à haut risque. Beaucoup d’éleveurs ont migré vers des secteurs refuges comme celui de la pomme de terre. Entre 2006 et 2016, il était banal de retrouver des fermes de 60 à 120 000 sujets au Cameroun. De nos jours, c’est devenu un luxe d’en trouver. Il y avait une soixantaine d’industriels et de semi-industriels. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’une dizaine. Le secteur avicole était excédentaire de plus de 18 milliards de francs CFA par an. On exportait les produits aviaires camerounais dans toute la sous-région de l’Afrique centrale jusqu’au Soudan. De nos jours, le secteur est extrêmement déficitaire. Le poulet coûtait 1800 FCFA au marché. Aujourd’hui, la ménagère doit débourser en moyenne 4000 FCFA pour manger un poulet. Le secteur pesait 300 milliards de FCFA par an. On l’évaluait à près de 5% du PIB national. En 2022, le tissu économique national est entièrement détruit. L’aviculture est l’ombre d’elle-même. L’interprofession avicole (IPAVIC) était bien organisée. De nos jours, l’IPAVIC est très divisée. Elle n’est plus le modèle de structuration des producteurs au Cameroun. Elle est même politisée voir muselée.

La principale raison de cette débâcle du secteur avicole au Cameroun, c’est la gestion catastrophique des épizooties de grippe aviaire. Le Cameroun en fait une affaire exceptionnelle. On dirait que ça n’existe que dans ce pays. On ferme tous les corridors commerciaux. Même le Covid-19 n’a pas fait autant peur au gouvernement que la grippe aviaire. On ne sait pourquoi. On ne sait pas encore qui est-ce que la grippe aviaire a déjà tué au Cameroun. On ne sait pas pourquoi tous les pays du monde vivent en permanence avec la grippe aviaire sauf le Cameroun. On ne sait pas pourquoi le Cameroun n’applique toujours pas bien les mesures de biosécurité pour prévenir la grippe aviaire et le protocole de l’OIE pour lutter contre la grippe aviaire. On fait tout sauf ce qu’il faut faire sur le plan sanitaire pour contenir la maladie. On cible seulement l’économie au lieu de cibler la maladie. Par exemple, le protocole sanitaire veut que l’on érige des barrières au niveau des fermes pour éviter la propagation du virus. Au Cameroun, on érige des barrières plutôt en route pour extorquer les éleveurs ou encore les pousser à la faillite. Or, au niveau de la route, le virus se serait déjà propagé s’il existait vraiment !

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Et qui sont les perdants ?

Ce sont les pauvres éleveurs déjà manipulés eux-mêmes. Ils sont aujourd’hui divisés. Le camp pro-gouvernemental est convaincu que tout ce que le gouvernement fait est bon pour eux. Ainsi, le gouvernement peut détruire leurs fermes à leurs frais et à plusieurs reprises que ce serait pour leur bien. Ils remercient le Chef de l’Etat. Et ceux qui peuvent iront encore s’endetter pour revenir enterrer dans ce cercle vicieux jusqu’à devenir insolvables auprès de tous les créanciers possibles. L’innovation de l’épizootie de 2022 est que c’est le loup qui chasse le loup. Ainsi, ce sont les éleveurs qui sont montés pour combattre les éleveurs. Le gouvernement joue les spectateurs. Ce soir du 15 février 2022, il y avait la tension dans l’air à Bafoussam entre les petits éleveurs qui cotisent chacun quelques cartons pour faire un camion et les gros éleveurs qui ont leurs entrées privilégiées dans l’administration régionale. Nous avons inventorié 8 camions de produits aviaires des petits éleveurs stationnés depuis le dimanche 13 février 2022 en attente d’autorisation de sortie pour l’approvisionnement des différents marchés. Ci-joints les images des camions.

Le problème est que la mafia s’est emparée de la gestion de la crise. Ceux qui peuvent payer le prix fort se voient leurs produits autorisés à regagner les marchés. Or, les petits éleveurs ne demandent qu’à récupérer leurs petits investissements pour fuir eux-aussi vers les secteurs de refuge.

Par conséquent, il faut s’attendre à subir les méfaits de cette nouvelle crise dans le panier de la ménagère. Le bassin de l’Ouest représente plus de 80% de la production nationale. En termes de proportionnalité, c’est normal qu’il soit le bassin le plus souvent touché par l’épizootie. La solution définitive à cette affaire serait l’autonomisation du Cameroun en production d’intrants que sont les Œufs à Couver (OAC) et les poussins d’un jour. Il y a 6 ans, près de 60% d’intrants étaient produits localement. Il y avait encore à Yaoundé la ferme de Mvog-beti par exemple. Mais, la gestion catastrophique de l’épizootie de mars 2016 avait détruit tous les espoirs de la production nationale. C’est regrettable que l’on soit au Cameroun dans un pays où l’on doit toujours rentrer dans le passé pour retrouver de meilleures références dans ce monde où d’autres pays prennent des décisions appropriées pour se développer à grande vitesse. Il n’y a pas d’autres choix que de rentrer au moins au niveau où le pays était en 2006. Il n’y a pas d’autres choix que de respecter la législation en vigueur. Le gouvernement doit une fois pour toute prendre des actes d’utilité publique pour détruire les biens des citoyens. Cela ouvre la voix aux indemnisations. L’on ne peut pas toujours détruire des fermes des petits éleveurs sans indemnisation. Pire, on ne peut pas le faire à leurs frais. Mieux, il faudrait intensifier l’installation d’une ferme grand-parentale au Cameroun pour limiter les importations d’intrants qui sont la porte d’entrée de la grippe aviaire au Cameroun. Sauf que le lobby des importateurs ne voit pas cette autonomisation de bon œil. Sauf que personne n’a jamais sanctionné ces importateurs véreux et leurs amis fonctionnaires véreux qui détruisent le tissu économique national. Pour l’instant, ils sont riches et tout puissants. Allez les voir à Bafoussam ! Ils se comportent comme si les pauvres petits éleveurs étaient obligés de demeurer dans l’aviculture pour acheter leurs produits importés !

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Comme toujours, notre rôle est de lancer l’alerte ! Que ceux qui peuvent écouter, écoutent ! Donnons-nous rendez-vous d’ici la fin de l’année 2022 pour réévaluer la situation. On verra lequel des éleveurs sérieux perdra encore son temps dans l’aviculture au lieu de s’investir dans d’autres secteurs plus sûrs ! Le plan des lobbies serait-il de tuer la production nationale pour justifier la ré-autorisation des importations massives des découpes de poulets congelés ? C’est ce qu’on verra. Mais, ce serait provoquer la guerre civile au Cameroun ! Tout sauf ça !

LMK

 


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