Yaoundé a décidé de nommer les rues et numéroter les parcelles, éditer un plan urbain afin de faciliter la localisation, favoriser l’orientation des secours et le déplacement des étrangers.
« Pour venir chez moi, c’est après le carrefour de la mort, puis à gauche tu as une vendeuse de rideaux… »: au Cameroun comme dans d’autres pays d’Afrique, s’orienter en ville relève du casse-tête faute d’une toponymie fiable, malgré de timides tentatives d' »adressage ».
« Carrefour j’ai raté ma vie » (haut lieu de la prostitution à Douala), « Carrefour de la mort » à Yaoundé… les appellations usuelles voire fantasques s’imposent face aux noms officiels des rues quand il en existe au Cameroun.
Même histoire au Gabon voisin, où les taxis de Libreville s’orientent comme ils peuvent, dans les rues « Derrière la prison » ou dans les environs de « l’immeuble Hassan Hejeij », du nom d’un entrepreneur d’origine libanaise qui a fait de belles affaires dans la capitale.
Résultat: trouver un commerce, un médecin ou une pharmacie en urgence, un restaurant, une ambassade ou un domicile privé, demande de la patience dans certaines villes confrontées à de sérieux problèmes d’urbanisation et où l’habitat spontané est très répandu.
C’est pourquoi la mairie de Yaoundé a lancé en juillet un projet d’adressage » de la ville, dont la population est estimée, de source officielle, à près de deux millions d’habitants.
Objectif: nommer les rues et numéroter les parcelles, éditer un plan urbain, « affiner la localisation, favoriser l’orientation des secours, des urgences… et le déplacement des étrangers », indique le responsable du projet, Arnauld Phillipe Ndzana.
Selon lui, près de « 100.000 portes » se verront ainsi attribuer des numéros alors que 5.100 rues sont ciblées. Actuellement, à peine 140 rues de Yaoundé portent des noms, souligne-t-il.
– Cartographier bon gré mal gré –
Mais le projet ne fait pas que des heureux.
« Les enquêteurs qui sont sur le terrain rencontrent parfois l’hostilité des populations, qui croient qu’on va casser leur maison ou leur imposer de nouvelles taxes », rapporte M. Ndzana.
De fait, la mairie de Yaoundé détruit depuis des années des habitations et commerces construits sur l’espace public et dans les quartiers non lotis.
« Nous nous sommes fait agresser à trois reprises. Un habitant a même sorti un couteau en nous ordonnant de dégager », confirme Blandine Ngo Kam, chef d’une équipe à pied d’oeuvre à Briqueterie, un quartier musulman de la ville réputé difficile.
Un premier projet d’adressage avait été réalisé à Yaoundé en 1994, mais les bénéficiaires, y compris les administrations, n’avaient pas adhéré à l’opération, n’en voyant pas l’utilité, rappelle M. Ndzana.
Libreville a également lancé un projet d’adressage en septembre dernier, en présence de plusieurs maires de grandes villes francophones dont la Française Anne Hidalgo, maire de Paris. Les effets de l’opération se font encore attendre.
En attendant, comment fait Judith Koumis, jeune habitante de Yaoundé, quand elle veut recevoir chez elle?
C’est très simple, explique-t-elle: [i « Après le carrefour de la mort (ndlr: c’est en fait « le carrefour de l’Amitié », mais tout le monde en a oublié le nom…), à environ 500 mètres à gauche, il y a une vendeuse de rideaux et un conteneur de +Harp+ (nom d’une boisson). Là, il faudra suivre la piste jusqu’au moment où tu apercevras un
« C’est facile, mais en cas de souci n’hésite pas à m’appeler », précise la jeune femme.
Mieux vaut ne pas avoir de problème de batterie.
« Pour donner mon adresse à la banque, je leur fais un croquis avec des flèches, et la position de la station-service voisine », témoigne Gautier, Français d’une trentaine d’années qui travaille à Lambaréné, dans le centre du Gabon.
A Libreville, un salon de coiffure qui vient de déménager « informe son aimable clientèle qu’il se déplace du côté de Lalala, à gauche vers l’ancien commissariat » -le quartier « Lalala » doit paraît-il son nom à un commerçant un peu pressé qui ordonnait à des porteurs de déposer des colis « là, là, là ».
Dans ces conditions, tourner en rond, se perdre et arriver en retard à des rendez-vous est plus que fréquent.
Autre conséquence du manque d’adresses fiables: la distribution de courrier à domicile est inexistante, remplacée par un système de boîte postale dans les bureaux de poste, moyennant un abonnement payant.
Ces labyrinthes urbains inspirent parfois des initiatives privées.
Jeune ingénieur en réseau et télécommunications de 28 ans, Samuel Bamal a ainsi lancé en février depuis Douala, la capitale économique du Cameroun où il réside, une application mobile de géolocalisation dénommée ShoOwer.
« C’est un outil qui permet de se repérer et retrouver une adresse (pharmacie, restaurant, hôtel, supermarché, domicile privé…) facilement avec ou sans connexion Internet », explique M. Bamal. « Nous essayons de résoudre le problème d’adressage en Afrique », dit-il.
Actuellement, 15.000 lieux sont répertoriés dans la base de données de son application qui, selon le jeune ingénieur, couvre « six à sept villes » camerounaises et recense « 5.000 utilisateurs, dont 1.200 actifs » au quotidien.
L’application est téléchargeable sur Google play. Elle est gratuite. Mais l’utilisateur doit payer le coût des SMS, s’il ne peut pas faire ses recherches par Internet.
De quoi arriver bientôt à l’heure chez Judith?