Biberonnés aux séries américaines comme Dallas et Dynastie dans les années 80, abreuvés ensuite de télénovelas sud-américaines bon marché et toujours très prisées, les téléspectateurs africains se voient désormais proposer des programmes auxquels ils peuvent enfin s’identifier.
La révolution des contenus proposés aux Africains a tardé mais depuis une dizaine d’années, elle s’opère à marche forcée, sous l’impulsion conjointe de chaînes satellitaires souvent étrangères et de télévisions locales qui répondent ainsi à une demande forte de leurs téléspectateurs.
Les Kényans se régalent désormais devant la comédie « Real Househelps of Kawangware » (« Les vraies domestiques de Kawangware », du nom d’un bidonville de Nairobi) ou encore la déclinaison nationale des Guignols de l’info, tandis que sur le reste du continent se sont multipliés les talk-shows et autres émissions de télé-réalité telles que « Big Brother Africa ».
Et la demande devrait continuer à progresser: le nombre de foyers disposant d’une télévision va doubler dans les dix prochaines années, pour passer à plus de 150 millions, selon le cabinet d’études Dataxis.
Le marché africain, qui pesait près de 6 milliards de dollars en 2015 (5,3 milliards d’euros), en additionnant les budgets de chaînes publiques, les recettes publicitaires et les abonnements pour chaînes payantes, devrait atteindre 8,6 milliards de dollars en 2021, toujours selon Dataxis.
Précurseur en matière de contenus locaux, le Nigeria fait figure d’exception, avec l’obligation faite aux chaînes locales d’offrir 70%?de programmes nigérians.
Dans un pays où les séries locales existent depuis plusieurs dizaines d’années, cette exigence du régulateur national n’a pu se concrétiser que grâce à l’extraordinaire locomotive du Nollywood, une des trois premières industries cinématographiques au monde avec Hollywood aux États-Unis, et Bollywood en Inde.
Stars nigérianes
Outre l’émergence d’une filière comprenant scénaristes, acteurs et techniciens, Nollywood a montré que « les stars pouvaient provenir du Nigeria, qu’elles n’avaient pas à être forcément un super héros américain », rappelle Eugenia Abu, directrice exécutive de l’autorité nigériane de la télévision.
L’offre de contenus locaux « relève du bon sens », commente Olivier Laouchez, patron du groupe de chaînes musicales Trace.
« Quand on veut rentrer dans la vie des gens, il faut parler leur langue. L’émotion est forcément plus forte quand on parle leur langue et quand on leur parle avec des contenus dans lesquels ils se retrouvent », explique celui qui a lancé huit chaînes sur le continent.
Le groupe a ainsi des chaînes dédiées spécifiquement au Nigeria, au marché swahiliphone (Kenya et Tanzanie entre autres), lusophone (Angola et Mozambique), avec une programmation d’artistes locaux.
Et comme ces différentes chaînes sont souvent toutes présentes sur un même bouquet, les amateurs de musique du Nigeria peuvent également voir les dernières nouveautés au Kenya.
« Donc on est très locaux mais en même temps, nous sommes des connecteurs des richesses africaines », explique M. Laouchez.
Les gros opérateurs privés du secteur ne s’y sont pas trompés, qui déclinent depuis plusieurs années des programmes de télé-réalité et de détection de talents type Nouvelle star avec des candidats africains.
En langue vernaculaire
A l’autre bout du spectre, les chaînes de télévision nationales tentent elles aussi de rapprocher le téléspectateur de leur quotidien, comme à Maurice.
« Ma stratégie, c’est de nous différencier des opérateurs de télévision, payants notamment. La solution, c’est de proposer des programmes locaux », explique Amoordalingum Pather, le nouveau directeur général des 17 chaînes de la télévision nationale (MBC).
Ce dernier veut faire passer de 10% à 70% la part des productions locales tout en concédant se heurter au caractère embryonnaire de la filière de création audiovisuelle, dans un pays qui n’a pas encore ouvert son marché aux chaînes privées locales.
Sur le reste du continent éclosent des chaînes visant des publics de plus en plus spécifiques, sur des critères régionaux ou ethniques. Au Kenya par exemple, Inooro TV, lancée en octobre 2015, s’adresse dans leur langue vernaculaire aux Kikuyu, l’ethnie la plus nombreuse du pays.
Cette « Africanisation des contenus » a été au coeur des débats fin septembre à Maurice de la première édition du nouveau rendez-vous des professionnels du secteur, NextTV CEO Africa.
Mais pour Bernard Azria, un des poids-lourds du secteur avec sa société « Côte Ouest », « le vrai débat, c’est l’africanisation du paysage audiovisuel africain ».
« Pendant des années, l’espace audiovisuel de l’Afrique francophone, c’était celui que l’ancien colon voulait bien leur envoyer au titre de la coopération. Aujourd’hui, estime M. Azria, il y a une fenêtre d’opportunité pour les sociétés africaines de s’approprier leur espace audiovisuel » avant que les acteurs privés étrangers ne raflent la mise.