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Fridolin Nké : « Conjurons une citoyenneté camerounaise enrichie de nos richesses culturelles »

L’enseignant de philosophie à l’Université de Yaoundé propose le chapitre 2 de sa réflexion entamé sur les Bamilékés, comme l’a rapporté Lebledparle.com précédemment. Il demande de laisser de côté nos clivages, pour construire un Cameroun à partir de ses richesses culturelles.

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Dans le chapitre 1 de sa tribune, il dit qui c’est à cause du tribalisme que nous agitons à tout moment que l’occident continue de prendre le devant sur l’Afrique et le Cameroun en particulier.

Lebledparle.com vous propose le texte intégral.

« LES CAMEROUNAIS DÉTESTENT LES BAMILÉKÉ POURQUOI ? » (suite)

(Chapitre II)

4- Victimisation et auto-glorification : conjurer le déni

La préférence de Maclédio se porta sur le jeune Gaston d’ethnie bamiléké. Gaston était plus fidèle qu’un chiot et plus silencieux que le cache-sexe d’une vierge. Il n’ouvrait la bouche que pour louer et vénérer un seul être dans ce vaste monde : le chef de sa tribu, le fog, ajoute le répondeur. Il le présentait, le dénommait, le qualifiait de « pluie qui tombe subitement », de « père aux riches vêtements », de « celui dont les yeux sont plantés aux carrefours », de « celui qui partage sans distinction de mains » et même de « celui qui n’a pas de nausée devant des excréments ». Quand Gaston, le petit boy, ajouta à toutes ces qualités que le chef, son fog, était aussi « le père des orphelins », les doutes de Maclédio se dissipèrent. Le chef bamiléké était son homme de destin (Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages).

En lisant ces lignes, mes frères Bamiléké ne doivent pas s’en offusquer, car il ne s’agit que de la dérision, c’est-à-dire une caricature, le produit de l’imagination fertile d’un écrivain qui tue le temps. En littérature, on dit qu’on corrige les mœurs par le rire. D’ailleurs, tous les traits psychologiques et les accusations de fourberie, de duplicité, de voracité foncière qui sont adressées aux Bamiléké ne sont pas une exclusivité de ce peuple. Mieux, on pourrait même opposer aux accusateurs que d’autres communautés se distinguent aussi par cette ruée vers les terres arables. Le département de la Lékié, par exemple, se vide littéralement de ses bras les plus robustes et la production du cacao y a chuté parce que les Eton vont désormais faire leurs champs à la « Traversée », à l’autre rive de la Sanaga, c’est-à-dire dans le Mbam-et-Kim et le Mbam-et-inoubou, voire parfois jusqu’à l’Est du pays.

Cette mise au point est nécessaire. En effet, lorsqu’on aborde dans le fond la question tribale, certains se braquent. Ils ne veulent pas « être sport », c’est-à-dire accepter de bonne foi les critiques pour faire un examen de conscience en vue de s’améliorer. Mais, plus que jamais, il faut sortir du discours victimaire et renoncer à la tentation du déni, sinon on construit et ritualise patiemment ce qui demeure dans l’esprit des calomniateurs comme le trust de la discrimination du « Bami-power ».

Il est certes vrai que les super-Bulu, les gestionnaires actuels de notre pays, représentent la honte absolue, la pire malédiction qui soit. Tous ceux qui ne sont pas proches des super-Bulu et assimilés sont marginalisés. Et le pays pillé à un rythme infernal (comme dans l’enfer de la Bible). Il n’y a qu’à voir le rythme effréné avec lequel ils pillent le pays : c’est parfois plus de quatre-cent trente millions de francs CFA de détournement par semaine, des fois ce sont plus de trois cents milliards par an de dilapidation des emprunts de l’État, l’argent de la dette que les générations présentes et futures de Camerounais devront rembourser. C’est ce qui fait dire à certains, pour se dédouaner des accusations de cupidité, de discrimination congénitale et de boulimie foncière, que les véritables milliardaires seraient les super-Bulu et que les Bamiléké seraient faussement riches ; qu’ils ne seraient que des prête-noms, des porteurs de mallettes. Ils ajoutent que les problèmes fonciers se posent aussi entre les Bamiléké, à l’Ouest même, et que l’accaparement des terres par cette tribu se justifierait par le fait que les autres communautés ne migrent pas et, donc, qu’ils ne peuvent pas briguer des postes électifs à l’Ouest où ils ne sont pas représentés.

Certes, il y a donc un côté anthropologique qui prédisposerait les populations des Montagnes à avoir peur du lendemain et à travailler pour leur survie afin de s’adapter aux évolutions d’un monde moderne de plus en plus exigeant. Contrairement aux peuples du littoral, de la savane ou des plaines qui évoluent dans un climat plus clément, les peuples de l’Ouest, à cause de l’exiguïté de leur espace vital, seraient sans cesse contraints d’anticiper, par peur du lendemain, en inventant des stratagèmes pour élargir leurs possibilités économico-politiques, pour conjurer leur fragilité existentielle.

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Mais malgré ces échappatoires qu’on mobilise et qui ont des bases de justifications réelles, malgré la fameuse « exception » humaine et culturelle revendiquée que certains résument doctement dans le fameux « dynamisme incarné » des Bamiléké, il faut y insister : ces derniers doivent se réexaminer et évaluer froidement les récriminations qui émergent des quatre coins du pays. Dire qu’on ne doit pas aider un non-Bamiléké parce que, d’habitude, « ces gens ne sont pas reconnaissants » ; prétendre que l’accumulation foncière compulsive est une « belle revanche » contre une politique de marginalisation, où une communauté serait privée d’accès aux postes administratifs, tout cela est proprement malsain. Cette attitude est conflictogène parce que ce ne sont pas ceux avec qui l’on va discuter ou arracher les terrains qui privent les membres de la communauté Bamiléké d’accès aux postes administratifs, auxquels eux-mêmes n’ont pas accès. À moins de les considérer, par accès de tribalisme, comme les « frères et sœurs » des super-Bulu, et de les tenir pour comptables de la discrimination subie de la part des « ennemis de la République » et, donc, de fait, de les ériger en autant d’ennemis, de les discriminer en retour, par la force de la transitivité. Tout cela ne rime à rien de bon.

Les Bamiléké doivent sortir d’un bon nombre de « logiques » qui les ont jusque-là gouvernés, notamment cette « hypocrisie maladive » et cette sorte de « solidarité sélective » décriée qui étouffent les relations de bon voisinage, sabordent l’entente et les séparent des autres Camerounais. Les super-Bulu en profitent. Ils rentabilisent ces stigmates sociologiques pour mieux diviser les Camerounais. L’entreprise politique de domestication des élites de l’Ouest par l’appareil gouvernemental en place et, plus généralement, le projet global de domination tribal de Yaoundé contre la communauté Bamiléké est adossé sur le reliquat dense de détestation que véhicule leur auto-enfermement.

5- Tuer la haine : vers un Nouveau leadership Bamiléké

Les Bamiléké doivent donc prendre conscience des enjeux, en mettant en valeur leur créativité remarquable et leur ingéniosité légendaire, tout en empruntant le chemin de la révolution spirituelle et comportementale qui s’impose aujourd’hui plus que jamais. Pour ce faire, ils devraient considérer les points de mutation suivants :

➢ On mesure certes l’humanité à la capacité d’entreprendre. Mais, dans la recherche du gain, il faut privilégier l’humain. On n’est pas un homme parce qu’on court avidement derrière l’argent ou parce qu’on est assommé de richesses matérielles, parce qu’on croule sous ses trésors… Suivant ce principe, il faut souhaiter que chaque Camerounais, l’homme Bamiléké en particulier, résiste aux assauts de la cupidité en cassant les barrières que la société de castes a héritées depuis l’enfance dans l’esprit des enfants, pour intégrer la pluralité des visages dans le subconscient. Il faut faire évoluer les éléments culturels en intégrant davantage d’étrangeté. Car, la réalité de nos familles achève de nous convaincre : le métissage est notre horizon et notre destin.

➢ Dès lors, il ne nous importe pas de savoir si les Mbouda, les Dschang ou tout autre groupe des Grassfield est plus enclin à la condescendance tribale, au repli et à la discrimination qu’un autre. Ce qui compte, actuellement, c’est que les membres de la communauté bamiléké réapprennent à privilégier l’auto-discipline de leurs besoins et la prise en compte du ressenti et des intérêts des autres communautés de la Nation dans la conquête hégémonique de leur groupe. En un mot : ouvrez vos réseaux aux autres ! Le « Pays Bamiléké » doit totalement s’inclure dans le continent en miniature qu’est le Cameroun pour constituer l’une des poutres centrales qui en assurera la pleine croissance et le progrès.

➢ Le pouvoir économique et le dynamisme démographique des Bamiléké est, par conséquent, un couteau à double tranchant : d’une part, ce serait un caillou, un authentique caillou dans le pied des Camerounais si les originaires de l’Ouest ne réussissent pas à s’intégrer dans la communauté nationale sous le prétexte de vouloir maintenir leur originalité culturelle et leur suprématie économique sur leurs compatriotes. Dans ce cas, ils ne pourront pas servir de variable déterminante dans la Refondation des institutions et l’enracinement des valeurs démocratiques dans notre pays. Ils se contenteraient de servir de recéleurs des biens mal acquis ou de jouer le rôle ingrat de complices de crimes économiques perpétrés par les super-Bulu. En revanche, l’expertise économique, l’élitisme sélectif et les valeurs culturelles des Bamiléké sont des atouts imparables pour construire, au plan national, du noyau dur entrepreneurial et industriel indispensable à l’émergence de notre pays. Aucune nation ne peut se développer sans qu’elle ne dispose, en son sein, de telles compétences, de cet essaim d’industriels qui fabriquent les multinationales. De ce point de vue, les Bamiléké sont donc, incontestablement, un caillou dans le pied du système néolibéral…

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➢ Nos hommes d’affaires doivent faire leur mue et devenir d’authentiques industriels. Les Bamiléké ne doivent pas copier les mauvais exemples, comme celui de Jean-Bernard Ndongo Essomba, le magna du cacao, qui a utilisé le sang et la sueur des cacaoculteurs Camerounais, ceux du Département de la Lékié principalement, ainsi que les financements et autres coups de pouce de l’État, pour construire des palaces à ses innombrables épouses et pour abrutir les Éton avec le parti politique des super-Bulu, le RDPC. Contrairement à ces genres d’hommes d’affaires véreux, les Bamiléké doivent construire des usines et des manufactures de tous ordres pour transformer nos matières premières localement et créer les emplois. L’industrialisation effective du continent contribuerait à estomper les effets pervers du tribalisme.

➢ Il leur faut donc se surpasser pour résister à l’attirance boulimique qui les pousse à lancer les croisades au nom de leur dieu caché, le « Terrain ». Cette guerre des terrains est cause de la détestation des autres communautés et provoque de nombreux décès dans la population. Elle conduit à d’innombrables procès dans des juridictions civiles et pénales qui alimentent la corruption de l’appareil judiciaire.

6- Au-delà de la fumée suffocante des tribus, les flammes conviviales du métissage

Beaucoup parmi nous, par dépit, par naïveté, par impatience, par gourmandise, par aveuglément ou par bêtise, sont devenus des assimilés des super-Bulu et propagent dans la société les miasmes cancérigènes du tribalisme politico-administratif. Ces regroupements d’assujettis tribaux réaniment les braises de la fabrique idéologique de la détestation des Bamiléké ; ils contribuent à diviser les Camerounais et à faire perdurer l’agonie de notre peuple et la stagnation de notre pays. Que ceux qui sont demeurés lucides continuent à prêcher l’évangile du métissage culturel à ces renégats et à cheminer avec tous les autres, les Sawa, les Bulu, les Fang, les Moundang, les Douala, les Bamiléké, les Tikar, les Bamoun, bref, tous les autres Camerounais, dans la construction d’une Nation multiculturelle riche, digne de la promesse des fleurs des sacrifices inouïs des Pères de l’indépendance.

Terminons ce plaidoyer en invoquant plus solennellement ce nouveau début ! Mettons-nous à l’école de ce nouveau commencement que nous indiquent ceux qui ont la responsabilité sociale de rappeler nos prouesses et de dessiner notre cupidité pour nous blâmer et nous engager non seulement à nous changer, mais aussi à nous accepter les uns les autres. Ressourçons-nous auprès des muses qui ont inspiré les sacrifices des Pères fondateurs de notre pays. En un sens, ces âmes immortelles étaient des artistes. Malgré leurs douleurs, leurs blessures et leurs plaies, leur créativité et la beauté exorcisante des mots intarissables qu’ils ont prononcés au moment d’être exécutés par nos bourreaux sont autant de gages des nouvelles rencontres que nous devons faire en vue de notre renaissance commune. Du fond de leur tombes, nos héros nationaux murmurent et soufflent à l’oreille de tous ceux qui croient encore au mot sacré de FRATERNITÉ, ces paroles rédempteurs :

Il n’y a pas qu’un jour, demain aussi le soleil brillera.

Si tu supportes la fumée, tu te réchaufferas avec la braise (Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvage).

Après ces poignantes exorcisations, il est temps : calcinons-nous dans nos prétentions villageoises et nos préventions singulières, pour faire briller notre meilleur fond aux yeux des membres de toutes les communautés ! Domptons toutes les accointances villageoises qui nous coincent de l’intérieur ! Ouvrons notre cœur aux tentations incommodantes des présences non-familières, non-familiales ! Conjurons enfin nos tares et nos défauts respectifs pour communier, sans distinction, avec tous les compatriotes, dans leur enrichissante diversité, afin qu’émerge une citoyenneté camerounaise enrichie de nos richesses culturelles et de nos différences dépouillées des travers que les « autres » dénoncent !

Fridolin NKÉ

Expert en discernement

 


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