Journaliste en service à BBC Afrique au Sénégal, ce jeune Rwandais ayant survécu aux affres du génocide de 1994 dans son pays, évoque dans cet entretien exclusif accordé à votre journal Lebledparle.com, son parcours professionnel débuté au Cameroun – pays d’adoption. Passionné d’entreprenariat, Rémy Nsabimana revient également sur les objectifs de l’émission « Afrique Avenir » qu’il vient de lancer afin de soutenir les startupeurs Africains. Interview
Depuis un mois, vous produisez l’émission « Afrique avenir », sur les antennes de BBC Afrique. Qu’est ce qui a motivé un tel concept ?
Le service mondial de la BBC vient de lancer son ambitieux plan pour les 70 prochaines années. Ce programme prévoit d’atteindre 500 millions d’auditeurs dans le monde d’ici 2022 en mettant l’accent sur les jeunes et les femmes. Voilà (en partie) ce qui a motivé mon concept. Il y a ensuite cette passion que j’aie pour l’entreprenariat. Le jour où je quitterai le journalisme, ce sera certainement pour créer une startup. Enfin, si je ne cède pas à la tentation de faire les deux.
Quel est l’objectif d’une telle émission et les heures de diffusion?
L’objectif est simple. Donner la parole à tous ces jeunes qui, au quotidien, répondent de façon concrète aux besoins des populations. Ces jeunes startupeurs et entrepreneurs qui identifient des problèmes et proposent des solutions. C’est un projet sur lequel je travaille depuis février 2016. Une émission dédiée aux jeunes entrepreneurs africains. Chaque mercredi (10H02GMT), je reçois un jeune créateur d’entreprise. Son projet doit avoir fait ses preuves, avec un fort impact social ou économique.
Pourquoi le nom « Afrique avenir » ?
« Afrique Avenir », parce que le continent que nous voulons voir émerger de la pauvreté, c’est une Afrique qui entreprend, qui crée. C’est le continent des créateurs d’emplois et non de demandeurs d’emplois. Des jeunes qui entreprennent pour améliorer le quotidien et qui innovent pour le futur. Qu’on le veuille ou non, voilà l’Afrique à venir. Je suis persuadé que les « afropreneurs » sont l’Afrique de demain, l’espoir et l’avenir de l’économie du continent.
Est-ce que vous avez l’impression que votre cible adhère ? Quelles sont les différentes rubriques de l’émission ?
En radio, on a de très bons et nombreux retours. En ligne et sur les réseaux sociaux, c’est encore mieux. Après l’introduction, le jeune entrepreneur de la semaine partage avec nous l’histoire de son projet en nous permettant d’avoir un aperçu du domaine dans lequel il a entrepris. Un spécialiste est également invité pour analyser sa success story, les facilités et complexités du secteur dans lequel notre invité principal a investi. Les auditeurs peuvent réagir via facebook ou Whatsapp. Mais leurs « voice notes » ne doivent pas dépasser 30 secondes, si non, elles ne sont pas diffusées durant l’émission.
Quel est le rêve que vous voulez réaliser avec votre émission ?
On ne veut pas que ce soit juste une émission. On veut créer une émulation, un mouvement de jeunes âgés entre 17 et 35 ans. Pour ceux qui ont de belles idées (mais hésitent encore), on veut leur dire : « le plus dur, c’est de commencer. Une fois lancés, vous pouvez réussir. La preuve, d’autres ont réussi. Le chemin ne sera certes pas facile, mais si vous murissez bien votre idée, si vous étudiez bien votre marché (et pourquoi pas, trouvez un bon incubateur), ça va marcher ». Voilà le message en filigrane. Quoi que le but premier, c’est de mettre en lumière les jeunes « solutionneurs » africains. Je voudrais pouvoir tomber un jour sur un jeune qui me dise : « j’hésitais, mais quand j’ai écouté ton émission, j’ai décidé de donner corps à mon concept. Et tu sais quoi, aujourd’hui, j’ai réussi. Je suis un chef d’entreprise. Créateur de richesse et créateur d’emplois stables ». Au-delà d’un rêve, c’est un combat.
Qui sera votre prochain invité et quel est son projet ?
Folly Koussawo. C’est un jeune Gabonais, PDG de Trianon BTP Gabon, une entreprise spécialisée dans la construction d’habitations « typiquement africaines ». C’est-à-dire qui répondent aux réalités météorologiques, géographiques et socio-culturelles africaines.
Après avoir parlé de l’émission, nous voulons savoir d’où part votre passion pour le journalisme ?
Je vous mentirais si je vous disais que j’ai toujours été un passionné du journalisme. Non. Quand je passe mon baccalauréat en 2009, je ne sais pas quelle filière faire à la Fac’. C’est un ami de mon grand frère qui me conseille de faire le journalisme. « Je te trouve éloquent », me répétait-il souvent. Et je me suis dit : pourquoi pas ? J’ai fait le concours d’entrée à l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) au Cameroun et c’est comme ça que je me retrouve dans la filière. Le journalisme, j’ai appris à l’aimer. C’est moi qui en ai fait une passion. Je suis né au Rwanda mais j’ai passé toute ma vie en exile. Et une bonne partie de mon enfance, dans des camps de réfugiés. Là-bas, très peu sont ceux qui rêvent de faire de grandes études et des métiers connus. Je rêvais de vivre. Tout court. Comment survivre à aujourd’hui ? C’était ça la question. « Demain appartient à ceux qui survivront », disait-on. Vous comprenez donc qu’il y avait très peu de place pour la passion. Être passionné de quelque chose, c’est un droit que j’ai longtemps eu l’impression d’avoir perdu. Et il m’a fallu des années pour renouer avec la passion, les rêves de grandeur.
Y a-t-il des journalistes qui vous ont influencé ? Vous commencez à exercer à quel moment ?
Oui. Philomé Robert sur France 24 et Laurent Sadoux sur Rfi. Je commence à exercer le métier de journaliste en 2012. J’ai alors 20 ans, en 2e année à l’Ecole de Journalisme (ESSTIC). C’était lors d’un stage à Voxafrica. C’est là qu’on m’a appris à faire mes premiers pas en télévision. Et c’est aussi cette chaine qui m’a fait signer mon premier contrat. Disons-le clairement : c’est elle qui m’a donné ma chance en m’engageant et en acceptant de mettre à l’antenne l’émission « Voxbooks » que je venais de créer à l’époque. Rien que pour ça, Vox restera toujours comme une famille pour moi.
Aujourd’hui, vous êtes à BBC Afrique et j’imagine que vous êtes le plus jeune. Est- ce que vous vous considérez comme un chanceux ?
Je ne crois pas en la chance, encore moins en la malchance. Je crois en Dieu, au fruit de chaque dur labeur, aux opportunités et à la détermination humaine. Non, je ne suis assurément pas chanceux. Et tous les nombreux autres jeunes (plus talentueux que moi mais qui ne sont pas à ma place) ne sont pas des malchanceux. L’opportunité, Dieu me l’a créée. Il me l’a tendue et quand je l’ai saisie, il s’est occupé du reste. Je dirai que j’ai un Dieu qui m’aime beaucoup.
D’aucuns disent que vous avez commencé où d’autres veulent finir. Est-ce que vous partagez cet avis et quels sont vos rêves ?
Je pense aussi, oui. Quand on était à l’école de Journalisme, mon meilleur ami et moi, on écoutait à longueur de journée de grandes chaînes internationales et on se disait : après l’école, si on travaille dur, on pourra peut-être (d’ici 5 ou 10 ans) travailler pour l’une de ces chaînes. Mais quand un an à peine après l’obtention de votre diplôme, c’est la BBC elle-même qui vous appelle et vous propose un contrat à 23 ans… C’est une grâce divine.
Je rêve d’avoir une épouse qui complètera mes nombreuses insuffisances. Qui m’aidera à gommer mes défauts. Je rêve d’avoir des enfants pour pouvoir leur raconter un jour mon histoire. Leur dire que tout est possible. On peut survivre aux affres d’un génocide. Exilé et apatride, on peut toujours croiser un peuple plein d’humanisme qui vous accueille, vous donne un toit, vous éduque et vous donne votre premier emploi. Oui, je parle de ce Cameroun dont on parle plus pour ses manquements que pour ses actes héroïques. Je rêve d’avoir des enfants pour pouvoir leur dire, sans cligner des yeux : « je sais de quoi je parle pour l’avoir vécu ». Tout est possible. Il suffit d’y croire, de travailler très dur et d’avoir Jésus-Christ pour compagnon quotidien.
Vous êtes aujourd’hui le modèle de plusieurs jeunes journalistes sur le continent africain. Avez-vous un message à leur endroit ?
Ne vous contentez pas de faire le nécessaire. Ça, beaucoup de gens le font. Si vous voulez sortir du lot, faites plus que le nécessaire. Fixez-vous un but puis travailler très dur tous les jours pour l’atteindre. Ne sortez jamais de chez vous sans demander à Dieu de vous y aider. Et ne rentrez pas le soir, si vous n’êtes pas convaincus que vous avez fait un pas de plus pour l’atteindre.
© Entretien avec Hervé FOPA FOGANG, Lebledparle.com