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Jean-Pierre Bekolo : « le Cameroun présente tous les signes d’un un pays sans leader »

Dans un texte publié le 28 avril 2023, le cinéaste parle du Cameroun qui fonctionne sans leader en ce moment. Lebledparle.com vous propose le texte intégral.

JP Bekolo Obama

Mouvements sans leaders, pays sans leader

Le Cameroun est-il en train de vivre l’expérience des mouvements sans leaders comme le Black Life Matters aux États-Unis, La Nuit Debout ou Les Gilets Jaunes en France, ou encore Les Indignés en Espagne? Comme ces mouvements, le Cameroun présenterait tous les signes d’un un pays sans leader. Et les différentes crises auxquelles nous assistons actuellement dans ce pays et la manière dont elles sont gérées le démontrent. Si les mouvements sans leaders ont été critiqués par ceux qui pensent que le pouvoir doit toujours être incarné, d’autres y voient une manière de faire la politique autrement. En effet, la figure du leader permet au système combattu de décapiter le mouvement une fois le leader arrêté, dénigré ou assassiné. La figure du chef comme du President de la République, qui nous semble aujourd’hui incontournable, nous faire oublier que d’autres modèles sont possibles. Et la formation dans les organisations politiques d’une élite bureaucratique autour du chef était le problème? Les mouvements sans leaders se méfient des chefs, voila pourquoi pour eux, il est logique de vouloir déposer ceux qui ont le pouvoir, et d’empêcher qu’il ne se crée au sein du mouvement, un autre système de pouvoir. La question qui se pose à eux est celle de savoir comment représenter la volonté générale sans attendre l’homme providentiel?

 

Si on regarde ce qui se passe au Cameroun, ceux qui sont d’une autre époque essaye de trouver un homme providentiel face à l’absence de leader actuel. Voilà comment s’explique le Franckisme, les partisans du fils de Paul Biya, Franck Biya. Mais ce qu’ils ne savent pas c’est que les camerounais s’accommodent très bien de vivre sans président. Toutes les crises auxquelles nous assistons ne se comprennent qu’à partir de là. Entre ceux qui sont nostalgiques d’une époque où le pays avait besoin d’un leader fort, voire d’un dictateur « éclairé », beaucoup d’autres ont intégré cette « dictature molle » comme un mode de fonctionnement où même la répression se fait avec une certaine nonchalance qui frise parfois à l’incompétence, amenant les Camerounais à se demander si le régime en place est vraiment une dictature, une chose est sur, ce n’est pas une démocratie. Le fait que les crises actuelles au Cameroun se gèrent par réseaux sociaux interposés n’est pas anodin, c’est un phénomène des mouvements sans leaders. Les réseaux sociaux sont devenus cette place publique, qui est en fait une démocratie participative où chacun dit ce qu’il a à dire et comme à Athènes où les orateurs se relayaient pour critiquer les rois, l’omniprésence des lanceurs d’alerte qui sont devenus les instruments de ce pouvoir que l’on veut abattre, confirment que ce pouvoir n’est plus. Les différents cas au Cameroun où l’instrumentalisation des réseaux sociaux par les différents acteurs montre qu’ils sont à la recherche d’un arbitre qui soit le souverain populaire, c’est-à-dire le peuple. Mais à quoi sert le peuple quand on est dans une dictature ?

Pour approfondir :   Cameroun : Confronté à la vie chère, l’Etat opte pour la réduction de son train de vie

Les balbutiements et les embrouilles du régime camerounais dans ses crises actuelles semblent plaire aux masses qui ont le sentiment d’avoir réussi à prendre le dessus sur ce pouvoir « dictatorial ». Cette situation d’un pays sans leader, malgré la corruption et la décrépitude de certaines parties de l’Etat, n’est-elle pas salutaire ? Le service minimum des institutions animées par des administrateurs devenus des électrons libres qui ne se laissent plus berner par les « hautes instructions » rend la dictature impossible. Le décret présidentiel a perdu son aura maintenant qu’on sait quel réseau se cache derrière ce décret. Même si, comme dans tous les mouvements sans leaders, le mouvement n’a pas beaucoup de chances de survie, la transformation aura été faite. Je n’ose pas imaginer le triste sort du remplaçant d’un Paul Biya qui n’a pas existé pendant plusieurs années, un nouveau président qui viendrait interrompre le laisser-faire et le laisser-aller des camerounais, donnant le sentiment d’un être trop agité. Les camerounais lui demanderont de se calmer et de les laisser tranquilles.

Pour approfondir :   La revue de presse camerounaise du vendredi 15 novembre 2024

Jean-Pierre Bekolo

 


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