« Il faudra le répéter tant que cela sera nécessaire. Le Professeur Maurice KAMTO n’a strictement rien à faire en prison. Le plus vite ils le libèrent, le mieux ce sera pour tous. ». Extrait de la Tribune de l’historien Achille Mbembe, parvenue ce 17 mai 2019 à la Rédaction de Lebledparle.com.
Le Professeur Maurice KAMTO est l’un des meilleurs juristes de notre continent. Dans son domaine de specialisation, il jouit du plus profond respect de la communaute internationale des femmes et des hommes de droit. C’est aussi un universitaire de tres haut vol. Auteur de travaux remarques, il est l’un des fleurons de notre intelligence commune.
Dans un pays normal, ses lauriers appartiendraient a toute la nation. Celle-ci, en retour, n’eprouverait qu’honneur et fierte au regard des accomplissements de l’un de ses valeureux fils.
Malheureusement, nous ne vivons pas dans un pays normal.
Beaucoup d’entre nous sommes nes sous la tyrannie, avons grandi sous la tyrannie, sommes en train de vieillir sous la tyrannie et mourrons sans doute sous la tyrannie.
La tyrannie est devenue comme notre condition. Elle a detruit nos esprits et nous a fait perdre jusqu’au sens commun. Les maitres de l’obfuscation et les apologetes de la stagnation en ont profite, qui tentent de nous convaincre que la servilite est notre meilleur destin. Ils nous menacent et nous couvrent d’insultes, cherchent a nous intimider ou nous brutalisent carrement lorsque nous leur opposons resistance et refus.
C’est ce qui est arrive au Professeur Maurice KAMTO, aujourd’hui l’un des plus prestigieux captifs du plus vieux des tyrans africains postcoloniaux.
Le tyran ne detient pas que le juriste et l’universitaire, notre collegue.
Plusieurs centaines d’autres – hommes et femmes, anglophones et francophones, tous ages confondus – sont entasses dans ses geoles sordides. Beaucoup sont soumis a des traitements cruels, degradants et inhumains.
Il faudra le repeter tant que cela sera necessaire. Le Profeseur Maurice KAMTO n’a strictement rien a faire en prison. Le plus vite ils le liberent, le mieux ce sera pour tous.
Sa place est parmi nous, en liberte. Lui et tous les autres. Et il n’y aura aucun dialogue veritable au Cameroun qui ne passe par la liberation inconditionnelle de tous les prisonniers d’opinion et autres activistes.
Maurice KAMTO n’est pas seulement un universitaire. Il est aussi un homme politique. Certains lui en veulent pour avoir servi le tyran en tant que Ministre delegue de la justice. A ma connaissance, nul ne lui reproche d’avoir vide les caisses de l’Etat ou de s’etre rendu coupable de quelque crime que ce soit.
Ils lui en veulent pour n’avoir pas rendu sa demission au moment ou le gouvernement s’est livre, en 2008, a des tueries restees jusqu’a ce jour impunies.
D’autres lui reprochent de s’etre trempe dans la redaction d’un Code penal liberticide, et d’avoir exprime son opposition a la limitation des mandats presidentiels lors d’une de ces revisions de la Constitution dont la tyrannie est si familiere.
D’autres lui en veulent tout simplement parce qu’il serait Bamileke, auquel cas il faudrait, sans menagement, les renvoyer a leur turpitude.
D’autres encore lui reprochent de se laisser adouber par des psychopathes de l’identite et de preter l’oreille aux sirenes du supremacisme ethnique – ceux-la qui ne passent pas un seul jour sans lancer des appels aux massacres inter-communautaires.
Maurice KAMTO n’est pas en prison pour cause de ces griefs, a supposer qu’ils soient effectivement fondes.
Maurice KAMTO est en prison pour une et une seule raison. Il represente un enorme facteur de nuisance dans la course desormais engagee en vue d’une succession de gre a gre.
Le tyran est en effet encercle par ses creatures, des vautours qui reniflent la fin. Physiquement diminue malgre les mises en scene, il peine a les tenir en laisse. La saison de la devoration a commence. Et s’il n’y prend garde, c’est lui-meme qui risque de passer a la trappe.
Autour de lui, au sein de la tribu, de la caste, de la secte et des nombreux reseaux (c’est ainsi qu’il aura gouverne), c’est a qui va decapiter avant d’etre decapite.
L’enjeu, c’est la succession. L’objectif est de manufacturer une succession a huis-clos, de gre a gre, qu’il s’agira, s’il le faut, faire passer en travers de la gorge des Camerounais.
Selon ce schema, Maurice KAMTO (et son mouvement) est une enorme nuisance parce que dans des societes comme la notre et au sein desquelles n’existe ni veritable contre-elite, ni mouvement social trans-ethnique et trans-regional, ni lutte armee consequente, le changement ne peut venir que de l’interieur meme du systeme. Sous la forme d’une implosion interne, ou sous la forme d’une dissidence et segmentation, une coalition d’anciens membres de l’elite dominante se regroupant pour constituer un nouveau pole hegemonique, avec des appuis potentiels au sein de l’armee, de la police, des services de renseignements, de l’intelligentsia et des milieux d’affaires locaux et internationaux.
On n’en est pas encore la. Mais aussi difficile que soient les conditions de sa realisation, cette option existe. Du moins en theorie.
KAMTO est un facteur de nuisance parce qu’en continuant de contester les resultats de la derniere election presidentielle, il insiste indirectement pour que l’on remette au centre du debat sur le present et le futur du Cameroun la question de l’alternance. Or, a l’heure ou l’on est, la question de l’alternance est l’autre nom de la question de la succession et vice-versa. Il est devenu pratiquement impossible de separer les deux. Idem pour le debat sur la forme de l’Etat, ou meme la question anglophone.
Pour le reste, la guerre des clans au sein du regime ne cesse de s’intensifier. Sur fonds d’assombrissement de l’horizon local et international.
Le blanc-seeing dont jouissait la tyrannie sur le plan international est en passe de lui etre retire. Il ne peut plus massacrer a huis-clos.
Ceci ne signifie pas que la tyrannie est a genoux. La pression internationale a elle seule ne suffit pas a faire tomber les regimes les plus pervers. Sans une forte mobilisation sociale interne susceptible de les pousser a la faute, de nombreuses tyrannies peuvent resister longtemps aux pressions externes, les sanctions ciblees y compris.
Les Camerounais ne doivent donc guere s’attendre a une liberation par procuration. De tels repits, souvent, ouvrent la voie a de nouvelles servitudes. Il faudra compter sur ses forces propres. Il faudra “construire” ces forces.
C’est a ce travail que s’etait consacre, en toute legalite et de facon non-violente, le Professeur Maurice KAMTO et les centaines d’autres, a present des otages du tyran.
Voila pourquoi il nous faut, en choeur, reclamer leur liberation en tant que condition essentielle pour tout dialogue veritable dans ce pays.