Pour acheter l’avion, la Présidence avait opté pour un montage financier afin de détourner l’attention des bailleurs de fonds, qui auraient jugé inutile cette acquisition. Des fonds ont été distraits.
En 2001, le gouvernement du Cameroun décide d’acquérir un nouvel avion pour les déplacements du président de la République. « Le Pélican », le Boeing 727-200 acquis par l’Etat en 1978 et qui assure cette mission paraissant un peu suranné, le choix a donc été fait de le remplacer par un aéronef beaucoup plus moderne qui présenterait de bien meilleures garanties de sécurité, de fiabilité, de rapidité et de confort. Prescription avait donc été faite à l’état-major particulier du président Biya, de conduire les études nécessaires à cet effet. Ainsi, au terme de cet exercice, le choix sera porté sur un Boeing Business Jet (BBJ), au détriment d’un Airbus Corporate Jet. Montant de la facture globale : 45 000 000 de dollars, soit 34 875 000 000 FCFA. Lancer la commande du nouvel aéronef achoppait cependant sur une opposition ferme et catégorique de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) à cet investissement qu’ils considéraient comme inopportun dans un contexte de processus d’allègement de la dette du Cameroun dans le cadre de l’initiative PPTE. Pour lever cet obstacle, il a été retenu, sous les éclairages d’Yves Michel Fotso, alors administrateur directeur général de la compagnie aérienne nationale Cameroon Airlines (CamAir), « d’acquérir l’avion provisoirement au nom de la CamAir, son immatriculation ultérieure au nom de l’Etat du Cameroun ne devant poser aucun problème ». Ainsi, afin de ne poser aucune hypothèque sur l’atteinte par le Cameroun du point d’achèvement de l’initiative PPTE en perspective, « il ne fallait pas laisser transparaître la moindre écriture que l’avion était acquis par l’Etat directement ». C’est donc à cette seule fin que devait alors être utilisé le nom de la CamAir.
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Comment a été opéré le financement de l’acquisition du nouvel avion présidentiel ?
Le montage financier ne devant nullement laisser transparaître que l’Etat était le véritable acquéreur du nouvel aéronef, et le principe d’écran derrière la CamAir validé, l’idée de l’acquisition « par “leasing” au travers d’un intermédiaire dénommé GIA International Inc. Corporation » sera suggéré. Elle fera long feu. Une opposition ferme des membres de l’équipe travaillant sur l’opération au niveau de la présidence de la République camerounaise était censée avoir définitivement écarté cette formule d’achat. « Il est inconcevable que l’avion du chef de l’Etat du Cameroun soit soumis aux aléas de ce genre de contrats et aussi au regard des charges découlant de l’intervention d’un intermédiaire », avaient convenu la majorité des membres de cette équipe. Et dans la foulée, le ministre d’Etat, Marafa Hamidou Yaya, alors secrétaire général de la Présidence de la République, instruisit Meva’a M’Eboutou Michel, alors ministre des Finances et du Budget, « de payer à Boeing une avance d’un montant de 31 000 000 de dollars (soit 24 025 000 000 FCFA) sur le prix de vente du BBJ-2 ». Le ministre en exécution de l’instruction de la présidence de la République va, par un courrier en date du 21 août 2001, demander à l’administrateur directeur général de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), Moudiki Elame Adolphe Moïse, « de bien vouloir avancer au Trésor public la somme de 31 millions de dollars en vue de la commande d’un Boeing 737 BBJ-2. Cette somme sera versée dans les conditions suivantes : a) la CBC, Commercial Bank of Cameroon, 1 milliard cinq cent cinquante millions de francs CFA pour couvrir l’avance faite à l’Etat en vue du paiement du “déposit” exigé à la commande de l’appareil ; b) la GIA International Inc. Corporation, 29 millions de dollars (compte Nº 28 794 10 492, ABA N° 323 070 380, Bank Of America MT-SA 222 W Main Street Medford Oregon 97501 USA) pour versement au constructeur Boeing… »Et le ministre des Finances et du Budget de préciser dans son courrier : « Je dois souligner que les paiements demandés doivent être faits avant le 24 août 2001 sous peine de perte du déposit de 2 millions de dollars déjà constitué. L’avance totale ainsi consentie au Trésor public pourra être résorbée en dix mensualités pour compter du 1er septembre 2001… » Ces instructions seront exécutées par transfert en faveur de GIA International Inc. Corporation le 22 août 2001 et virement au profit de la CBC le 27 août 2001.
Les établissements bancaires à partir desquels la SNH a opéré les transferts de fonds ont-ils réagi eu égard aux sommes en jeu ?
L’entreprise publique camerounaise, pour satisfaire la sollicitation du gouvernement, avait fait mouvementer d’une part son compte ouvert dans les livres de la SCB Crédit Lyonnais Yaoundé pour le règlement de la CBC, et d’autre part ses comptes dans des établissements bancaires basés en France. La Bank of America sera la première à réagir en notifiant sa surprise aux banques ayant exécuté les virements en faveur de son client GIA International Inc. Corporation, qualifiant ces transferts de fonds d’inhabituels, tant en leur montant que par rapport au secteur d’activité de GIA International Inc. Corporation. Les inquiétudes de la banque américaine seront répercutées à la SNH par ses banquiers basés dans l’Hexagone, qui exigeront d’elle de leur communiquer les pièces justifiant le bien-fondé économique de l’opération, en l’occurrence le contrat d’achat de l’avion et la facture. Ni le Ministère des finances et du budget, ni la direction générale de la compagnie aérienne nationale CamAir, à l’initiative de l’opération, ne fourniront jamais les deux documents exigés à la SNH et ses banquiers. Tout au plus seront transmises à la direction générale de la société publique les références de GIA International Inc. Corporation dans l’Etat d’Oregon et de New York par le ministre Meva’a M’Eboutou Michel. Yves Michel Fotso, lui, préférera lui faire tenir un lot de documents comprenant, non pas les pièces exigées par les banquiers, mais d’autres qui attestent de ce qu’il était l’un des responsables de GIA International Inc. Corporation habileté à mouvementer le compte, et une lettre d’intention signée entre Boeing et GIA International Inc. Corporation, datée du 30 août 2001, qu’accompagnait un relevé de compte de cette entreprise.
L’Etat camerounais a-t-il pu entrer en possession du nouvel avion commandé ?
L’opération d’achat d’un nouvel aéronef présidentiel lancée en 2001 par le gouvernement du Cameroun ne connaît pas d’aboutissement au moment où se déroule le procès de certains acteurs. Invitée aux Etats-Unis pour prendre possession de l’avion dans la dernière semaine de mars 2002, l’équipe de l’état-major particulier du président Paul Biya, qui a fait le déplacement, rentrera quelques jours plus tard totalement bredouille. La raison de cette déconvenue demeure une interrogation jusqu’à ce jour. A tout le moins sait-on, à partir d’un document signé le 14 août 2001 par l’administrateur directeur général de la CamAir Yves-Michel Fotso d’une part, et d’autre part par le « senior vice President, Project Manager » de GIA International Inc. Corporation, Fernando Gomez-Mazuera, qu’au lieu de l’achat ferme et direct par Cameroon Airlines de l’avion BBJ-2 prescrit par le gouvernement, c’est plutôt sous forme d’un contrat de leasing d’avion entre la CamAir et GIA International Inc. Corporation, qui se trouve être propriétaire de l’aéronef, qu’aura été bouclée l’opération. Malgré cette issue plutôt étonnante de la première partie de l’opération, le gouvernement camerounais va, à une année, quasiment jour pour jour, du rendez-vous de livraison manqué sans plus d’informations, soit en mai 2003, payer 5 millions de dollars supplémentaires directement à Boeing « pour conforter l’acompte de 31 millions de dollars déjà acquitté ». D’autres paiements seront effectués, toujours dans des conditions assez troubles et détournés de leurs objectifs premiers, quand ce ne sont par les destinataires et/ou les comptes destinataires qui changent. Ainsi, par exemple, les 5 millions de dollars destinés à conforter l’acompte précédemment payé serviront en réalité à honorer des loyers et autres charges issues du leasing par la CamAir d’un vieil aéronef baptisé « Albatros ».