Emmanuel Macron a dit samedi vouloir mettre «la pression » au président camerounais après une opération de l’armée dans le Nord du pays. L’échange entre le Président de la République Française et un activiste samedi dernier a suscité la réaction d’André Julien Mbem, analyste politique.
Lebledparle.com vous propose l’intégralité du texte.
LE PRESIDENT MACRON, LE « SANS-PAPIERS » ET LE PRESIDENT BIYA
C’est un immense pavé que le Président de la République Française Emmanuel Macron a jeté hier dans la mare des relations franco-camerounaises. Ses propos au vitriol tétanisent depuis 24 heures les thuriféraires officiels et officieux du pouvoir en place à Yaoundé dont certains sont des citoyens français non assumés dans un Cameroun qui ne reconnaît pas la double nationalité. La cohorte des profito-situationnistes du système et les architectes occultes d’une alternance maffieuse au sommet de l’Etat qui échafaudent dans l’ombre une « succession de gré à gré » en sont stupéfaits. Alors que ce 22 février il apprécie d’un stand à l’autre les douceurs des terroirs français au Salon de l’agriculture de Paris, le Président français est interpellé à hue et à dia par un activiste camerounais sur le « silence de la France » sur un « génocide » qui serait en cours dans les régions anglophones et les atteintes aux libertés au Cameroun du fait du pouvoir en place.
Le Président français lui répond :
« Vous savez mon engagement sur ce sujet. J’ai mis la pression sur Paul Biya pour que d’abord il traite le sujet de la zone anglophone et ses opposants. J’avais dit, je ne veux pas qu’on se voie à Lyon tant qu’un Kamto n’est pas libéré, et il a été libéré parce qu’on a mis la pression. Là la situation est en train de se dégrader. Je vais appeler la semaine prochaine le président Biya et on mettra le maximum de pression pour que cette situation cesse. Je suis totalement au courant et totalement impliqué pour que les violences qui se passent au Cameroun et qui sont totalement intolérables cessent. Je fais le maximum. (…) Sur le président Biya je lui ai dit, il doit ouvrir le jeu, il doit décentraliser, il doit libérer les opposants politiques, il doit faire respecter les droits. Je mettrai tout ce qui est en mon pouvoir pour que cela ait lieu. Il faut que vous le sachiez. Sauf que ce n’est pas la France qui va faire la démocratie au Cameroun à la place des Camerounais ».
Avant de s’en indigner ou de s’en réjouir, il faut d’abord décrypter les non-dits de la sortie tonitruante et sans fioritures du Président français.
La France, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, fabrique séculaire d’une bonne partie de l’élite du Cameroun, pays dans lequel elle conserve des intérêts colossaux, a jusqu’à cette sortie de son Président, pesé de toute son influence pour que l’Etat du Cameroun ne soit pas dépossédé de la gestion de ce conflit armé en zone anglophone au profit de l’institution onusienne ; sans préjuger des conséquences d’une éventuelle internationalisation en termes de perte de souveraineté, voire de judiciarisation.
Ceux des Camerounais qui crient aujourd’hui à la souveraineté bafouée de leur pays, s’en réjouissaient et s’en vantaient car la tutelle diplomatique de la France dans cette affaire leur était acquise, par ailleurs synonyme à leurs yeux de perpétuation de leur système prébendier. L’agacement du Président français sonne comme un ultimatum avant le retrait imminent du parapluie diplomatique français qui ne signifierait pas le retrait de la France du Cameroun, mais le lâchage d’une coterie impopulaire, ploutocrate et maffieuse.
Le récent « massacre des innocents » dans la région anglophone du Nord-Ouest du Cameroun a constitué un tournant dans l’approche française de ce conflit. Il ne faut pas perdre de vue que la France conserve une dizaine d’officiers militaires au Cameroun au titre des accords de coopération actuels. Emmanuel Macron n’a pas besoin d’une judiciarisation internationale d’éventuels crimes de guerre dans le cadre de ce conflit armé en zone anglophone à deux ans de la prochaine échéance présidentielle en France ; encore moins l’Etat français après la précédent rwandais. Pour ceux qui ont lu le récent tweet indigné de l’ambassadeur de France au Cameroun au sujet de ce « massacre des innocents » dans la région du Nord-Ouest, on n’est guère surpris de la réaction agacée du Président français. Lorsque le Président français martèle qu’il est « totalement au courant » de ce qui se passe, il ne s’adresse pas à l’activiste qui l’interpelle qui tient lieu à ce moment-là de pré-texte. C’est en réalité à son « homologue » camerounais qu’il s’adresse pour lui dire qu’il est en possession d’informations fouillées et exhaustives sur la réalité du terrain des opérations qui ne sont pas forcément celles des officiels camerounais.
Quant à la scène politique intérieure au Cameroun, le Président français, comme tous les autres partenaires du Cameroun qui ont dans ce pays des intérêts importants, ont conscience que le Cameroun amorce un virage délicat vers une troisième République.
Après 38 ans de pouvoir Paul Biya n’incarne plus l’avenir du Cameroun. Or si la France veut voir surmonté le contentieux colonial avec ses ex-colonies d’Afrique, elle doit cheminer avec les forces du progrès et de l’avenir. Le Président français a conscience du rejet dont est l’objet la France officielle dans une bonne partie des opinions publiques africaines, notamment sa jeunesse. Car cette France-là est réputée être à tort ou à raison le bras séculier et la mamelle nourricière des chefs d’Etat africains illégitimes et corrompus de son pré-carré. C’est un truisme que de dire qu’il faut « ouvrir le jeu politique » au Cameroun. C’est aussi un truisme que de dire que c’est les Camerounais qui démocratiseront leur pays et non la France.
Plus significatif, le Président français appelle à « ouvrir le jeu » politique alors que les Camerounais sont dans l’attente des résultats définitifs d’élections locales que le chef de l’Etat camerounais a considéré à sa sortie des urnes, le 9 février 2020, comme une « avancée démocratique » ; une élection qui a pourtant connu une désaffection populaire sans précédent au Cameroun.
La sortie du Président français appelle par ailleurs quelques observations sur la forme.
Je relève que le Président français s’adressant au Président camerounais, fait usage d’un ton manifestement injonctif et directif (« Il doit ouvrir le jeu…Il doit décentraliser…Il doit libérer les opposants…Il doit faire respecter les droits… ») ; et l’usage du champ sémantique de la coercition y participe davantage (l’occurrence trois fois du mot « pression » et l’hyperbole « maximum de pression »).
Toujours sur la forme, il importe de s’intéresser à l’interlocuteur et au lieu de cet acte de communication diplomatique inédit. L’interlocuteur c’est l’activiste camerounais à qui le Président français répond. Cet activiste est l’une des bêtes noires du régime de Yaoundé que celui-ci qualifie de « terroriste » et « sans papier ». Cet activiste est à la tête d’une brigade mobile dont l’activisme contestataire, impertinent et bruyant, a rendu impossibles les séjours naguère récurrents à l’hôtel Intercontinental de Genève que le chef de l’Etat camerounais affectionne tant.
S’agissant du lieu, le Président français ne s’exprime pas du haut de la tribune des Nations Unies, encore moins dans la salle de presse de l’Elysée. C’est au Salon de l’agriculture de Paris, au milieu des vaches, que le Président français s’est fendu d’une « vacherie » diplomatique inattendue. Aussi bien le lieu du propos que la stature de l’interlocuteur direct du Président français dévaluent le destinataire ultime du message, en l’occurrence le Président camerounais dont il est formellement l’homologue. On aurait voulu signifier à son « homologue » une perte d’estime et de considération qu’on n’aurait guère fait mieux.
Le Président français a-t-il eu raison ou tort, s’adressant à son « homologue » camerounais, de ne pas s’embarrasser de circonlocutions hypocrites et « irrespectueuses » aux dires de certains affidés du régime ? Je réponds sans détour qu’on n’est pas en droit d’attendre de l’étranger le respect que l’on n’accorde guère à ses concitoyens. « L’irrespect » que certains souverainistes camerounais de circonstance et du dimanche reprochent au Président français est l’expression d’un ras-le-bol à l’endroit d’un partenaire diplomatique réputé dans l’art de l’esbroufe, de la roublardise et des promesses en monnaie de singe.
A ceux des Camerounais qui se répandent en cris d’orfraies et vouent aux gémonies le Président français qui aurait attenté à la souveraineté du Cameroun et à son honneur, je leur rétorque qu’on ne revendique pas un honneur et une souveraineté que l’on a volontairement perdus parce qu’on gouverne sans proactivité mais à la petite semaine. «Président souverain » ? Chiche ! Lorsque l’on entend des propos du Président français que c’est de Paris que sont venus les « pressions » qui ont rendu possibles les actes récents de décrispation de la scène politique au Cameroun : la libération de Maurice Kamto et de ses alliés (condition non négociable de la rencontre au sommet à Lyon), la libération de certains prisonniers politiques anglophones, le nouveau code sur la décentralisation, le « Grand Dialogue National » dont le Maître des Cérémonies, le Président camerounais, viendra ensuite, de ses propres mots « faire un compte-rendu » en France au Président français.
Quant à l’activiste camerounais, le brave « sans-papiers » dont la témérité met dans tous leurs états le système gouvernant, ses fantassins et autres chevaux légers, il a fait sienne la sagesse antique qui tient le courage pour la première des vertus. Il a su communiquer sans le sous comme ne savent guère le faire ceux qui sont payés par milliards par le chef de l’Etat du Cameroun pour promouvoir une image de marque qui l’est de moins de moins. Qu’on le déteste ou l’adule, on est bluffé par sa fabuleuse intelligence des situations et son audace.
L’Histoire jugera !!!
AJM