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Anicet Ekane : « Le problème bamileke est en réalité un problème de pouvoir »

Anicet Ekaney

Lebledparle.com vous propose une tribune libre d’Anicet Ekane, président du Maniden sur la question ethnique au Cameroun. Cette publication date de 2012 et réactualisé par l’auteur à la faveur des tensions survenues à Sangmélima la semaine dernière.


Anicet Ekaney
Anicet Ekané – DR

LE PRETEXTE BETI, 

La question ethnique est et demeurera, encore pour longtemps, un enjeu essentiel dans notre pays. Au cœur de cette question ethnique se trouve le problème de la nature du régime du Renouveau. La question : « le pouvoir au Kamerun est-il Béti ? » est très pertinente et les inflexions qu’elle suggère méritent donc amplement d’être examinées.

Quelles que soient les passions auxquelles donne lieu, légitimement, cette question, elle est suffisamment sérieuse pour uniquement se contenter de l’effleurer ou en faire un argument politique.

Dans notre développement, nous allons essayer de faire appel et confiance à l’intelligence des Kamerunais et à leurs convictions profondes, plutôt qu’à leurs émotions et à leurs instincts primaires.

« Le pouvoir est-il Béti ? » est une question très ambigüe car, qu’est-ce que cela voudrait dire ?

– Que l’essentiel des rênes du pouvoir se trouvent entre les mains de Kamerunais Béti ?

– Que le pouvoir au Kamerun est détenu par l’ethnie Béti, qui entretient ainsi un pouvoir hégémonique sur le reste des Kamerunais ?

– Qu’entre les clans au pouvoir, le rapport de forces est plutôt favorable au clan Béti ?

– Ou bien que ces trois affirmations sont vraies ?

  1. I. LA SOURCE DU MALAISE

« C’est la raison qui fait l’homme mais c’est le sentiment qui le conduit ».

L’idée selon laquelle le pouvoir est Béti, est largement partagée par bon nombre de nos compatriotes. La corruption et le népotisme aidant, le fait qu’une partie toujours plus grande de la richesse nationale est accaparée par des clans ou des ramifications autour du Président Biya, et qu’un sectarisme ambiant est entretenu par certaines élites (1) tribalistes Béti, ce fait a contribué à installer cet état d’esprit chez bon nombre de nos compatriotes non béti. Par la suite, les frustrations et les ressentiments des autres élites non béti ont alimenté le radicalisme anti-béti, béat et désuet dès 1990.

A cette période-là, nos compatriotes étaient déboussolés par la situation politique. Certains malins, prétendument leaders sociopolitiques, ont cherché l’adhésion des masses par l’exacerbation de nos différences ethniques. Toutes les thèses démagogiques et populistes prospéraient. Les années de braise ont malheureusement brouillé l’analyse politique au sujet de la nature réelle du pouvoir au Kamerun.

Malgré la réalité des faits, ces vieux, faux, et dangereux schémas persistent et sont souvent le prétexte pour susciter la haine ethnique. Il est temps, il est vraiment temps, de les bousculer vigoureusement.

Ce n’est pas en installant le mensonge et la désinformation que la démocratie se renforce.

  1. II. LA PARTIE VISIBLE DE L’ICEBERG

Personne de sérieux ne peut nier que les postes stratégiques, administratifs, politiques et militaires sont majoritairement attribués aux ressortissants béti. Les remaniements ministériels et les nominations dans les grandes administrations le démontrent sans cesse. Cela est si bien inscrit dans la pratique du pouvoir actuel que la question « d’arracher du pied cette épine devenue poutre » ne se pose plus lorsque le Chef de l’Etat procède aux consultations en vue des nominations aux postes clés de la République. Ce qu’il faut rapidement ajouter, mais qu’omettent de préciser ceux qui, consciemment ou inconsciemment (plutôt consciemment) font des statistiques ethniques, c’est que cette structuration du pouvoir est du type Néocolonial, et se retrouve dans pratiquement tous les pays du pré carré français.

En faire un argument de propagande politique, est donc faire preuve soit d’ignorance, soit de malhonnêteté politique dangereuse, soit les deux.

Les régimes UC et UNC, sous Ahidjo, avaient comme une de leurs caractéristiques, le contrôle politico-militaro-administratif du pays par la caste Peuhl du Nord. Bien plus, sous Ahidjo, une bourgeoisie d’affaires et de commerce, issue de la caste peuhle, et rapidement créée de toutes pièces, constituait la base de ce pouvoir militaro politico administratif. Le régime du Renouveau n’a rien inventé. Certainement qu’on peut lui attribuer une certaine grossièreté dans la fabrication des soi-disant hommes d’affaires béti. Cette opération avait pour objectif, de se constituer une base économique capable de concurrencer les bourgeoisies de l’Ouest et du Nord. Le résultat est minable.

Malgré tout cela, on peut le dire sans aucun risque d’être démenti, qu’en dehors des mastodontes étrangers, qui en contrôlent l’essentiel, le résidu du pouvoir économique est détenu par la bourgeoisie de l’Ouest et du Nord.

D’Ahidjo à Biya, le pouvoir est de même nature structurelle. Sauf, qu’à l’hégémonie du camp peuhl, a succédé celle du clan béti, au niveau du rapport de force inter clans.

Si une certaine opinion tente de faire croire que cette hégémonie du clan béti est plus évidente que celle de la caste peuhle sous Ahidjo, cela relève de la manipulation. Tous ceux qui ont vécu et observé le régime Ahidjo savent bien que la caste peuhle régnait sans partage, prenant souvent un malin plaisir à humilier tous ceux qui osaient contester cette hégémonie instaurée notamment par les colons français. C’est d’ailleurs ce sentiment de frustration qui a nourri les réactions disproportionnées, sauvages et injustifiables des revanchards contre le putsch manqué de 1984. N’oublions jamais que de 1958 à 1982 Ahidjo a dirigé un régime de dictature qui avait sérieusement limité la liberté de parole. Le débat était proscrit car dangereux. Et forcément rares étaient ceux qui osaient dénoncer cet état de choses. Depuis 1990, la parole revenue a permis d’exercer une pression plus importante sur le régime du Renouveau au sujet de ses dérives tribalistes. L’avènement du pluralisme politique ne pouvait que mettre, plus sérieusement, en difficulté cette structuration du pouvoir.

III. LA REALITE DES FAITS

En effet, cette vision manichéenne du pouvoir du clan béti ne résiste pas à la réalité des faits. Sous le régime du Renouveau, comme sous celui d’Ahidjo, le pouvoir est partagé entre les différents clans villageois et tribalistes.

Si le pouvoir militaro politico administratif est détenu essentiellement par le clan béti, cela n’entraîne pas une situation ethnique hégémonique. Comme cela se faisait sous l’UC et l’UNC, avec Ahidjo, des pans entiers de ce pouvoir sont aux mains d’autres clans ethniques. Les nominations dans les grandes administrations et autres sociétés publiques procèdent de cette alchimie ethnique des pouvoirs néocoloniaux. Il est en outre indéniable que l’avènement d’un contexte politique de démocratisation ne pouvait que décourager toute velléité hégémonique, ce qui n’était pas le cas avant le multipartisme.

D’ailleurs la répartition des postes de pouvoir tient compte d’une donnée nouvelle qui bouleverse sérieusement les schémas ethniques. Le développement écervelé des sectes, qui ont fleuri sur les incertitudes d’une société en quête de sens, en perdition, a multiplié les mécanismes occultes d’accession au pouvoir, la sélection dans la reproduction sociale, accompagnée par une école où le tamis est l’argent, la persistance d’inégalités cumulatives, tous ces éléments nouveaux ont davantage nourri un système ouvert et Trans ethnique. Tout cela a considérablement freiné toute velléité d’hégémonie ethnique.

En réalité, Biya est enfermé dans la logique des équilibres régionaux ; cette logique est indispensable à son maintien au pouvoir. Il a atomisé le pays avec cette logique. Aucune logique de représentativité populaire ne déterminant son choix dans le partage des postes de pouvoir.

  1. IV. LES RAISONS DE CETTE NOUVELLE LEVEE DE BOUCLIER

La fin du régime du Renouveau, va de plus en plus alimenter les batailles pour le leadership de la succession. Les différents membres de ces élites de la petite bourgeoisie, se chargent consciemment ou inconsciemment de défendre les intérêts de leurs bourgeoisies respectives, des intérêts qui s’accordent avec les leurs, dans le sens qu’elles aspirent à prendre la place de leurs ainés. Ainsi voit-on d’éminentes personnalités universitaires par ailleurs très brillantes, défendre des thèses plus ou moins fumeuses mais dangereuses pour la Nation, dans un charabia pseudo universitaire. Peu importe, pensent-t-elles, l’essentiel étant d’assurer la victoire de leur camp.

Il en est ainsi du débat sur le prochain Président du Kamerun. On entend, pêle-mêle, « un Béti ne doit pas succéder à Paul Biya », « un Nordiste au pouvoir et se sera le chaos », « pas de Président Bamiléké car il y aura une hégémonie ethnique totale ». DU VRAI DELIRE.

En fait, cet article devait être intitulé : « LE PRETEXTE ETHNIQUE »

Mais commençons par la fin. Dans un récent article, j’ai amplement parlé du syndrome Bamiléké dont parlent certaines élites. J’expliquais qu’en réalité, ce sont les clans bourgeois et petit-bourgeois des autres ethnies qui redoutent le clan bourgeois et petit bourgeois de l’Ouest. En effet, la relative puissance économique de ce dernier clan donne des sueurs froides aux autres, et spécialement au clan Béti qui redoute la fin de son hégémonie, dès la fin du règne de Paul Biya.

La caporalisation et la manipulation des masses transforment leurs peurs, légitimes en tant que celles du clan, en un syndrome national bamiléké. L’objectif poursuivi étant de créer un front anti-bamiléké au sein du reste de la population kamerunaise.

La même recette est expérimentée pour stigmatiser l’éventuelle arrivée au pouvoir d’un Kamerunais originaire du Nord. Ici, c’est le syndrome du Putch manqué de 1984 et ses conséquences qui sont agités par le clan Béti.

Il en est de même dans la tentative de créer un clan anti béti sous le prétexte que : « maintenant c’est le tour des autres ».

Quels autres ? De qui parle-t-on ? Evidemment, des autres clans bourgeois et petits-bourgeois, actuellement assis sur la table du gargantuesque festin national, mais qui bataillent pour en assurer la direction dans l’avenir.

Honte donc à ceux-là même qui tout en étant sur la table du festin, veulent entraîner nos compatriotes notamment de l’Ouest et du Nord dans l’hystérie anti béti.

Honte également à ceux qui, sentant le sol leur dérober sous leurs pieds, sentant leur hégémonie en danger, agitent l’épouvantail des « gens du Nord », ou « des bamiléké envahissants ».

Et les Kamerunais dans tout cela ?

Tous nos compatriotes qui, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest qui, soit croupissent dans la pauvreté et la misère, soit survivent difficilement à cause de la faillite politico économique de ce régime, ne doivent pas se sentir objectivement concernés par ces batailles au sommet ; même si subjectivement, les ressentiments et les instincts primaires les y entraînent de temps en temps. Cette stigmatisation entretenue par ces élites villageoises et tribalistes sont à combattre avec énergie.

En effet, elles peuvent précipiter, si on n’y prend pas garde, le pays dans un chaos consécutif à des confrontations ethniques liées à la bataille pour le pouvoir.

Ce qu’il faut affirmer ici, c’est qu’il existe une tribu de synthèse, (synthèse : formation artificielle d’un corps composé), pour reprendre la belle formule de notre camarade Denis NKWEBO, qui est composée de toutes ces élites villageoises au pouvoir ou à la périphérie du pouvoir, qui ne voient notre pays que comme une juxtaposition, un agrégat de bantoustans, condamnés à s’épier, à se combattre, sans aucune volonté, sans aucun espoir d’intégration. Voilà le Kamerun tel que conçu par la tribu de synthèse.

Ce que les Kamerunais doivent rejeter systématiquement, c’est de se laisser entraîner dans cette bataille qui doit se cantonner à l’intérieur de la tribu de synthèse dont nous parlions plus haut. S’il y a chaos, ce sera et ce doit être exclusivement à l’intérieur de cette tribu de synthèse.

Pour approfondir :   La revue de presse camerounaise du jeudi 3 août 2023

Pour notre pays, pour le Kamerun de nos ancêtres, les patriotes seront un solide rempart contre toute tentative de déstabilisation d’où qu’elle vienne.

Ce sont ces gens-là que les Kamerunais ne voudraient pas à la tête du Kamerun post Biya.

Ce sont les TITUS EDZOA, AKAME MFOUMOU, TSIMI EVOUNA, FAME NDONGO, MEBE NGO’O, et autres, ATANGANA MEBARA, Joseph OWONA. Ce sont ces béti là dont les Kamerunais ne veulent plus.

Ce sont les KONTCHOU KOUOMEGNI, NIAT NJIFENJI, Jean NKUETE, SIYAM SIWE, et cie.

Ce sont ces bamilékés-là dont les Kamerunais ne veulent plus.

Ce sont les MARAFA HAMIDOU YAYA, AMADOU ALI, BELLO BOUBA MAIGARI, CAVAYE YEGUIE DJIBRIL, HAMADJODA ADJOUDJI, YAOU AISSATOU, et cie.

Ce sont ces « nordistes » dont les Kamerunais ne veulent plus.

Evidemment, les Kamerunais ne veulent non plus de tous les autres membres des élites villageoises, tribalistes et abrutissantes des autres ethnies : les ESSO, BAPES BAPES, ATANGA NJI et cie.

Mais, quel Kamerunais aurait refusé qu’un patriote comme MONGO BETI, ABEL EYINGA, ABANDA KPAMA, ENOH MEYOMESSE, MEVOUA, OVOUNDI dirige le Kamerun post Biya.

Qui aurait à redire si Jean Bosco NKWETCHE, YIMGAING MOYO, Hubert KAMGANG, GHONDA NOUGA, Denis NKWEBO, DONGMO Fils Valentin, devenaient les dirigeants du Kamerun post Renouveau ?

Dr Albert DOUFFISSA, SANDA OUMAROU etc sont t des patriotes au service du Kamerun de demain. Ils dirigeraient ce pays sans aucun esprit sectaire ou tribaliste, sans esprit de revanche, encore moins de velléités hégémonique.

Je ne pourrais pas dire autant de toutes ces personnalités politiques, sociopolitiques ou religieuses qui derrière des discours mielleux, sont de patentés tribalistes, conscients ou inconscients. Les lauriers dressés aux victoires électorales dans les niches régionalistes, sont là pour mettre à nu le comportement tendancieux de tous ces politiciens du village. Je ne citerai pour le moment aucun nom, mais je suis sûr qu’ils se reconnaîtront.

La solution à nos problèmes, la solution pour notre pays est l’arrivée au pouvoir de patriotes véritables débarrassés des instincts de repli identitaire et de tout sectarisme régionaliste et résolument tournés vers le panafricanisme.

  1. V. LE PRETEXTE ETHNIQUE

La question du pouvoir béti est intimement liée aux enjeux du pouvoir au Kamerun aujourd’hui. Les difficultés d’alternance politique ont été le détonateur de cette fracture politique entre le peuple béti et le reste du pays.

L’examen objectif du terroir béti et les conditions d’existence de ce peuple suffisent à eux seuls pour affirmer que ce peuple sert de masse de manœuvre de groupe de pression, d’objet de chantage au pouvoir minoritaire. Le rapport de forces au Kamerun se fait encore en grande partie par les ethnies, l’exercice du pouvoir également. D’ailleurs, les différents clans au pouvoir ne se gênent point pour se servir de leurs ressortissants dans ces manœuvres.

Ce n’est donc point une spécificité ni du clan béti, ni du pouvoir actuel. Comment peut-on donc stigmatiser un peuple qui n’a commis d’autres crimes que de compter des fils incompétents et antipatriotes à la tête d’un pouvoir impopulaire ?

Un peuple en acculturation effrénée, de plus en plus misérable, sans perspectives culturelles et matérielles ; la scolarisation est en régression partout, même dans les contrées proches du palais du Chef de l’Etat à Mvomeka. Les infrastructures de communication sont largement insuffisantes ou sont totalement dégradées. Les béti sont ainsi partagés ou coincés entre la coercition et le désenchantement.

Comme tous les autres Kamerunais, ils subissent les méfaits d’un pouvoir au service essentiellement des intérêts étrangers et peu soucieux du bien-être des Kamerunais.

Les autres peuples du Kamerun ne sont pas en reste, embarqués malgré eux, dans cette dérive de stigmatisation ethnique injuste. Ils sont véritablement des otages de leurs élites qui s’en servent comme monnaie d’échange dans les positionnements économiques et politiques.

EN REALITE, C’EST LE DISCOURS DES REVANCHARDS ET OPPORTUNISTES PASSÉS DANS L’OPPOSITION POLITIQUE ET L’ALIENATION ETHNIQUE DES KAMERUNAIS QUI ONT FAIT DU PRETEXTE BETI, UN POUVOIR BETI.

Et comme la lumière crée l’ombre, le prétexte béti permet d’occulter les questions fondamentales liées à la nature de classe du pouvoir au Kamerun. Ils sont nombreux, les faux opposants infiltrés dans les sectes tribalistes et réactionnaires, et dans les médias, dont la contribution principale au départ de Biya semble être l’exacerbation du chauvinisme tribal et l’amalgame consistant à rendre le peuple béti solidairement comptable des échecs du « Renouveau »

Un proverbe haoussa affirme : « qu’une parole de vérité pèse plus que le monde entier »

Il faut donc cultiver la Vérité.

On ne fait pas la politique avec des sentiments et des remords. Mais avec un projet. Ce projet est de construire une Nation Kamerunaise, une véritable Nation Kamerunaise tournée vers un avenir de puissance africaine.

« Le Kamerun est notre Patrie et l’Afrique notre Avenir », affirmons-nous au MANIDEM.

C’EST NOTRE DEVOIR. LE DEVOIR DE TOUS LES VRAIS PATRIOTES KAMERUNAIS.

Anicet EKANE

Alias Pierre NGUENKAM *

*Mon nom de lutte en clandestinité upéciste

(1) Ce terme d’élite est très ambigüe car cela renvoie, dans le contexte d’aujourd’hui, à des gens soit aux diplômes ronflants, plus ou moins authentiques, soit à des individus riches, aux revenus plus ou moins mal acquis. Par contre, une élite doit tirer la masse vers le haut, l’excellence, vers la probité, vers des valeurs humanistes. On est loin du compte au Kamerun du Renouveau.

Anicet Ekane, sur le Tribalisme au Cameroun :

“C’est la bourgeoisie bamiléké qui fait peur”

Source, auteur, copyright

© Le Jour Date de publication : 13-03-2012 16 :45 : 17 Stephane Tchakam

Quand on parle de fiefs des partis politiques, en réalité on parle de fiefs régionalistes. La plupart des dirigeants politiques de notre pays dessinent leur politique suivant le prisme ethnique. Dans les partis politiques, il y a, comme au niveau du pouvoir, une répartition des postes en fonction des régions et des origines

Ces temps-ci, intellectuels et activistes, échangent de plus en plus, même indirectement, sur les questions ethniques dans notre pays. Pourquoi cela arrive-t-il en ce moment ?

Autant on entendait ces débats en 1990, autant on les entend maintenant.

On se situe dans une phase particulière. Tout le monde sait que l’alternance arrive et il y a des enjeux de pouvoir. Cette mise en évidence de la théorisation du tribalisme est le résultat de l’appât du pouvoir en transition. L’axe nord-sud, toutes les élites dont l’élite bamiléké qui cherche des alliés pour soi-disant partager le pouvoir participent de cette perspective.

Et les hommes politiques, eux, semblent être en retrait…

Les hommes politiques sont en retrait parce que la plupart d’entre eux travaillent sous le prisme du tribalisme. Je vais vous citer des exemples. Au Sdf, John Fru Ndi a déclaré tout de go qu’un Bamileke ne peut pas être secrétaire général de son parti. A l’Upc, vous avez les tribus piliers qui font que les secrétaires généraux doivent être bassa et les présidents, bamileke. A l’époque de la restauration du multipartisme, je m’étais entendu demander ce que moi, un Sawa, venait faire à la tête de l’Upc. Au Rdpc, il y a une hégémonie beti qui ne fait aucun doute. Il y a une ethnicisation de l’Udc. Dans les congrès de l’Udc, à part le français et l’anglais, on parle généralement une autre langue dans les couloirs. A l’Undp, il y a une pratique de cloisonnement ou de promotion des différents responsables en fonction de leur tribu. Je me souviens quand Pierre Flambeau Ngayap a été désigné secrétaire général de l’Undp, Shanda Tonme a déclaré que l’Undp avait fait le choix du nombre et de la puissance économique. Lui, qui se fait passer pour le chantre de la défense des intérêts des peuples bamileke, avait félicité Bello Bouba Maïgari.

Est-ce à dire que le tribalisme arrange à peu près tout le monde ?

Oui, absolument. Quand on parle de fiefs des partis politiques, en réalité on parle de fiefs régionalistes. La plupart des dirigeants politiques de notre pays dessinent leur politique suivant le prisme ethnique. Dans les partis politiques, il y a, comme au niveau du pouvoir, une répartition des postes en fonction des régions et des origines. Mais vous ne le verrez pas au Manidem et dans les partis d’obédience upéciste en dehors de l’Upc gouvernementale où le tribalisme s’est installé de façon totale. Ce prisme tribaliste est dans la pratique de la plupart des hommes politiques qui ne s’en cachent même pas. La plupart des responsables politiques du Nord se définissent comme tels, comme une association, une synergie des hommes politiques du Nord indépendamment de leur orientation politique. Ça pose problème. Jean-Jacques Ekindi est dans la même logique. Et malgré son discours, son terreau politique est un terreau tribaliste. Malgré tout le mal qu’on peut penser du Sdf, ce parti a gagné toutes les mairies à Douala en 1996. Et on a vu Ekindi, à la tête d’une association, «Kond’a mboa sawa», «la renaissance du peuple sawa» pour défiler avec d’autres intégristes dans les rues de Douala. Avec des pancartes sur lesquelles il était écrit «que les Bamileke aillent voter chez eux». Explicitement et au vu et au su de tout le monde. Ekindi était dans la marche. Et l’administration a laissé faire parce qu’elle était embêtée que le Rdpc ait perdu toutes les municipalités de Douala.

Comment avez-vous vécu les événements de Deido?

Voilà des événements que des hommes politiques, en mal de popularité dans leur tribu d’origine, ont voulu exploiter…

Vous le dites avec dégoût…

Beaucoup de dégoût. Je ne comprends même pas que les Camerounais qui ne sont pas intégristes régionalistes accordent encore du crédit à des hommes politiques comme Dzongang ou Ekindi. Dzongang a déclaré que les Bamileke apportent une grande contribution dans la richesse du pays. Je veux bien, mais allez voir les Bamileke qui souffrent à Bepanda Yonyon ou à Village, à Douala. Je ne pense pas que ceux-là se reconnaissent dans la production de richesses des Kadji, Fotso et autres. Cet amalgame ne peut être utilisé que par ceux qui veulent se prévaloir de la casquette de dirigeants ethniques. On l’a vu lors de la dernière élection présidentielle quand un certain nombre de candidats ont essentiellement fait campagne dans leur région et y ont eu le maximum sinon l’essentiel de leurs voix.

Au même moment, pourquoi la question de l’ethnie est-elle si taboue ?

C’est parce que les gens sont tribalistes dans la nuit. Le jour venu, ils jouent aux malins. Tous ces hommes politiques, à l’exception de celle de ma famille politique, font de la politique dans l’arrière boutique et dans la nuit dans les associations tribales ou tribalistes. Le jour venu, ils viennent parler d’intégration nationale à la radio ou à la télévision. Ça les arrange parce que chacun est roi et maître chez soi.

En quels termes se pose la question ethnique chez nous ?

Il faut préparer notre pays à l’intégration. Les échanges, les mariages inter-ethniques, le brassage des populations du fait du développement des infrastructures, l’ouverture de nos enfants hors de leur région font qu’on arrive automatiquement à l’intégration. Cette intégration qui brasse les cultures est même freinée de façon théorique par les hommes politiques qui voudraient que le Cameroun soit le résultat d’une balkanisation. Il faut encourager l’intégration par des mesures simples: les internats scolaires, les affectations. Dans ma région d’origine, tous les délégués régionaux des ministères sont des Sawa. Un peu partout ailleurs, c’est la même configuration. On ne peut pas en même temps dire qu’on veut un Cameroun uni, qu’on veut l’intégration nationale, fustiger le Rdpc et se complaire dans cette façon de voir les choses selon laquelle chacun doit diriger chez lui. Et les événements de Deido ont montré que beaucoup ont voulu les exploiter ainsi.

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L’intégration nationale a-t-elle reculé ces trente dernières années ?

Je ne pense pas que sous Ahidjo l’intégration a vraiment avancé. On était dans un système de dictature. L’expression des gens était brimée par ce contexte sociopolitique. L’équilibre régional est une politique qui a comme prisme, la région. A un moment donné, à l’avènement de l’indépendance, ça peut être une posture pour encourager un développement harmonieux et équilibré des régions. Mais, c’est en matière de politique économique et industrielle que l’on doit faire en sorte que les régions commencent à s’équilibrer. Ce ne sont pas des mesures administratives qui règlent le problème de l’intégration. Ce qu’Ahidjo faisait, c’était de régler administrativement ces questions. Forcément, le couvercle devait sauter, comme on l’a observé en 1990 avec le multipartisme.

Les Camerounais, au quotidien, ont-ils tendance à se rejeter ?

Je ne crois pas. Il n’y a qu’à voir dans les lycées et les collèges. Nos enfants épousent de façon indifférente les filles de toutes les régions, surtout ceux qui sont partis du pays. Il n’y a pas de rejet naturel. Il y a un contexte sociopolitique qui encourage et stimule ce rejet. C’est quarante-cinq ans après le collège que j’ai retrouvé des camarades dont je ne connaissais pas du tout l’origine ethnique. A notre époque, à l’internat, nous ne nous demandions pas d’où venait tel ou tel autre. Allez voir maintenant dans les collèges, les lycées et les universités. Vous y avez des associations des ressortissants de tel village ou de tel bled. Heureusement, il n’y en a pas de Bomono. C’est le politique qui est responsable de cette situation. C’est le manque de démocratie qui confine les gens à des replis identitaires. Et c’est en faisant sauter le couvercle que les gens se démasquent. C’est pour cela qu’il est important que l’on lance le débat sur le tribalisme, le régionalisme, la protection des minorités, la question des allogènes.

Mais nous sommes différents les uns des autres…

Oui, et le mal vient de l’exploitation des différences à des fins peu reluisantes. Il faut une révolution mentale pour nous débarrasser du tribalisme instinctif. Je pense en effet qu’il existe deux types de tribalisme. Le tribalisme conscient et même théorisé et le tribalisme instinctif. Je fais cette différence parce qu’il y a très peu de gens qui s’avouent tribalistes. Ils utilisent la formule bien connue « je suis ne suis pas tribaliste mais je n’aime pas les Bamileke, je n’aime pas les Beti». Certains, tribalistes en réalité, laissent croire que c’est l’introduction des notions autochtones et allogènes dans la Constitution qui a accentué le tribalisme dans le pays. Je pense que c’est faux. Ces termes ont été introduits par la Tripartite parce qu’il y avait une dérive tribaliste dans le pays que l’on ne peut pas nécessairement mettre à l’actif du pouvoir. Je peux pardonner au tribalisme instinctif révélé par exemple dans une interview un peu idiote du cardinal Tumi, qui avait dit que le tribalisme au Cameroun se résumait à ce que les autres ethnies sont jalouses des Bamileke parce qu’ils sont travailleurs et leurs paysans se lèvent tôt. Tous les paysans de ce pays se lèvent tôt le matin et travaillent dur du fait de l’âpreté de la vie en campagne. C’était instinctif et je crois que le cardinal s’est amendé. J’avais écrit un texte sur le prétexte beti. Des gens profitent de ce qu’ils appellent la soi-disant confiscation du pouvoir beti pour faire du tribalisme par réaction. Le peuple beti est otage d’un pouvoir non pas beti mais d’un pouvoir hégémonique beti où la bourgeoisie beti est hégémonique. C’est de ça qu’il s’agit. Mais c’est un pouvoir de toutes les bourgeoisies du pays qui se partagent les richesses. A Kondengui aujourd’hui, il n’y a pas que les Betis. C’était un prétexte pour théoriser, développer et intensifier un tribalisme anti-Beti avec la théorie du pays organisateur. Il faut sortir de ça. Les Betis ne sont pas au pouvoir. Le pouvoir actuel a à sa tête une caste hégémonique.

Mais c’est au nom de la démocratie que les régionalismes s’expriment aussi, non ?

Non, ce n’est pas au nom de la démocratie. C’est la lutte pour le pouvoir qui a excité, par les appétits, le régionalisme. C’est facile de dire « votez pour moi parce que je suis Bafang et parce que je vais défendre les intérêts des Bafang». C’est trop facile parce que les jeunes Bafang diplômés et qui n’ont pas de travail, les jeunes Sawa qui manquent d’emplois voient leur désarroi exploité. Ceux qui le font sont nantis, ils ne peuvent pas se faire agresser, ils n’empruntent pas les bend skin. C’est facile d’exploiter ces instincts primaires lorsqu’on veut se faire une clientèle politique.

Est-ce à dire que vous renvoyez dos-à-dos les pouvoirs Ahidjo et Biya ?

Non, les contextes sont différents. Le régime Biya se développe dans un contexte pluraliste où on sort de la dictature. Tout ce qui a été brimé, réprimé, confiné remonte à la surface. C’est bien et c’aurait été encore mieux de lancer le débat de façon ouverte. Mais au lieu de cela, on règle le problème par des artifices, des compromis et des compromissions, des tractations plus ou moins louches.

Notre pays ne s’est-il jamais résolument engagé dans la voie de l’intégration nationale ?

Pas du tout. Les pouvoirs dictatoriaux jouent sur la division : diviser pour mieux régner. C’est impossible qu’un pouvoir dictatorial fonde sa politique sur l’intégration, sur la volonté de faire en sorte que les Camerounais se sentent fils d’une même nation. Si les Camerounais abandonnent le repli identitaire, aucun pouvoir non populaire ne peut diriger notre pays.

Appartenir à une ethnie est-elle un avantage et à une autre, un inconvénient ?

Je suis très amusé quand j’entends les gens dire «je suis fier d’être Sawa, je suis fier d’être Bamileke». Mais, c’est un accident que votre père ait rencontré votre mère. Imaginez un garçon dont le père biologique est Bamileke et qui est élevé à Douala. Il aura toutes les habitudes et les réflexes d’un «nkwah», comme on dit chez les Bamileke. Et l’inverse est vrai. Le milieu social fabrique les individus. C’est ça qui fait en sorte que l’individu est fabriqué par l’environnement et pas par le gêne bamileke ou sawa. Je ne suis pas fier d’être Sawa, je suis fier de ce que je suis devenu, un militant politique ardu. Je me suis battu pour le devenir. Mais le fait que mon père soit de Bomono, je n’ai aucune fierté à en tirer. A la limite, je peux être fier de ce que mon père a réalisé. Je peux être fier de ce que les Um, Moumié et Ouandie ont fait parce qu’ils sont des Camerounais. Parce que je me réclame d’eux. Je suis fier des Milla, Kunde et Eto’o parce que nous sommes de la même nation. Mais être Sawa, je ne vois pas en quoi c’est extraordinaire.

Peut-on valablement parler d’un tribalisme d’Etat dans notre pays ?

On peut en parler parce que dans des pouvoirs forts, vous avez l’hégémonie d’une élite. Et l’élite beti est hégémonique dans ce pouvoir. Forcément, elle se sert de cette hégémonie pour mettre en place une structure étatique qui renforce sa région d’origine. Cette élite excite et caporalise les masses pour leur faire admettre que ce pouvoir leur appartient. Ce qui est totalement faux. Allez voir ce qui se passe en pays beti. Moi, je connais toute la région du Sud en particulier et même la région du Centre. Il n’y a pas région plus enclavée que le Sud. Pourtant, c’est la bourgeoisie politico-administrative du Sud qui est au pouvoir. En revanche, à l’Ouest, les infrastructures ne manquent pas. C’est l’hégémonie d’une bourgeoisie. Ce ne sont pas les Betis et les Bulu qui sont au pouvoir. Donc, le tribalisme d’Etat est lié à la nature néocoloniale du régime qui est là pour diviser les Camerounais.

Dans ce contexte, il semble bien qu’il y ait un problème particulier, celui des Bamileke…

Le problème bamileke est en réalité un problème de pouvoir. La bourgeoisie bamileke, sur le plan économique, est une bourgeoisie puissante. Elle a donc des appétits, des envies d’avoir une place plus importante dans le système du fait qu’elle a l’atout économique qui, même minime du fait du poids des multinationales, est réel. Forcément, cela provoque des sueurs froides aux autres bourgeoisies. On va donc vite à l’assimilation et à l’amalgame en considérant qu’il faut avoir peur de tous les Bamileke. Comment peut-on avoir peur des pauvres gars qui souffrent à Bepanda et à Village et qui n’ont pas de quoi manger ?

Sur quoi devrait-on déboucher ?

Si on continue comme cela, on va vers la déflagration. Certains disent qu’il n’en sera rien parce que nous avons plusieurs ethnies. C’est un faux argument. Tout récemment, à Deido, imaginez que dans l’enchainement des représailles, une famille de Deido ait brûlé. Que, par la suite, une famille ait brûle à Bepanda… Contrairement à ce qu’on pense, on peut rapidement déboucher sur une déflagration qui embraserait le pays. La crise économique, le chômage, la misère, le désarroi des gens les ramènent à des instincts primaires très dangereux. Lorsqu’on fait la justice populaire, c’est parce que les gens pensent qu’on leur prend le peu qu’il leur reste. Mais quels sont les responsables de cette paupérisation ? C’est le milliardaire bamileke qui s’est enrichi avec la fraude douanière ou les impôts non payés. C’est le fonctionnaire beti qui a détourné l’argent du pays et reste impuni. C’est l’élite bourgeoise du Nord qui s’est enrichie au détriment des douanes dans l’importation du riz, du sucre ou de la farine. Ce n’est pas le pauvre Camerounais qui se débrouille chaque jour pour survivre.

Devrait-on pénaliser plus franchement le tribalisme ?

En réalité, quand on pénalise, on essaye de trouver une solution administrative à un problème politique. Il faut poser le problème ethnique au Cameroun et en discuter ouvertement. Comment un homme politique, pendant la présidentielle, peut-il se prévaloir d’être le candidat d’une région ? C’est contraire à la Constitution. Un candidat comme celui-là devrait être disqualifié. Si la situation se développe comme on le voit, il y a de quoi être inquiet. Mais je compte, avec d’autres patriotes, sur le patriotisme des Camerounais, sur la mutation de cette société de façon dialectique et pas à travers la misère et le chômage.


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