L’ancien Secrétaire général de la présidence a écrit une lettre ouverte au ministre de la Communication.
Le style ironique est bien choisi. Jean-Marie Atangana Mebara a adressé une lettre ouverte à Issa Thiroma le 15 mars 2016. Correspondance qui suite à la sortie du ministre de la Communication (Mincom) cinq jours plus tôt. Le porte-parole du gouvernement s’insurgeait alors contre les anciens gestionnaires de la fortune, publique, aujourd’hui incarcérés, qui publient des ouvrages présentant l’Opération Epervier comme une opération d’épuration politique. Issa Tchiroma n’avait pas hésité à traiter les concernés de « minables ». Des attaques à peine voilées contre Urbain Olanguena Awono et Jean-Marie Atangana Mebara qui viennent de commettre chacun un ouvrage sur le sujet.
Le premier est resté silencieux depuis la sortie du Mincom. Mais le second a choisi de réagir. Atangana Mebara rappelle à Issa Tchiroma la chronologie des évènements de l’affaire de l’avion présidentielle à cause de laquelle il est en prison. L’ancien Sg/pr fait aussi savoir à son interlocuteur qu’il peut se retrouver dans la même situation que les anciens membres du gouvernement actuellement emprisonnés.
Extrait : « Nos compatriotes ne sont pas amnésiques comme vous avez la faiblesse de le croire. Ils se souviennent des noms d’oiseaux et insultes dont, pendant votre traversée du désert, vous avez gratifié le Président de la République et pensent que c’est certainement votre sosie qu’on aperçoit ces derniers temps au premier rang de meeting RDPC en meeting RDPC. Doit-on rester … prisonnier des convictions provisoires, me rétorquerez-vous ? Sans doute avez-vous lu aussi ce qu’un sage avait fait inscrire comme épitaphe sur sa tombe : »hier j’étais comme vous, demain vous serez comme moi. « Là où je me trouve, c’est toujours avec un peu de peine que j’accueille les nouveaux arrivants. Sincèrement je ne souhaite pas à avoir à vous accueillir, un jour prochain », écrit Atangana Mebara depuis la prison de Kondengui.
La lettre d’Atangana Mebara à Issa Tchiroma
L’ancien Secrétaire général de la présidence a écrit une lettre ouverte au ministre de la Communication. Issa Tchiroma qui avait traité de minables les anciens ministres emprisonnés qui présentent l’Opération Epervier dans leurs livres, comme une opération de règlements de comptes politiques. Cameroon-info.net publie intégralement ladite correspondance signée le 15 mars 2016.
Monsieur le Ministre,
« Je voudrais de prime abord vous prier de bien vouloir me pardonner de n’avoir pas suivi en direct, votre conférence de presse du 10 mars 2016._Comme d’autres Camerounais, c’est à travers les comptes rendus de la presse que j’en ai été principalement informé, sans oublier les rapports partiels de mes proches. Pourtant, même si aucun texte, à ma connaissance, ne vous a formellement désigné « Porteparole de gouvernement « , il est toujours intéressant de vous écouter lorsque l’on dit que vous intervenez en cette qualité. _Et puis, pour ceux qui vous ont suivi, ou qui ont l’habitude de suivre vos conférences de presse, ce sont toujours des moments mémorables, en bien ou en mal, peu importe! Je m’en veux donc d’avoir manqué votre dernière sortie médiatique.
Pour l’avenir, je me permets de vous suggérer d’instruire le régisseur de notre prison, d’annoncer, par voie d’affichage dans les différents quartiers, vos prochaines conférences de presse, quelques jours avant, ou même quelques heures avant. Nous pourrions ainsi prendre nos dispositions pour vous suivre en direct. Et le jour de ladite sortie médiatique, le régisseur pourrait aussi être instruit de faire sonner le tocsin, ou la sirène en usage ici, quelques minutes avant le début, afin que tous les détenus se retrouvent devant un poste de télévision.
Comme vous devez sans doute le savoir, au début des années 90, un de vos illustres prédécesseurs battait tous les records d’audience, lorsqu’il organisait une sortie médiatique. Et nous étions alors nombreux à tout faire pour ne pas rater, pour rien au monde, une conférence de presse du brillant professeur Kontchou Kouomegni. Quand j’entends certains commentateurs soutenir que vous faites mieux que le professeur K.K.A., je m’en veux encore doublement. Évidemment certains esprits malicieux rappellent que depuis que celui qu’on avait surnommé Atangana Kontchou est sorti du gouvernement, le souvenir de ses envolées contre la Coordination de l’opposition ou contre certains journalistes s’est estompé, même dans l’esprit de ceux qu’il défendait avec tant de courage, d’ardeur et d’intelligence.
Ces esprits prétendent qu’un jour prochain, votre souvenir se sera aussi dissipé dans ces esprits, peut-être plus vite que celui de votre prédécesseur K.K.A. A ce propos, il m’a été rapporté que lors de cette dernière conférence de presse, vous avez affirmé que vous-même et votre parti politique soutiendrez le Président de la République jusqu’à la fin de sa carrière politique. Votre sincérité ne saurait être mise en doute. Mais alors quelle fidélité! Quel sens de loyauté! Mais je me suis quand même étonné que vous n’ayez pas envisagé que le Président pouvait prendre l’initiative de vous dire qu’il n’a plus besoin de votre soutien ou de celui de votre parti politique.
Évidemment vous vous dites que vous n’êtes pas comme les autres, ceux qui avant vous ont soutenu le Président de la République, ou qui se sont accrochés à lui comme à un serpent lorsqu’on est menacé de se noyer, qu’il ne vous arrivera jamais ce qui est arrivé à ceux-là. Vous vous dites sans doute aussi que votre soutien est tellement indispensable au Président qu’il ne pourrait s’en passer.
Pour ma part, je ne peux que vous souhaiter le mieux, et surtout beaucoup de lucidité. Sans doute, vous pensez que je vous adresse cette lettre pour me plaindre des mots injurieux que vous avez utilisés à l’endroit de certains détenus. Nenni. Le respect que je dois aux institutions ne m’autorise pas à échanger des injures avec un membre du gouvernement. Par ailleurs, ma pauvre mère qui s’est donné tant de mal pour mon éducation, se retournerait dans sa tombe si elle apprenait que j’ai insulté un de mes semblables.
Pour dire vrai, ce pourquoi je me suis décidé à vous écrire, c’est que lors de cette conférence, vous avez évoqué le dossier de la tentative d’acquisition d’un avion présidentiel dans les années 2001-2003. Vous avez, semble-t-il, suggéré aux journalistes de se rendre chez Boeing, s’informer de ce qu’il est advenu des 31 millions de dollars débloqués par la SNH comme acompte pour cet avion. A ce propos, il m’a semblé que votre briefing sur ce dossier n’a pas été complet. Je vous prie d’accorder votre indulgence à vos collaborateurs chargés de ce briefing. Pour eux et pour vous, j’ai pensé utile de vous fournir quelques éléments factuels sur cette affaire; vous pourriez vous en servir pour votre prochaine sortie médiatique.
Tout d’abord, je n’étais pas Secrétaire général de la Présidence de la République en août 2001, lorsque le Ministre des Finances de l’époque à fait virer les 31 millions de dollars. J’accède à cette fonction en août 2002. Le Président de la République m’instruit de suivre particulièrement ce dossier. Il me dit ne pas comprendre qu’un an après le paiement de l’acompte exigé, l’avion n’ait toujours pas été livré. En avril 2003, une mission effectuée par feu l’ambassadeur Mendouga auprès de Boeing permet de découvrir que sur les 31 millions de dollars débloqués, seuls 4 millions de dollars sont parvenus au constructeur américain.
Évidemment l’avion construit ne sera jamais livré parce que le paiement du solde ne sera pas effectué. Tel est l’état du dossier quand je prends en charge ce dossier en fin 2002. Vous savez que mes différentes démarches pour récupérer cet argent me vaudront l’accusation de tentative de détournement de ladite somme, et une décision d’acquittement non exécutée.
Deuxième élément d’information : en mai 2003, à la suite de la mission de l’ambassadeur Mendouga auprès de Boeing, le Ministre des Finances de l’époque, (le même qu’en août 2001), fait débloquer, par la SNH, un montant de 5 millions de dollars, cette fois directement à la société BOEING; l’objectif est d’essayer de ressusciter le premier dossier d’acquisition de l’avion présidentiel.
Troisième élément factuel : le premier juge d’instruction chargé de ce dossier, sieur Pascal Magnagueumabe, avait, dans deux ordonnances, indiqué qu’il était nécessaire, pour se prononcer sur le prétendu détournement de 5 millions de dollars, d’envoyer une mission gouvernementale auprès de Boeing, à l’effet de vérifier l’authenticité des pièces versées par feu l’ambassadeur Mendouga, relativement aux dépenses effectuées avec cette somme de 5 millions de dollars, notamment la location d’un avion pour le Président de la République. Ledit juge avait même suggéré que cette mission soit confiée à l’ambassade du Cameroun à Washington, désormais gérée par le successeur de l’ambassadeur Mendouga. Les autorités compétentes n’ont jamais accordé au juge d’instruction les moyens d’accomplir ou de faire réaliser cette mission.
Dernier élément, la compagnie Boeing a été listée comme témoin de la défense par mes avocats. Le Code de Procédure pénale dispose que pour les témoins résidant à l’étranger, le Parquet compétent adresse la citation au témoin, par l’intermédiaire du Ministre des Relations Extérieures. Celui-ci est chargé de transmettre la citation au témoin cité par voie diplomatique. Cette citation est datée d’avril 2014. A la date d’aujourd’hui, la compagnie Boeing n’a toujours pas été notifiée de la citation à comparaître comme témoin devant le TCS.
Au lieu de conseiller aux journalistes de se rendre aux États-Unis, ne pensez-vous pas qu’il serait plus judicieux que Boeing envoie un représentant témoigner devant le TCS sur le prétendu détournement de 5 millions de dollars? Et éventuellement que ce représentant puisse rencontrer la presse locale, ici? Vous qui avez la responsabilité, même non officielle, de porter la parole du gouvernement, c’est-à-dire des différents membres du gouvernement, peut-être pourriez-vous entreprendre une démarche auprès de vos collègues de la Justice et des Relations Extérieures pour que soient accomplies les diligences nécessaires pour que Boeing vienne témoigner devant le TCS, dans le procès de détournement de 5 millions de dollars. Après la prestation du représentant de Boeing, il vous sera loisible d’organiser une autre conférence de presse.
Certains prétendent que le financement de ces conférences n’obéirait pas toujours à l’orthodoxie des finances publiques. Je vous rassure à ce propos: je n’en crois pas un mot. De même, je reste très sceptique sur toutes ces balayures qu’on essaie de déverser sur vous au sujet d’un prétendu chèque de 400 millions de Fcfa que vous auriez reçu de la firme sud-africaine Transnet. Nous qui avons souffert de la légèreté de certaines accusations, nous sommes toujours très réservés lorsque des accusations sans preuve sont déversées sur un pauvre citoyen, de surcroît un membre du gouvernement comme vous.
Pour mettre un terme à toutes ces rumeurs, qui perturbent quand même certains de nos compatriotes, je soumets à votre appréciation, l’idée d’organiser une conférence de presse, exclusivement consacrée à cette scabreuse affaire. Vous aurez sans doute autour de vous ou au-dessus de vous, des gens qui pensent à votre avenir (mieux que vous-même), qui vous diront de ne pas communiquer sur cette affaire, qui pourrait embarrasser plus d’un dans l’establishment. M’inspirant de mon expérience, je vous dirais que lorsque vous devrez vous défendre, un jour ou l’autre, vous serez seul. Il vaudrait encore mieux pour vous, tant que vous bénéficiez encore de l’aura de membre du gouvernement, de laver votre honneur devant les Camerounais par rapport à cette affaire. Pensez-y.
Mais qui suis-je pour me permettre de prodiguer des conseils à un membre du gouvernement? Un simple prisonnier, un « minable » prisonnier…. à qui vous déniez comme aux autres prisonniers politiques, anciens membres du gouvernement la liberté d’expression. Nos compatriotes ne sont pas amnésiques comme vous avez la faiblesse de le croire. Ils se souviennent des noms d’oiseaux et insultes dont, pendant votre traversée du désert, vous avez gratifié le Président de la République et pensent que c’est certainement votre sosie qu’on aperçoit ces derniers temps au premier rang de meeting RDPC en meeting RDPC. Doit-on rester … prisonnier des convictions provisoires, me rétorquerez-vous ? Sans doute avez-vous lu aussi ce qu’un sage avait fait inscrire comme épitaphe sur sa tombe : »hier j’étais comme vous, demain vous serez comme moi. « Là où je me trouve, c’est toujours avec un peu de peine que j’accueille les nouveaux arrivants. Sincèrement je ne souhaite pas à avoir à vous accueillir, un jour prochain ».
Bien respectueusement.
Kondengui,
le 15 mars 2016
A.MEBARA JM
*ministre de la Communication -Yaoundé