Dans une chronique parue dans MUTATIONS du 24 octobre 2018, le Dr Richard Makon propose de sortie de la crise identitaire qui a fait réapparue de manière forte et très poussée à la faveur de l’élection présidentielle 2018 au Cameroun.
SORTIR DE LA CRISE IDENTITAIRE…
L’élection présidentielle du 07 octobre 2018, côté coulisses comme côté scène, aura été marquée, entre autres, par une résurgence du discours ethnique et un regain du tribalisme sans précédents. Responsables politiques parmi les plus insoupçonnés, partisans et sympathisants surchauffés comme citoyens lambda, presque personne, durant cet épisode électoral, n’a semblé en capacité d’échapper à cette hystérie collective qui s’est déportée jusqu’au Conseil Constitutionnel.
Mais en réalité rien de bien surprenant ! Pendant longtemps notre société, à travers des politiques d’exclusion (dans l’administration des affaires publiques et la gestion des entreprises privées) et les stratégies hégémoniques de certains groupes ethniques, a préparé le terrain à cette crise identitaire. Pendant de très longues années, l’ordre gouvernant à travers son ordre juridique (par exemple ‘‘l’invention’’ des concepts d’autochtones et d’allogènes), ses institutions (par exemple la ‘‘tribalisation’’ de certains ministères et institutions clés) et ses politiques publiques (équilibre régional) a posé les jalons de cette fracture identitaire.
Nombreux sont d’ailleurs ces observateurs qui tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme sur ces dérives qui fragilisent notre concorde républicaine, notre cohésion sociale et hypothèquent durablement notre vivre-ensemble. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, souvent sous l’instigation ou l’instrumentalisation de l’élite, les attitudes de repli identitaire et les actes d’intolérance et de stigmatisation des ‘‘autres’’ se sont multipliés à un rythme effréné.
La seule permanence même du débat relatif au tribalisme ces vingt (20) dernières années dans l’espace public (presse écrite, radio, télé, medias sociaux) ici comme dans sa diaspora, atteste à suffisance de cette crise qui a connu, avec la question de l’anglophonie identitaire, son tournant décisif et le plus dramatique.
Le Cameroun est aujourd’hui en proie à une diversité de crises (sécuritaire, économique, sociale, morale, etc.) qui sont autant de défis à son développement et dont celle identitaire constitue, pour le nouveau pouvoir élu, la plus urgente à régler. Ce qui est en cause ce n’est pas la tribu, encore moins l’attachement ou l’amour qu’elle peut et doit d’ailleurs susciter en chacun de nous, chaque tribu constituant un des maillons essentiels de notre identité collective et ses différentes expressions (spirituelles, organisationnelles, traditionnelles, artistiques, entre autres) représentant le mieux sa tribalité. Mais cette ‘‘tribalité’’ doit bien être distinguée du ‘‘tribalisme’’, forme la plus rétrograde et la plus virulente du sentiment ethnique.
Ce qui est en cause ce n’est non plus l’ethnie, mais d’une part l’immaturité politique de certaines élites, le faible degré de patriotisme et de responsabilité de nombreux acteurs politiques, et d’autre part le déséquilibre des pouvoirs, l’imperfection de l’organisation juridique et politico-administrative de notre jeune État.
Le chantier le plus urgent, parce qu’à la fois conjoncturel et structurel, pour le pouvoir ré-légitimé, est la construction d’une véritable Nation unie dans sa diversité. Cela passe impérativement par l’articulation, via l’ingénierie politique et institutionnelle, d’une meilleure cohabitation entre sphère ethno-régionale et sphère publique républicaine, en protégeant le droit à la différence comme socle de l’identité, à la fois ‘‘ipséité’’ et ‘‘altérité’’.