Dans cette liste un peu ou trop subjective, je dresse mon top 5 de ce que je considère comme les plus grandes déceptions de l’intelligentsia au Cameroun. De ce fait, il se montre ici que ce sont des intellectuels qui auraient pu marquer des générations seulement avec leur matière grise. Mais alors, ils ont dévoyé cette mission au bon gré de je ne sais quoi. La liste n’est donc pas exhaustive. Dans cet article, je considère l’intellectuel comme un producteur de pensée constructive pour la société et la science au travers du livre.
Owona Nguini : le génie incompris
Le professeur Owona Nguini est l’un des plus brillants intellectuels de sa génération. Et même lorsqu’il se retrouve sur le même terrain avec ses ainés parfois à l’âge de ses parents, Owona Nguini fait trembler les neurones. Il l’avait encore prouvé lors d’un face à face avec Kontchou Kouomegni sur une émission à la CRTV ou encore en 2011 face au camp de Fame Ndongo à l’université de Yaoundé. L’immensité de son savoir et ses compétences ne sont plus à définir ni à justifier. A seulement 49 ans, Mathias a déjà traité les sujets les plus délicats dans sa discipline et les disciplines amies. C’est un universitaire pluridisciplinaire, ou encore éclectique, pour utiliser le mot consacré. Il obtient son doctorat à 28 ans en 1997, et commence déjà à enseigner dans les meilleures universités publiques et privées. Dès ses débuts, on remarque déjà qu’il est une voix autorisée, un penseur véritable, un grand pédagogue, un chercheur infatigable. Son article sur le « gouvernement perpétuel » à cette époque l’avait positionné comme producteur d’idées et de concepts de référence.
Mais au fil du temps, Owona Nguini, faim de diffuser l’immensité de ses idées, s’est retrouvé à faire le tour des médias, même les moins sérieux. Il a perdu assez de temps à répondre à toutes ces sollicitations médiatiques, perdu aussi assez d’énergie. Car se retrouver devant certains panélistes à qui au faut expliquer certaines choses, peut paraitre une frustration pour des personnes comme Mathias. Au point où, il va finir par penser qu’il est un génie incompris. Avec la montée en puissance des réseaux sociaux, Mathias a encore dépensé assez de temps et d’énergie, et d’émotions pour essayer de débattre sur tout et avec n’importe qui. Au point de se faire parfois trainer dans la boue. A force d’être vu et entendu, parfois abusivement, Mathias a été confondu dans la masse, et ses idées prises de moins en moins au sérieux. Lui-même mélangé au lot des personnages vulgaires et laids.
On reproche aussi à Mathias, ce génie incompris, de n’avoir jamais pu ou voulu écrire un seul livre sur les nombreux sujets qu’il maitrise et qui peuvent ajouter un plus à la science et la société. Même si, comme il le disait une fois, il ne compte plus le nombre de ses articles scientifiques, il ne lui coute rien de laisser à la génération présente et future un héritage livresque. A force de produire pour produire, MEON est devenu plus qu’improductif. Attendons peut-être qu’il dépasse ses 50 ans ???
Kontchou Kouomegni : zéro livre !
Kontchou Kouomegni est l’un des premiers agrégés de sciences politiques en Afrique. Toute la nouvelle génération des politologues et des juristes des années 70-80 sont ses élèves, ou ses disciples. De Maurice Kamto à Luc Sindjoun. Il est connu comme un très grand orateur, et à vrai dire, un grand maitre dans son domaine.
Sauf que, comme il le disait lors de son face à face avec Mathias sur la Crtv, son entrée en politique l’a écarté de la recherche. Il avoue donc, sans se cacher, qu’il a abandonné sa destinée de chercheur, de savant pour se consacrer uniquement à la politique. C’est dans ce secteur qu’il sera le mieux connu et où il a laissé assez de traces. Mais alors de très mauvaises traces. Il a été dans les années 90 jusqu’au début des années 2000 un membre clé du gouvernement de Biya. Ministre de l’information, ministre de la communication, ministre aux affaires étrangères. Lors du mouvement d’humeur sanglant des étudiants durant les années de braise, il s’est tristement illustré avec la formule « zéro mort » devenu son surnom.
En 1994 encore, il a été au cœur d’une polémique sur les primes des Lions Indomptables. Joseph Antoine Bell dresse le film de cette scène dans son livre « vu de ma cage ». Lors de son éviction du gouvernement, le professeur Kontchou n’a pas hésité à montrer sa peine et voulait tout faire pour revenir « au stade ». On se rappelle qu’il essayait de courtiser « le coach » du RPDC pour redevenir titulaire, prétextant qu’il allait mieux barrer ou tacler Maurice Kamto dans sa zone d’influence.
Après avoir obtenu son doctorat en 1974, à seulement 29 ans à Paris Sorbonne, le Professeur Kontchou n’a offert à la science et la société qu’un maigre livre sur la diplomatie africaine en 1977. Depuis 50 ans donc, il n’a jamais eu le temps de s’asseoir pour penser et écrire et publier sur les sujets sociaux ou scientifiques. Ni même pensé à rédiger ses mémoires, alors qu’il n’est plus au feu de l’action politique régulière depuis qu’il a été écarté de la liste du coach. Même comme il dira aux jeunes devant le collège Vogt qu’il n’appartient à aucune loge si ce n’est celle de la science, de l’« l’esprit scientifique ».
Jean Kueté : un savant enterré au champ !
Jean Kueté a obtenu son doctorat à Rome en économie en 1969. Alors qu’il est né en 1944, il n’avait alors que 25 ans. Paul Biya qu’il vénère aujourd’hui, a surement été à une époque son grand admirateur. Car, Jean Kueté est réputé depuis les années 70 comme l’un des plus grands économistes du continent. Sous Ahidjo, il occupait déjà le poste de directeur des affaires économiques et techniques en 1975 à 29 ans. Et est devenu conseiller de Paul Biya en 1977 à la primature.
Il est présenté comme l’un des rares à n’avoir jamais « connu de disgrâces ». Il devient SG du RDPC directement après sa sortie du gouvernement comme ministre de l’agriculture avec rang de vice-premier ministre.
Aujourd’hui, même les militants de son parti politique ignorent qu’ils ont pour SG un économiste comme l’Afrique Centrale en a rarement eu. Dans un de ses livres sur le F CFA, publié en 1981, soit 1 an avant l’arrivé de Biya au pouvoir, le préfacier le présente comme l’un des économistes les plus féconds de sa génération. Il avait déjà eu à publier deux livres avant : l’un en 1977 sur la macro-économie en Afrique Centrale, et un autre en 1980 sur la monnaie et le développement (le cas du Cameroun)
Mais depuis son entrée dans le champ de la politique politicienne, au service d’un seul homme, il a totalement abandonné ses publications sur l’économie. Et on ne l’a presque jamais entendu parler ouvertement des sujets concernant le développement du Cameroun. Ses livres ne sont plus presque disponibles, et depuis plus de 35 ans, plus rien n’est sorti de ce cerveau. A part des stratégies pour maintenir le chef au pouvoir. Quel gâchis !
Mouelle Kombi : ministre de l’inculture ?
Mouelle Kombi est sans conteste parmi les plus grands intellectuels d’Afrique. A 30 ans, il a obtenu son doctorat en Droit à paris. Il avait été précédemment diplômé en science politique. Entre 1986 et 2010, il a publié plus de 7 livres dans les domaines du droit, de la science politique, et même des recueils de poème. Il faut rappeler que dans les années 80-90, il a été parmi les lauréats d’un concours national de poésie avec Jean Kueté et Maurice Kamto.
Après son doctorat, il ne va s’occuper que des responsabilités intellectuelles. Comme enseignant, chercheur, consultant pour les grandes organisations internationales, etc. Entre 2011-2015, il est nommé comme conseiller spécial auprès du président de la République. Le voilà qui est déjà écarté peu à peu de la science. Après cette période aux petits soins, dans le luxe et autres multiples facilités, il est nommé comme ministre des arts et de la culture.
A sa nomination, le monde intellectuel et celui de la littérature au Cameroun y voyait une heureuse aubaine. On pensait alors que le poète, le savant, l’auteur, l’écrivain, allait utiliser ce poste pour œuvrer avec force et détermination pour l’éclosion de littérature au Cameroun, pour la promotion du livre et de la lecture et pour la mise en place d’un marché lumineux du livre. Que les éditeurs allaient alors recevoir un appui conséquent, les droits des auteurs allaient être valorisés, les associations littéraires allaient pour s’exprimer et exister. Hélas !
Depuis 3 ans déjà, le ministre des arts et de la culture est préoccupé par autres choses. On dira qu’il y’a l’organisation du Salon du livre, mais de quel livre on parle ? De quel salon ? de quelle organisation est ‘il question ? Comment les participants sont ‘ils recrutés ? Qui mérite d’être invité ou pas ? A quoi sert les billets d’avion et logement et per diem qu’on donne à tous ces auteurs venus d’ailleurs pour passer leurs vacances à Yaoundé dans un salon doré rempli de livres inusités ?
Depuis 2010 aussi, lui-même n’a plus eu le temps de publier de vrais livres, encourager aussi ceux qui tentent de le faire demeure un combat très dur. Entre temps, pas de librairies disponibles, pas de bibliothèques publiques ni privées de qualité, les bibliothèques universitaires souffrent de désuétude et de parésie, les livres scolaires sont politisés, les évènements littéraires sont de moins en moins existants, la lecture a presque disparu des habitudes…or fleurissent entre temps les musiques de « Sodome et Gomorrhe », les bars, les boites, et autres lieux de dépenses parfois sponsorisés par le ministère au prétexte de la culture.
Hubert Mono Djana, Fame Ndongo, Sengat Kuo, Gervais Mendozé, Sindjoun Pokam : Les penseurs du néant !
Jai été coincé à ce niveau. Perdu entre le trop plein d’intellectuels qui n’ont pas pu mettre leur savoir au service de la société et de son développement. C’est triste de voir le nombre de ces grands savants, qui ont délibérément choisi de ne pas produire la pensée, ni servir la science qui a fait d’eux qu’ils étaient. Sauf que la politique et le créateur n’avaient pas dit leur dernier mot dans leurs vies. Soit ils n’ont plus publié de livres, soit ils publiaient des livres de louanges à Biya, ou encore ils ne produisaient plus que la pensée doctrinaire pour légitimer leur créateur. Ou encore juste critiquer pour critiquer. De toute façon, jusqu’ici, leur savoir n’a servi à rien.
(C) Félix Mbetbo, Lelabodefelix.com