En visite de travail en France dans le cadre de la rentrée politique du PCRN, Cabral Libii a échangé avec ses militants et sympathisants le 27 septembre. Il a été invité à s’exprimer sur la manifestation organisée sur l’étendue du territoire le 22 septembre 2020 par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun.
Dans une publication sur Facebook, le journaliste Abdelaziz Moundé Njimbam répond à l’honorable Cabral Libii au sujet de sa position sur les marches lancées par le MRC le 22 septembre dernier.
Ci-dessous, l’intégralité de la tribune.
CHER CABRAL LIBII,
MANIFESTER EST UN DROIT, UN MODE LEGITIME ET PUISSANT D’ACTION POLITIQUE ET CITOYENNE AU MEME TITRE QUE L’ELECTION…
J’ai lu et écouté comme quelques Camerounais ton analyse, tes vues et positions, pendant ton séjour parisien, au sujet des manifestations pacifiques du 22 septembre dernier. C’est cela le suc et la saveur d’une vie d’aspirants démocrates : élargir sa focale ; écouter les sons discordants, ceux du tam-tam officiel de Charles Ndongo, de la » créature » Fame Ndongo, de créés dans l’opposition et de tous ceux qui ont une parole libre ; comme on dit à Soa, tendre l’oreille à la fois à celui » qu’on ya mo et celui qu’on ne ya pas mo « .
Alors, concernant les objectifs de la marche, pendant ton séjour en France, je te suggère une rencontre avec divers groupes citoyens et politiques et des personnalités aux profils bien précis :
– Les Gilets jaunes, en s’appuyant sur la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, celle de 1948 et tout le corpus des droits de l’Homme, partageront avec toi les images de leurs appels incessants à la démission d’Emmanuel Macron, sur les ronds-points, dans la rue et battant le pavé. Sans que cela n’ait jamais fait l’objet de la moindre poursuite judiciaire. Aucun Gilet jaune n’est en prison pour avoir dit explicitement : MACRON DEGAGE ! Et pour cause ? C’est le droit de dire oui ou non ; je ne veux pas ou plus de mon maire, du député, du sénateur et du président. Tout simplement !
Un peu ce que l’on veut dans notre pays : ouvrir la fenêtre de son duplex de nouveau riche à Bastos ou au Golf, et voir dans la rue, un mardi ceux qui disent Oui, Paul Biya encore 100 ans, ces compatriotes – reflexe du parti-Etat, d’habitude encadrés par la police et appuyés par les autorités administratives et le lendemain, ceux, Bamiléké, Bassa ou Ba quelque chose – au pays d’Um Nyobé où en 2020, on en est à imaginer un » fédéralisme communautaire » – , bref Camerounais simplement, qui disent : Non, Paul Biya doit partir. Sans casse, les mains nues ; l’arbre de la paix parfois à la main. Sans avoir besoin de savoir l’humeur du jour de Mbarga Nguele ou de Galax Etoga. Sans peur d’Abraham, du sans-payé, des cellules infectes du GMI, des moisissures du cachot du SED ou de remplir des prisons parmi les surpeuplées au monde. Sans crainte d’être en résidence surveillée de fait, par des policiers et gendarmes, dont le travail payerait plus à encadrer la saisie des biens immobiliers de tous ces riches spontanés au Gouvernement et dans notre pays.
Ils parleront aussi d’un des acquis de ce mouvement, l’organisation à travers la France entière d’une période de débats citoyens où Macron et son Gouvernement ont tombé la veste pour parler, échanger, aller à la castagne avec leurs compatriotes. Autrement dit, l’élection n’est pas le seul moyen d’action politique, d’activisme et d’engagement citoyen. Il s’en est développé une large palette dont usent d’ailleurs tes collègues parlementaires de France, qui n’hésitent pas à descendre dans la rue, tels ceux de divers groupes qui ont participé à nos marches contre le F.cfa et les travers de la Françafrique à Paris. Qui n’hésitent pas, dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques et du contrôle de l’action du Gouvernement à pétitionner, mener des enquêtes et produire des rapports au cordeau, auditionner au long cours, formuler des tribunes de presse collectives, etc.
– La Fondation Jean Jaurès, du nom d’un des chantres de la gauche française, figure du courage en politique, te fournira une abondante documentation sur la question de la participation politique, de la crise de la représentation, alimentée par la corruption des clercs, des élites et les collusions entre opposants et pouvoir. En clair, cette défiance à l’égard de l’élection de populations désabusées par des hommes politiques qui veulent changer leur vie et non celle des Français…
– A Sciences Po Paris, au Centre d’Etudes sur la Vie Politique Française, ils discuteront avec toi de la liberté, dans un contexte et un système de vote non obligatoire qu’à chacun des citoyens de marcher et manifester à sa guise, de voter nul ou blanc, de s’abstenir, avec d’ailleurs une évolution, la reconnaissance du vote blanc, traduction de cette défiance à l’égard du système, dont on pourrait mettre en regard la situation de notre pays. Au CERI, également, vous pourriez parler des apories et dérives de l’Etat importé, non pensé et conçu par les Africains, des Badie et Bayart, avec en toile de fond, les ravages de ce tribalisme en politique, dont parlait Um Nyobé en 1952, cause d’urgence de l’ensemble de notre classe politique.
Tout aussi aborderiez-vous la question de l’impossibilité, avec un système comme Elecam, de faire pièce à l’un des plus vieux régimes et systèmes politiques d’Afrique. Je souligne : impossibilité ! Car, il n’existe, à une très rare exception, pas d’exemple connu de président, aussi ancien que Paul Biya, qui ait été battu aux élections. Bouteflika, El Bechir, Ben Ali ayant très souvent été réélus avec 80 % de participation et 80 % de suffrages…
A cela, vous ajouteriez le fait que l’une des possibilités offertes dans un tel système à ceux qui tiennent lieu d’opposants, est d’une part de se positionner en parti de propositions, donc d’accompagnement du système, d’autre part, de faire de belles carrières de députés ou d’élus comme Mayi Matip ou Antoine Logmo, ralliés de l’Upc, et de finir, dans quelques années, super ministre à la Kodock ou Dakolé de Franck Emmanuel Biya. Hélas, un scénario qui n’est, en l’état actuel des mentalités, pas une fiction.
Sinon, ce sera toujours, un hourra pour la contrée ou les partisans – nos fans des réseaux sociaux – qui diront le fameux : c’est déjà quelque chose ; une autre victoire…Oui, il faut le dire : la fameuse question de la mutualisation est une question fumeuse. Il n’y aura pas en l’état actuel des choses, des manœuvres du pouvoir et d’ancrage du tribalisme politique, hélas, de caucus, de regroupement de l’opposition. A moins d’une divine surprise. Et les gens sincères et lucides le savent…
Autrement, l’avantage du 22 septembre, dont j’ai salué l’esprit citoyen, étant preux défenseur du droit de manifester pacifiquement, de marcher, de multiplier les formes de participation politique, est d’inscrire la question des Droits politiques et civiques, des conditions de possibilité de l’alternative et de l’alternance, dans une démocrature, au centre du débat. Et comme un réactif de laboratoire, de révéler encore plus le long théâtre d’ombres depuis 1945 de notre vie politique. Où l’on a plus de proposants, qui veulent voir grandir leurs enfants, éviter les cachots de Mantoum, du Sed et de Kondengui, que d’opposants, des vrais, dont le destin, tragique ( prison, séquestration, assassinats, etc ) a fini par faire de Um, Moumié et Ouandié des maquisards et Mbida, Ahidjo et Biya, des hommes qui ont réussi…
Citoyennement !
- A. Mounde Njimbam
Citoyen Africain-Camerounais
Journaliste/Consultant-chercheur en géopolitique, relations internationales et histoire globale. Spécialiste des politiques et du droit de l’espace.