Arrêté en janvier 2018 alors qu’il se trouvait au Nigeria, Julius Sisiku Ayuk Tabe, 54 ans a été ramené manu militari à Yaoundé. Il a été reconnu coupable de « sécession » et de « terrorisme » puis condamné à la prison à vie en août 2019.
Approché par nos confrères de Jeune Afrique, le président de la République virtuelle d’Ambazonie incarcéré à la prison principale de Kondengui, a souhaité par écrit, parler du grand dialogue national et de ses relations avec les membres du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC)
Lebledparle.com vous invite à lire l’intégralité de cette interview de Jeune Afrique avec Ayuk Tabe.
Le président Biya a-t-il fait un geste dans la bonne direction en libérant plusieurs dizaines d’opposants ?
Nous sommes très heureux qu’ils aient été libérés. L’emprisonnement d’opposants et la suppression de l’expression politique sont incompatibles avec la démocratie et l’État de droit. Nous espérons qu’ils se battront pour faire de la République du Cameroun une société plus juste et plus humaine.
Est-il exact que des négociations sont en cours en vue de votre libération ?
Nous n’avons pas été informés de pareille démarche.
Vous avez été arrêté au Nigeria, en janvier 2018, dans des circonstances qui demeurent très mystérieuses…
Nous n’avons pas été arrêtés, mais enlevés, en violation de nos droits de réfugiés et de demandeurs d’asile. Le 5 janvier, nous étions dans les jardins de l’hôtel Nera, à Abuja, lorsqu’un commando est arrivé. Nous avons été détenus dans les locaux de la Défense Intelligence Agency pendant vingt jours, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre nous, sans la possibilité de voir nos familles ni même un avocat. Puis, le 25 janvier, nous avons été emmenés à Yaoundé, menottés et les yeux bandés, à bord d’un avion-cargo militaire, et détenu au secret pendant près de neuf mois. Avant d’être poursuivis pour activités liées au terrorisme, sécession et révolution, entre autres.
Pourquoi rejeter le dialogue voulu par Paul Biya alors qu’il visait à créer les conditions du retour à la paix ?
Ce dialogue n’a réuni que des membres du RDPC [au pouvoir] et quelques autres Camerounais. Pour nous, il est un non-événement. Le conflit qui nous oppose à la République du Cameroun est d’ordre international et ne peut être résolu par un dialogue national. La libération de 333 de nos compatriotes n’a rien d’exceptionnel, puisque rien ne justifiait leur incarcération. Plus de 3 000 personnes sont encore détenues. Les libérer, dire ce que sont devenus ceux qui ont disparu, c’est le moins que Paul Biya puisse faire !
Et ce statut spécial pour les régions anglophones, n’est-ce pas une avancée ?
Le président Biya n’a pas le pouvoir de décider de l’avenir de « l’Ambazonie ». La République du Cameroun et le Southern Cameroons sont deux anciens territoires sous tutelle et sous administration onusienne. L’un ne peut prétendre accorder à l’autre un statut spécial, pas plus que l’indépendance.
Le fait que des représentants de l’Ambazonie ont pris part au dialogue ne constitue-t-il pas un désaveu ?
Que cela soit bien clair : aucun Ambazonien ni aucun représentant de l’Ambazonie n’y ont assisté. Ce prétendu dialogue n’a été qu’un grand entretien de Paul Biya avec lui-même.
Lors de la proclamation de « l’indépendance » de l’Ambazonie, en octobre 2017, beaucoup ont cru à une farce. Que leur répondez-vous ?
Quiconque estime aujourd’hui encore que l’Ambazonie est une chimère vit dans un autre monde. Les résolutions 1514 et 1608 de l’ONU, l’histoire et le droit international fondent notre détermination à lutter contre l’annexion de notre patrie. Certains nous qualifient de terroristes, d’autres de sécessionnistes. Pour d’autres encore, nous ne sommes que des rats et des chiens. Qu’importe, nos combattants, les Amba Boys, sont nos héros.
Les Ambazoniens bénéficient-ils d’appuis extérieurs comme, en leur temps, les sécessionnistes du Biafra au Nigeria ?
Non. Nous sommes maîtres de notre révolution et de notre destin.
Compte tenu des violences, des morts et de l’état dans lequel se trouvent les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ne vous dites-vous pas que vous n’auriez pas dû aller si loin ?
Nous ne faisons que nous réapproprier notre indépendance. Je vous renvoie à la résolution 1608 des Nations unies qui nous l’a accordée. Ce sont les militaires camerounais qui se rendent coupables d’actes de barbarie en Ambazonie. Environ 20 000 personnes ont été tuées [selon International
Crisis Group, en juin, 1850 personnes avaient été tuées depuis le début du conflit], plusieurs dizaines de villages incendiés, plus de 120 000 personnes cherchent refuge au Nigeria et ailleurs… Paul Biya et son armée auront un jour à répondre de leurs crimes.
Les combattants ambazoniens ont, eux aussi, commis des exactions…
Nous ne les exonérons pas, mais nous savons aussi que les milices gouvernementales commettent des atrocités et tentent de nous les attribuer. Seule une mission d’enquête indépendante peut établir les faits et, jusqu’à présent, Yaoundé a opposé une fin de non-recevoir à toutes les demandes des organisations humanitaires.
Êtes-vous prêts à négocier pour mettre fin à la guerre ?
Nous n’y avons jamais été opposés. Mais ces négociations doivent être conduites par une structure indépendante, impartiale et crédible, se dérouler en territoire neutre et s’attaquer aux causes profondes du conflit. Il faudrait qu’un mécanisme garantisse la mise en œuvre des résultats. L’ONU a la possibilité et le devoir de mettre fin à ce conflit. Nous regrettons d’ailleurs que, lors de sa récente visite au Cameroun, son secrétaire général, Antonio Guterres, n’ait pas jugé utile de se rendre en Ambazonie.
Le plus simple n’est-il pas un débat inclusif sur la forme de l’État et sur la Constitution ?
Encore une fois, les résolutions de l’ONU, qui ont accordé son indépendance au Southern Cameroons, n’ayant à aucun moment supprimé ses frontières internationales, les modifications de la Constitution de la République du Cameroun ne nous concernent pas.
Et si aucune négociation ne s’ouvrait ?
Que peut-il arriver de pire que ce qui se passe actuellement en Ambazonie ? Notre credo est simple : l’indépendance totale ou la résistance à jamais.
Des personnalités anglophones respectées, telles que le cardinal Christian Tumi, militent pourtant pour l’unicité du Cameroun…
Partout sur le continent, des responsables religieux ont défendu le changement. L’évêque sud-africain Desmond Tutu en est un exemple vivant. Le cardinal Tumi est libre de ses opinions. À lui de voir s’il veut inscrire son nom dans l’Histoire.
À sa sortie de prison, Albert Dzongang, un conseiller de Maurice Kamto, a évoqué une certaine convergence de vues entre le MRC et vous. Y en a-t-il une ?
Albert Dzongang a été l’une des victimes du gouvernement camerounais. Comme nous, il a été enfermé à la prison de Kondengui. Nous avons interagi en tant que codétenus, mais nous ne partageons aucune fraternité politique, car nous ne nous mêlons pas de la politique camerounaise.