« Présidents » en salle d’attente (3/4). Il a proclamé sa victoire à la présidentielle d’octobre 2018, mais les portes du palais d’Etoudi lui sont restées fermées. Face à un Paul Biya invisible, l’opposant et « président élu » Maurice Kamto veut occuper le terrain médiatique et, surtout, ne pas se laisser oublier.
Le rendez-vous est donné à 8 heures tapantes, dans la fraîcheur matinale du Nord-Est américain. Ce dimanche 9 février, dans plusieurs villes des alentours de Washington, des centaines de Camerounais de la diaspora se retrouvent pour converger vers la capitale fédérale. Direction l’aéroport Dulles, où Maurice Kamto doit atterrir dans la matinée en provenance du Canada voisin.
L’opposant poursuit sa tournée américaine, entamée quelques jours plus tôt. À 10 heures, il est accueilli par une foule de partisans à sa descente d’avion. Il doit prendre la parole une heure plus tard, à l’auditorium High Point, devant ses supporteurs. Un « giga-meeting », annonce sa communication.
Les drapeaux camerounais sont de sortie, sous les regards étonnés des autres passagers se pressant dans le hall d’arrivée. Beaucoup ignorent sans doute que le Cameroun a aujourd’hui deux présidents : l’un qui est au pouvoir, Paul Biya, et l’autre qui se dit élu mais ne gouverne pas, Maurice Kamto.
Ce dernier, après avoir profité d’un bref bain de foule abondamment relayé sur les réseaux sociaux, s’engouffre dans un pick-up noir, direction l’auditorium. Le juriste aux fines lunettes y est très attendu, dans une salle bondée et bruyante venue assister à la grand-messe de ce dimanche midi.
« Mes chers compatriotes »
Avant son discours, les hymnes sont joués. L’américain et le camerounais. Des militaires en uniforme présentent les deux drapeaux à la foule. « Show » à l’américaine, protocole présidentiel… Maurice Kamto est tout sourire, en terrain conquis. Cet homme discret le sait : il doit se montrer sans cesse, occuper l’espace médiatique, profiter du goût des Camerounais pour les réseaux sociaux.
Depuis octobre 2018, il a fait le pari d’une résistance, combat dans lequel l’oubli est son principal ennemi. Alors l’opposant parle, encore et encore. Il multiplie les discours, à Toronto, Washington, Paris, ou encore Douala, le 26 février, où il a été accueilli par des milliers de partisans.
Un mois plus tard, le 27 mars, c’est par une vidéo qu’il s’adresse cette fois à la nation au sujet de l’épidémie de coronavirus. Le drapeau camerounais derrière lui, Maurice Kamto, « président élu », se confie à ses « chers compatriotes », comme il l’avait fait le 31 décembre 2019 ou à l’occasion de la fête de la Jeunesse, le 10 février.
« Il y a une volonté de s’adresser régulièrement aux Camerounais, d’autant plus que Paul Biya ne le fait pas », explique un membre de son équipe de communication. Le chef de l’État ne s’est en effet pas encore exprimé depuis le début de l’épidémie de Covid-19 au Cameroun, ce que Maurice Kamto n’a pas manqué de relever et de marteler. Pour soutenir le système de santé, il a lancé sa propre opération de levée de fonds, « Survie Cameroun », laquelle a aussitôt été interdite par les autorités.
Qu’importe. « Sur le plan de la communication, sa stratégie est assez simple : profiter de l’absence de Biya et prendre sa place dans les esprits », analyse un politologue camerounais. « Aucune armée ne peut gagner une guerre avec les seules effigies d’un commandant en chef que la troupe ne voit ni n’entend », a récemment lancé Maurice Kamto.
Avant chacune de ses prises de parole, le professeur de 66 ans réunit ses équipes autour du porte-parole du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC, son parti), Sosthène Médard Lipot, de son communicant personnel Olivier Bibou Nissack, ou de Mathieu Youbi pour les réseaux sociaux.
Parmi les éléments de langage, le titre donné à Paul Biya : « président de fait », « celui qui assure à l’heure actuelle les fonctions de président ». « L’idée est de s’adresser indirectement à Paul Biya et de mettre en avant son silence, poursuit notre source au MRC. On sait que le débat ne passe pas par l’Assemblée, d’autant que le MRC a boycotté les législatives. Il faut occuper le terrain médiatique et dicter le tempo. »
Adepte des « task forces »
Plusieurs lieutenants sont à l’œuvre, prêtant main forte à Maurice Kamto. Alain Fogue, trésorier du parti, les conseillers Christian Penda Ekoka et Albert Dzongang (depuis Douala) ou encore Tiriane Noah, deuxième vice-présidente (le premier, Mamadou Mota, étant toujours incarcéré à la prison de Yaoundé), interviennent dans les principaux médias.
Objectif : forcer les caciques du pouvoir à répondre et engager un bras-de-fer avec Paul Atanga Nji, le ministre de l’Administration territoriale, Grégoire Owona, le ministre du Travail, ou encore leur homologue de l’Enseignement supérieur, Jacques Fame Ndongo, idéologue du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir).
Directeur de cabinet officieux, le professeur en relations internationales Alain Fogue s’entretient quotidiennement avec Maurice Kamto, tout comme Christian Penda Ekoka (président du mouvement Agir et ex-conseiller de Paul Biya) et le chef traditionnel Paul Marie Biloa Effa.
Au-delà de ce triumvirat qui discute de la stratégie, Tiriane Noah gère le quotidien du parti, aux côtés de Pascal Zamboué. Ancien cadre du MRC chargé de l’implantation dans les régions, ce dernier est le patron du protocole du « président élu », dont il élabore le calendrier depuis le siège du quartier Odza.
Kamto y dispose d’un bureau, où il se rend au minimum trois fois par semaine. Il passe le reste du temps dans sa résidence privée, à Santa Barbara, d’où il peut apercevoir la colline d’Etoudi et d’où il poursuit ses activités d’avocat – inscrit au barreau de Paris, il défend les intérêts de la Guinée équatoriale face à la France devant la Cour internationale de justice.
En dehors de ses très proches conseillers, le patron du MRC garde sa stratégie secrète. « Il travaille avec des petites cellules de militants, qu’il active en fonction de ses plans. Chacun ne connaît que la partie qui le concerne. Cela évite que des informations essentielles reviennent trop vite aux oreilles de nos adversaires », explique un de ses communicants.
Une vingtaine de personnes travaillent alternativement à ses côtés, dont une dizaine pour la seule communication. Plusieurs « task forces » sont en outre déployées à l’étranger, dont les plus importantes à Paris et au Canada, d’où le parti élabore les actions en Europe et en Amérique du Nord. En outre, Kamto est en permanence entouré d’un minimum de quatre gardes du corps placés sous les ordres d’un chef de la sécurité formé aux Pays-Bas.
Une diplomatie à Paris, à Bruxelles…
« Tout ce qu’ils savent faire, c’est lancer des polémiques, s’agace un cadre du RDPC, mais les Camerounais savent bien qui agit et qui ne fait que survivre dans les médias et sur les réseaux sociaux étrangers ». Depuis la présidentielle d’octobre 2018 et tout au long de l’année 2019, le gouvernement a en effet mis en avant à plusieurs reprises un lien présumé entre le MRC et les brigades anti-sardinards (BAS), collectifs d’activistes de la diaspora soupçonnés, notamment, d’avoir saccagé l’ambassade du Cameroun à Paris en janvier 2019.
Si de nombreux membres des BAS en Europe ou en Amérique du Nord se voient comme des alliés de circonstance du président du MRC, le parti s’est en revanche toujours défendu d’une proximité trop marquée entre les deux organisations, conscient du piège tendu par Yaoundé. Il reste tout aussi soucieux de ne pas se voir cataloguer comme un parti « de l’étranger ». « Quand des milliers de Camerounais descendent dans la rue à Douala pour écouter le président Kamto, comment peut-on dire que le MRC est un parti d’étrangers ? » insiste un cadre.
« Bien sûr, il y a aussi une stratégie diplomatique, en plus de celle qui consiste à être omniprésent au Cameroun », ajoute cette dernière source. Lors de son dernier passage à Paris, l’opposant a ainsi rencontré, le 24 février, la présidente centriste de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Marielle de Sarnez.
Au mois de janvier, lors d’un précédent passage en France, il avait dialogué avec le député du Modem Bruno Fuchs, puis il avait eu un entretien début février à Bruxelles, au siège d’une Union européenne souvent proche des oppositions d’Afrique centrale, avec la députée socialiste belge Maria Arena.
… et à Washington
Appuyé par l’ONG Vanguard Africa et son fondateur, Jeffrey Smith, Maurice Kamto espère profiter d’une diplomatie américaine critique envers Paul Biya. Il s’est entretenu à plusieurs reprises avec Tibor Nagy, sous-secrétaire d’État aux Affaires africaines (la dernière fois, c’était en février), mais aussi avec son prédécesseur Herman Cohen (entre 1989 et 1993) ou encore avec les parlementaires démocrates Jamie Raskin (Maryland) et Karen Bass (Californie, membre du sous-comité sur l’Afrique de la Chambre des représentants).
« Paul Biya n’étant pas le chef d’État le plus actif sur le plan diplomatique, il y a une place à prendre auprès de certains réseaux, explique un diplomate à Yaoundé. Kamto en profite. Sa stratégie, c’est l’opposition de style. »
Une stratégie onéreuse (billets d’avion, hôtels, équipes de communication…) s’il en est, à tel point que Yaoundé s’interroge sur les soutiens financiers permettant à Kamto de tenir son agenda. Fonds américains ? Dons de la diaspora ? Contributions d’hommes d’affaires, en particulier de l’ouest du Cameroun ? L’envergure financière, réelle ou supposée, du patron du MRC agace jusque dans les hautes sphères.
Face à un chef d’État qui a érigé l’invisibilité en mode de gouvernance, Maurice Kamto a fait le pari (risqué) de l’omniprésence, quitte à forcer une nature plutôt réservée. Il lui faudra tenir sans dépasser la ligne rouge, fixée par un gouvernement qui n’a pas hésité à le placer en détention pendant neuf mois avant que les poursuites soient abandonnées, en octobre dernier.
Il affirmait dans nos colonnes en décembre 2019 que la prison ne l’avait pas changé. « Elle a renforcé son statut d’opposant en lui donnant la carrure d’un chef », glisse cependant l’un de ses proches. Si le calendrier suit son cours, sa prochaine bataille présidentielle devrait avoir lieu en 2025. Cinq années donc, sans élus depuis le boycott des municipales et des législatives de février. Une éternité face à un adversaire qui, en quatre décennies au pouvoir, a appris à faire du temps sa meilleure arme.