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Cameroun : Paul Biya, les sept vies du Sphinx (jeune Afrique)

paul biya popolo

Dans un article publié le 13 aout 2019, le magazine Jeune Afrique ouvre une brèche sur la vie de Paul Biya, président de la République du Cameroun. Lebledparle.com vous propose l’intégralité de cet article signé de Mathieu Olivier.  

 

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Paul Biya (c) Droits réservés

Depuis trente-sept ans, Paul Biya exerce le pouvoir sans rien dévoiler de lui-même. Pour le percer à jour, il faut remonter le fil d’une existence marquée par les coups de théâtre.

Dans l’intimité de sa résidence de Mvomeka’a, Paul Biya pense-t-il au destin ? Ce passionné de lettres classiques s’interroge-t-il sur cette « Moïra », pour citer Homère, fatalité aveugle et inexorable ? En écoutant l’un de ses compositeurs favoris, l’allemand Ludwig van Beethoven, ressent-il l’angoisse de laisser l’œuvre de sa vie inachevée ? Peu nombreux sont les intimes du chef de l’état capables de percer les mystères du palais d’Etoudi, guère moins opaques que ceux d’Éleusis, dans la Grèce antique.

Depuis son accession au pouvoir, en 1982, tout a été tenté pour comprendre le président : psychologie, mysticisme, voire astrologie. Mais Paul Biya a su avancer masquer, s’efforçant, comme le confie un proche, « d’observer sans être observé ». Dans le brouillard qu’il se plaît à entretenir, il a entamé, en octobre 2018, son septième mandat. Après une élection contestée et en pleine crise anglophone qui ébranle son pays comme rarement il l’a été dans son histoire.

Dans comme il vous plaira, William Shakespeare décrivait le monde comme « un théâtre » dans lequel chacun jouait un rôle en « sept âges ». Amateur de littérature, Paul Biya, le sphinx aux sept mandats, a-t-il lu le dramaturge anglais ? Jeune Afrique frappe les trois coups de son épopée.

Les jeunes années un discret séminariste

Certains l’ont appelé « la terreur de Nden ». Le père Antoine Wollenschneider imaginait-il, dans son école catholique de ce village de la région du Centre, qu’il allait contribuer à forger l’identité du futur président du Cameroun ? En ce milieu des années 1940, Paul Biya n’est encore qu’un garçonnet studieux, plutôt frêle. Souvent, ce sont son frère aîné, Benoît Mvondo Assam, ou ses cousins, Benoît Assam Ebolo et Hyacinthe Eyinga Miame, qui se chargent de le protéger. On veut faire de lui un prêtre. Direction le séminaire Saint Joseph d’Akono.

« Ceux qui n’aboutissaient pas à la prêtrise repartaient tout de même avec une renaissance psychologique qui en faisait des hommes intègres et silencieux », assure un camarade du président, cité dans la biographie écrite par Michel Roger Emvana1. « Certains croient qu’il est froid. C’est faux. […] Il peut devenir chaleureux et extraverti […]. Mais il sait aussi être discret et taciturne », confiait quant à elle sa sœur à Jacques Fame Ndongo, compagnon de route devenu ministre de l’Enseignement supérieur, selon le même ouvrage.

En 1952, Biya rejoint la France, où il rencontre sa première épouse Jeanne -Irène. À l’institut des hautes études d’outre-mer, le Camerounais se distingue auprès de Louis-Paul Aujoulat. L’ancien secrétaire d’État à la France d’outre-mer voit en lui un jeune homme désintéressé, peu passionné par les joutes politiques qui se trament autour d’Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun indépendant. Pour Aujoulat, Biya est sans ambition et représente le parfait second pour le chef de l’état. Seule la première dame se méfie. Germaine Ahidjo n’éprouve aucune confiance envers celui dont le silence, pense-t-elle, doit cacher quelque chose.

1962-1982 La conquête du pouvoir

Biya a toujours su choisir ses protecteurs. En 1962, son ascension commence : il entre comme chargé de mission à la présidence. « Assidu », « réservé », « dévoué », un ancien collègue ne tarit pas d’éloges. En 1967, il est nommé directeur du cabinet civil du président, qui n’hésite plus à lui confier les dossiers délicats. Certains se gaussent du « valet », de la « marionnette » Biya. Mais le jeune homme de 34 ans va les surprendre. « Il était sportif, avait une bonne hygiène de vie, pratiquait le footing au mont Fébé », se souvient un Français logeant à l’époque à Yaoundé. Biya s’entraîne aussi au tennis avec Zacharie Noah, le père de Yannick. « C’était un très bon administrateur, et Ahidjo s’est reposé sur lui, se souvient un ancien coopérant au Cameroun. Ahidjo avait de l’admiration pour lui, et Biya était fasciné par le charisme du président. »

En 1975, Ahidjo le nomme Premier ministre. À son épouse, il explique avoir choisi « le plus posé ». Le 29 juin 1979, il fait même du Premier ministre son successeur constitutionnel. L’ancien séminariste, qui n’a encore jamais été élu, se forge une image dans l’opinion. « On a longtemps cru qu’il ne faisait pas de politique, mais c’était justement sa stratégie », confie une de ses connaissances. Le 4 novembre 1982, Ahidjo annonce sa démission au profit de Biya. À la résidence du Lac, demeure du Premier ministre qu’il s’apprête à quitter, Jeanne -Irène filtre les entrées. Le nouveau président accepte les félicitations. Whisky et champagne sont servis. Mais la fête n’a rien de fastueux. « Il s’est aussitôt mis à gouverner avec un masque », se souvient un ancien camarade.

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En 1982 et 1983, Biya compose ses gouvernements en consultant Ahmadou Ahidjo, mais place peu à peu ses pions, notamment Joseph Zambo et Jean Nkuété, pour contrer les fidèles de l’ex-président. À la surprise d’Ahidjo, le « valet » s’affirme.

1983-1984 L’impitoyable riposte

L’affrontement est inéluctable, et le 18 juin 1983 marque un tournant. Biya vient de remanier son gouvernement, sans prévenir Ahidjo. Ce dernier ne décolère pas : il convoque tous les ministres du Nord à la résidence du Lac, où l’ex-président a élu domicile. Il veut les pousser à démissionner. Dans la nuit, Maïkano Abdoulaye, ministre chargé des Forces armées et fidèle d’Ahidjo, réunit à son tour des officiers du Nord. Mais Biya apprend la manœuvre.

Le 22 août, il annonce que des individus, liés à Ahmadou ahidjo, ont été arrêtés pour avoir voulu « porter atteinte à la sécurité de la République ». Le Premier ministre Bello

Bouba Maïgari est limogé, comme maïkano Abdoulaye. Ahidjo est condamné à mort par contumace le 28 février 1984. Depuis la France, il fustige « la phobie du coup d’État [qui] s’est emparée de Paul Biya ». « Biya a appris à gouverner auprès d’ahidjo, qui savait se montrer retors et impitoyable », confie notre ancien coopérant français.

À peine un mois plus tard, le 6 avril, une tentative de putsch affole Yaoundé. Le palais présidentiel, où Biya s’est réfugié, est attaqué. Dans la nuit du 6 au 7, les loyalistes contre-attaquent. Le soir du 7, Biya annonce que le calme est revenu. « La victoire est acquise », ajoute-t-il. Parle-t-il de la bataille qui l’oppose à Ahidjo ? On le dit désormais méfiant, voire paranoïaque. « Àpartir de ce moment, Biya s’est assuré de contrôler le Nord et de ne plus lâcher la bride à l’appareil sécuritaire », confie un proche de la présidence.

1987-1988 Le premier échec

Certains la vivent encore comme une trahison. Pourtant, quand Paul Biya prononce devant les députés, le 20 juin 1987, la phrase « Nous n’irons pas au FMI », il est applaudi. Depuis l’indépendance, le Cameroun d’Ahidjo a appliqué un libéralisme dit « planifié », dans lequel l’état conserve une forte emprise sur une économie menée à coups de plans quinquennaux. Celle-ci a permis au Cameroun de mieux passer la crise pétrolière de 1973 que ses voisins. Mais les temps difficiles commencent au milieu des années 1980. Cacao, café et coton ont subi une baisse de près de 65 % de leur valeur, et le pétrole voit ses cours chuter.

Paul Biya a soif de rupture. Il publie en 1987 pour le libéralisme communautaire, livre dans lequel il expose ses ambitions. « L’idée était de promouvoir davantage de justice sociale et de mettre de l’ordre dans la gestion des affaires publiques », se souvient un économiste camerounais. En d’autres termes, explique un ancien de la présidence : « Il voulait faire passer l’idée que l’état n’était plus une vache à lait. » « Mais le président ne souhaitait pas que les mesures d’austérité paraissent imposées par l’étranger », ajoute-t-il.

« Il fallait conserver cette fierté qu’avaient les Camerounais d’avoir mieux traversé la crise que leurs voisins », explique un économiste. « Paul Biya voyait d’un mauvais œil une soumission au FMI », confie un proche du palais d’Etoudi. Mais, malgré le lancement d’un programme d’assainissement, les résultats ne suivent pas, et la promesse du président vole en éclats. En septembre 1988, le Cameroun entre dans un programme d’ajustement structurel du FMI. « C’est peut-être le premier échec de Biya », constate un opposant. « On a vu la fin du modèle camerounais, et le réveil a été douloureux. »

1991-1992 Le temps des stratèges

Nous sommes le 27 juin 1991. Devant l’Assemblée nationale, Paul Biya prend position : « Je l’ai dit et je le maintiens : la conférence nationale est sans objet au Cameroun. […] Nous nous soumettrons au verdict des urnes. » Le pays est pourtant en fâcheuse posture. En mai, l’opposition, menéepar John Fru Ndi, a le vent en poupe. Elle lance une campagne de désobéissance civile pour paralyser l’activité dans les grandes villes. Beaucoup appellent à un dialogue national et à un départ de Biya. Mais l’intéressé a une stratégie : les urnes. « C’est une de ses caractéristiques : il ne cède pas à la pression », confie un habitué de la présidence. Conseillé par son secrétaire général, le nordiste Sadou Hayatou, et par son directeur du cabinet civil, le discret Laurent Esso, il propose des législatives anticipées au début de 1992. Le parti au pouvoir n’obtient qu’une majorité relative, mais Biya a réussi à diviser l’opposition entre Bello Bouba Maïgari, qui intègre l’assemblée, et les plus radicaux.

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« Il a repris la main, en poussant le Social Democratic Front à boycotter et à délaisser le terrain pour un temps », se souvient un observateur. « Il ne voulait pas de la conférence et redoutait de perdre le pouvoir, comme Kérékou au Bénin ou Sassou Nguesso à Brazzaville », ajoute un proche de la présidence. « Sa force a été de jouer les élections contre la conférence, qu’il savait difficile à maîtriser. C’est une forme de révolution conservatrice, qui ne dérogeait pas à la doctrine de La Baule. »

2007-2011 L’éternel candidat

« 2008 est la confirmation de l’état stationnaire du patient camerounais », glisse un opposant de l’époque. Depuis l’année précédente, le pays est à bout de souffle. Dans les provinces de l’ouest du Cameroun, en particulier dans le Littoral, on lance des appels à la désobéissance civile. Dans son camp, Paul Biya fait face à des dissensions, d’autant qu’il doit, constitutionnellement, quitter le pouvoir en 2011. « Biya a vu les potentiels dauphins, comme René Emmanuel Sadi ou Marafa Hamidou Yaya, s’agiter et a considéré que le pays n’était pas prêt », se souvient un ancien de la présidence.

À l’initiative de la communicante française Patricia Balme, il évoque à la fin de 2007 dans les médias l’idée d’une révision de la Constitution supprimant la limite des mandats. Le 31 décembre, il confirme : cette limitation « s’accorde mal avec l’idée même de choix démocratique ». Conseillé par Laurent Esso, devenu secrétaire général de la présidence, ou Martin Belinga Eboutou, son nouveau directeur du cabinet civil, il s’appuie sur les pétitions que Grégoire Owona – secrétaire général adjoint du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) – ne manque pas de faire circuler. La réforme de la Constitution est adoptée, le 10 avril 2008, par l’assemblée, tandis que les émeutes secouent le pays.

« Biya a réussi à s’imposer comme un candidat perpétuel pour mettre un terme à la course à la succession », conclut notre ancien du palais d’Etoudi. René Emmanuel Sadi affiche rapidement son soutien, dans « l’intérêt du Cameroun ». La boîte de Pandore restera close lors de la présidentielle de 2011.

« Biya a forcé les ambitieux à choisir entre la prison et la patience. [L’ex-secrétaire général de la présidence] Titus Edzoa et Marafa Hamidou Yaya sont tombés, mais Sadi est resté fidèle » décrypte un ex-ministre. Edzoa confiera : « Biya, c’est le machiavélisme […], il fait en sorte que les uns et les autres se rentrent dedans. »

2019 L’homme traqué

Le 26 juin 2019, à l’hôtel Intercontinental de Genève, Paul Biya tente de s’imprégner de la sérénité suisse, aux côtés de sa seconde épouse, Chantal – devenue peu à peu une des grandes ordonnatrices du palais présidentiel. Mais 2019 n’est pas une année de la quiétude pour le couple. Après la crise anglophone et la présidentielle contestée de 2018, la tension n’a cessé de monter. Des activistes de la diaspora sont parvenus à se faufiler dans le palace. Parmi eux, une femme a dissimulé des menottes et attend le passage de Biya pour s’enchaîner à lui. Elle réclame, comme les autres manifestants massés à Genève, la démission du président. Le plan « menottes » échoue, mais des troubles éclatent, et la police suisse est obligée d’intervenir. L’incident tourne à la crise diplomatique. Sous pression, Paul Biya et son épouse quittent Genève le 5 juillet à 12h30.

« Je pense que cela l’a beaucoup affecté, d’autant que les pressions diplomatiques se sont aussi intensifiées », confie une source qui connaît le chef de l’état depuis les années 1970. Paul Biya, 86 ans, pense-t-il à son héritage ? « Il ne cède pas à la pression, mais est attentif à son image à l’étranger », ajoute une source à Etoudi. L’un de ses anciens partenaires sportifs conclut : « Il a conservé un fonds religieux et sait qu’il n’est pas éternel. Bien sûr, les derniers événements doivent alimenter sa réflexion. »


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