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Cameroun: que reste-t-il de l’opposition au régime de Paul Biya?

Valentin Siméon Zinga, journaliste et directeur de publication de « Lignes d’horizon » analyse la capacité des forces d’opposition à affronter les sénatoriales prévues en 2023, puis la présidentielle, les législatives et les municipales attendues en 2025, comme l’a noté Lebledparle.com..

Frun Ndi Biya Kamto
De gauche à droite, l'opposant John Fru Ndi, le président camerounais Paul Biya et l'opposant Maurice Kamto. © Seyllou / Ludovic Marin / Stéphane de Sakutin / AFP

Fini le temps des luttes internes à fleurets mouchetés. Considéré, pendant de longues années depuis le retour au multipartisme, comme le principal parti d’opposition, le Social Democratic Front (SDF), dont John Fru Ndi tient les rênes depuis trente-deux ans, est en proie à des convulsions animées par deux camps diamétralement opposés. Début décembre, l’opération de renouvellement des organes de base du parti, en prélude à la tenue d’un congrès, « organe suprême » de cette formation politique, est apparue comme un puissant révélateur d’un profond malaise.

En l’occurrence, la suspension des exécutifs régionaux et leur remplacement provisoire par des « coordinations », chargées de mener à terme un processus censé s’achever au mois d’octobre dernier, ont mis en exergue l’étendue des lignes de clivage qui ont gagné en intensité au fil du temps. « Cette décision du bureau exécutif national du parti a un double objectif : écarter des présidents régionaux, dont la plupart, si ce n’est tous, ne sont pas acquis à Joshua Osih, [le premier vice-président, et candidat malheureux à l’élection présidentielle d’octobre 2018, NDLR] d’une part, et leur substituer des militants qui lui sont redevables, pour ainsi s’assurer de leur soutien au congrès. Plus grave, la direction du parti a nommé dix anglophones pour les dix régions que compte le pays, en ignorant les francophones », condamne Jean Tsomelou, ancien secrétaire général du SDF et membre du « G.27 », un groupe de vingt-sept cadres ayant une longue expérience du parti, et ouvertement opposés à John Fru Ndi.

Deux camps irréconciliables ?

« Le parti, en s’appuyant sur ses textes de base, a voulu résoudre les blocages constatés sur le terrain dans le cadre du renouvellement des organes. Il a donc décidé de désigner des coordinations, confiées à nos vingt élus, qui sont anglophones. La vérité, c’est que nos camarades d’en face, qui ne tiennent plus la base, souhaitent que le congrès se tienne, avant le renouvellement des organes à la base », rétorque Joshua Osih.

Les deux camps sont, par ailleurs, divisés sur le calendrier politique du parti. « Fru Ndi ne convoquera jamais le congrès, qui devrait se tenir autour du 24 février 2023. La raison en est simple : il a perdu la base », tranche Jean Tsomelou. Selon, Joshua Osih, « le congrès va bel et bien se tenir l’année prochaine. Peut-être pas au mois de février, qui pourrait être celui des élections sénatoriales. Il aura bien lieu, et je suis de ceux qui militent pour que symboliquement cette échéance soit programmée autour du 26 mai [date commémorative du lancement des activités du parti en 1990, NDLR] », confirme Joshua Osih.

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Au-delà de ce rendez-vous interne au SDF, les camps sont opposés sur la ligne politique du parti. Le « G.27 », qui se réclame du « SDF originel », se veut formel et pessimiste. « Le SDF est fini. Il ne peut plus remporter un seul siège de conseiller municipal, ni une seule élection. John Fru Ndi n’est plus dans la logique d’avoir des élus. Avec M. Osih, ils utilisent le label du SDF pour des négociations avec le régime en place », affirme l’ancien secrétaire général Jean Tsoumelou.

Balayant d’un revers de la main ces propos partagés par le « G.27 », et soulignant les « progrès enregistrés dans l’amélioration du système électoral camerounais, grâce au dialogue avec les tenants du pouvoir », le premier vice-président du SDF se veut, pour sa part, rassurant. « Notre base électorale dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est, certes, traumatisée par des années de guerre [allusion à la grave crise qui sévit dans la partie anglophone du pays depuis 2016, sur fond de revendication sécessionniste, NDLR]. Mais elle est plus forte que jamais. Les populations y ont compris que les ambazoniens [sécessionnistes, partisans de la création d’une république fantôme de l’Ambazonie, NDLR], ne sont pas la solution, pas plus que le RDPC [Rassemblement démocratique du peuple camerounais, au pouvoir, qui a remporté les élections législatives et municipales de février 2020, dans la zone, NDLR] ».

Retour dans la course de Maurice Kamto et son parti

La crise interne a fini par susciter des questions sur ce qui reste de l’opposition camerounaise, au moment même où Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), officiellement classé deuxième derrière Paul Biya à l’élection présidentielle d’octobre 2018, annonce que son parti « prendra part à tous les scrutins à venir dans notre pays ».

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« Le SDF est miné par des fractures internes de plus en plus importantes. Mais ces fractures ne touchent pas son fief du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où la crise empêche son déploiement. Le MRC, qui envisage d’aller aux élections, après avoir pris part aux législatives et municipales de 2013 alors qu’il était encore un jeune parti, et boycotté celles de 2020, devra faire la preuve de sa compétitivité », analyse le socio-politiste Mathias Eric Owona Nguini, de l’université de Yaoundé-2. Il ajoute : « Sur le plan structurel, l’opposition est trop dispersée, elle n’a pas suffisamment de moyens, et son offre politique est faiblement audible. »

Il n’empêche, la conjoncture socio-économique pourrait constituer un atout pour l’opposition. Si l’on en croit le politologue Joseph Keutcheu, de l’université de Dschang, « Il faudra être attentif à la capacité de chaque groupe partisan de vendre avec succès son modèle explicatif de la situation socio-économique du pays. Il y aura naturellement, de la part des partis d’opposition, un travail d’imputation de la responsabilité de la situation à la formation dirigeante. Cette dernière, bien entendu, a déjà commencé à construire sa ligne de défense autour des effets néfastes d’une conjoncture internationale peu favorable et des réalisations qui sont malgré tout à mettre à l’actif du gouvernement ». Autant dire qu’ « au final, la conjoncture socio-économique actuelle est venue, dans une certaine mesure, ouvrir un jeu qui semblait outrageusement à l’avantage de la formation dirigeante ; elle représente une fenêtre d’opportunités politiques inespérées pour les partis d’opposition », martèle le politologue.

En attendant la présidentielle, les législatives et les municipales prévues en 2025, les observateurs tireront quelques leçons des sénatoriales attendues en 2023. Sans doute la crise interne au Social Democratic Front (SDF) aura-t-elle dévoilé ses évolutions.

Valentin Siméon Zinga

 


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