Le rire est révolutionnaire
Voici deux personnages singuliers. Le premier est un militant anticolonialiste qui fut exécuté le 15 janvier 1971. Et le second est une militante du MRC, une femme dont l’engagement politique ne laisse personne indifférent. Nonobstant l’écart politique et historique qui sépare les deux personnages, il n’en demeure pas moins qu’ils ont en commun le rire.
Comme arme de résistance et d’émancipation. Au cours de la parodie de procès qui a mené à sa condamnation à mort, Ernest Ouandié riait. Michèle Ndoki elle aussi, était toute hilare lors de son arrestation à l’occasion de la manifestation contre le hold up électoral (2018).
En réalité, le rire devant l’infâme opère une double fonction. D’une part, il défie le bourreau en le ramenant à sa vanité, à son impuissance devant une liberté qui s’affirme. Et d’autre part, il ré-humanise. C’est-à-dire que dans un contexte de déchaînement de la violence institutionnelle (policière et juridique), il permet de tendre la main et d’inviter le bourreau à se départir de sa malfaisance pour cheminer ensemble.
Ernest Ouandié et Me Ndoki d’un geste simple et à la portée de tou(te)s nous enseignent que le rire est un artifice déterminant pour toute marche révolutionnaire. Cette double photo est un symbole fort, une gifle adressée à tout système qui croit contenir par la violence, la soif de justice d’un peuple. « Soyons joyeux » disent-ils en substance, car en dépit des agitations mortifères d’un régime aux abois, « nous ne sommes pas contre les juges et policiers (simples exécutants), mais nous les invitons à cheminer avec nous du bon côté de l’Histoire ».
Ceux et celles qui connaissent l’histoire des révolutions récentes savent que le rire ou la distribution des fleurs aux militaires chargés de réprimer les manifestant(e)s constitue un des meilleurs moyens de vaincre et de ridiculiser un tyran. Ce que je dis est simple. Le bourreau n’a aucun autre pouvoir sur nous que celui que nous lui offrons. Loin du divertissement hallucinogène qui sert constamment de cache-sexe à notre misérable condition sociale, le rire devant l’oppresseur est une volonté affichée de marcher la tête haute. Rire c’est proclamer haut et fort la liberté que la violence policière ou juridique croit pouvoir mettre en cage. Rire c’est dresser son buste devant un bourreau qui telle la statue rêvée de Nabuchodonosor de la Bible a sans doute plus de faiblesses qu’on ne l’imagine a priori.
La réalité toute simple est que la résignation ou l’inaction s’opère parfois au prix de l’illusion de puissance que l’on octroie à un bourreau auquel on est confronté. Nos bourreaux sont très souvent des géants aux pieds d’argile. Pensez simplement aux ravages du rire que vous affichez devant un patron, une supérieure hiérarchique, une personne qui croit vous mépriser ou vous rabaisser par des actes ignobles. À titre personnel, voilà pourquoi lorsqu’une personne croit me faire du tort, m’infliger une peine ou me nuire, je « lap moi ma chose ». Tel un effet boomerang, son « macabo » se transforme en melon géant. « Le goût of ça »
Bref, je disais que le rire, celui-là qui est destiné à être vu et entendu parce qu’il est éminemment politique, inflige la honte devant le « sissia ». Il rend le bourreau honteux devant le constat de l’inefficience de ses menaces, ses « vecto ».
On peut simplement retenir que malgré l’apparente bonhomie du rire, celui-ci est une manifestation millénaire d’affirmation de liberté et de résistance. Les rieurs peuvent de cette manière autant infliger la honte aux bourreaux que les désavouer en venant éprouver pacifiquement la rigidité de l’ordre policier. Ernest Ouandié et Me Ndoki l’ont bien compris. Le rire qu’ils affichent sur cette photo fait violence à la légalité elle-même en l’ébranlant lorsque celle-ci s’égare, se fige ou devient répressive.
Mieux encore, ce double rire que 48 années séparent est un acte politique qui réaffirme l’immanence de la liberté et de la dignité humaine. Ouandié et Ndoki riant à la barbe des malfaisants, nous rappellent ce faisant que l’enfer d’un bourreau c’est le visage serein de sa victime. D’un pas assuré et d’un rire lumineux, ils annoncent que la marche vers l’indépendance totale et la justice sociale est irréversible même si cela devait leur coûter la vie. C’est au plus fort de la nuit que le jour est le plus proche.
Si ce que je dis n’est toujours pas clair, retenez que le rire est un éternuement du cœur, du bon cœur. Marchons pour défendre un Cameroun meilleur. Mais n’oublions pas de le faire en riant. Elle est là aussi notre dignité inébranlable fondue dans l’horizon de joie et de justice que nos pas si frêles esquissent déjà à la suite des héros de notre histoire.
*Christian Djoko*