Dans une tribune publiée sur les réseaux sociaux ce mercredi 29 mai 2019, Richard Makon, Chercheur en sciences sociales parle de la crise des valeurs. L’Expert en développement souligne que le Cameroun traverse en ce moment une crise de valeurs sans précédent, qui a atteint des proportions inquiétantes avec la résurgence de la crise anglophone. Le juriste internationaliste, pense que la seule solution c’est le dialogue. Lebledparle.com, vous propose l’intégralité de la chronique.
L’EXPLOSION DU CONFLIT DES VALEURS
Il y a de cela dix (17) ans aujourd’hui, sous la direction de Dominique REYNIÉ, de nombreux intellectuels se réunissaient en Europe pour s’interroger sur leurs ‘‘VALEURS PARTAGÉES’’, dans un contexte mondial de ‘‘BOULEVERSEMENT DES VALEURS’’ obligeant à faire recours de façon permanente à ‘‘L’INNOVATION POLITIQUE’’ pour inventer un ‘‘NOUVEAU CONSENSUS’’ politique et social.
Un nouveau consensus sur les valeurs qui fondent les institutions, inspirent les politiques publiques, orientent les actions des gouvernants et les mobilisations plurielles de la société, les valeurs qui fixent l’horizon et le cap de la trajectoire collective.
L’Europe n’était pourtant pas en conflit à cette période-là, encore moins la France, terreau de cette importante réflexion collaborative. Mais partout sur le vieux continent on entendait déjà depuis un moment des grondements sourds de la colère légitime des peuples souverains, réclamant de meilleures conditions de vie, un accroissement de l’espace des libertés, une plus grande participation à la vie politique et à la prise des décisions sur les questions essentielles impactant leur devenir, une plus grande protection tant des identités nationales que de ce qui semble constituer une identité européenne, une consolidation des acquis démocratiques, une plus grande sécurité aux frontières de l’Union et une plus forte attention pour les questions environnementales, l’Etat de droit et les droits de l’homme.
Les premiers errements de l’intégration européenne n’étaient pas neutres dans cette grande agitation qui, de l’avis de nombreux politiques, intellectuels, experts et citoyens ordinaires, était due à un retour en force du ‘‘conflit des valeurs’’.
Les choses se sont aggravées aujourd’hui, c’est évident. La montée du fascisme et des populismes de toutes sortes, l’enracinement de l’antisémitisme, de la haine, de l’intolérance, de la xénophobie et du racisme, le tout sécrété (ou accentué) par une mondialisation qui accroît les incertitudes, accentue le fossé des inégalités et obscurci le ciel des perspectives, rendent bien compte de l’impossibilité pour les nations à régler ce conflit des valeurs sans l’invention d’un nouveau consensus politique et social, sans un nouveau pacte républicain et civique, sans un nouveau modèle de société.
Sans se risquer à une analogie qui conduirait sans aucun doute à des conclusions malheureuses, il semble somme toute incontestable qu’au-delà des acteurs, de l’espace et du temps, au-delà des enjeux contextuels et des jeux d’intérêts du moment, les conflits politiques actuels comme passés opposent presque toujours des imaginaires et des visions du monde, des façons d’être et de faire, de voir et d’avoir, d’entendre et de comprendre, de penser et d’articuler, sur, dans et autour des valeurs de l’en-commun.
Les ressorts du conflit politique actuel qui agite le Cameroun ne sont pas très différents. Au-delà des errements des hommes, ce pays connait depuis plusieurs années maintenant un violent conflit de valeurs, qui a connu avec la crise de l’anglophonie identitaire son paroxysme.
Outre les valeurs africaines classiques qui sont allègrement bafouées (le caractère sacré de la vie, la foi en Dieu, la fraternité, la solidarité, la liberté, la justice, l’harmonie, l’équilibre), ce conflit politique nous interroge tous aujourd’hui, avant tout comme citoyen, puis en tant que collectivité humaine plurielle et corps politique unifié, sur la valeur (interprétation) que nous donnons à notre histoire, à notre culture, à nos institutions, à notre projet de vivre-ensemble et de bâtir ensemble ;
Sur la valeur (place) que nous accordons à la liberté des autres (liberté d’être, de penser, de choisir, de s’autodéterminer, etc.), aux droits des autres, à la compétence morale de notre peuple et de nos communautés ;
Sur la valeur (rôle) que nous reconnaissons aux citoyens et à la citoyenneté, aux entités territoriales et aux appartenances identitaires, ethniques et communautaires, aux allégeances idéologiques et aux affiliations associatives et politiques, dans la construction de notre projet de vie et de notre pacte civilisationnel.
Ce conflit est violent, sévère et profond. Il nous interpelle tous et nous invite à user d’innovation politique et d’ingénierie institutionnelle pour inventer un Cameroun nouveau, construire une alliance civique nouvelle, un pacte républicain nouveau, et nous doter d’institutions adaptées à nos ambitions collectives.
Mais tout voyage commence par un premier pas. Le nôtre sera marqué lorsqu’on retrouvera la voie de la discussion républicaine, du dialogue national fraternel et républicain.
*‘‘Chronique précédemment parue à Mutations’’