Dans une tribune publiée sur son mur Facebook ce mercredi 3 avril 2019, Richard Makon, Docteur en droit et chercheur en sciences sociales saisit l’actualité sur le décès de l’élève Blériot le vendredi 29 mars dernier pour faire l’autopsie du système éducatif et sanitaire du Cameroun. Pour l’Expert des questions de développement, l’éducation et la santé se porte mal. Lebledparle.com, vous propose l’intégralité de chronique.
À L’ECOLE DES PETITS CRIMINELS
L’éducation et la santé, envisagées comme services publics, politiques publiques ou systèmes politico-institutionnels, constituent des éléments clés, fondamentaux et centraux, tant de la structuration, de l’organisation que du fonctionnement de la société.
En effet, l’école et l’hôpital constituent les deux (02) institutions capitales qui permettent de se faire une idée précise de l’état de santé d’un pays, de la qualité de son fonctionnement quotidien, de sa situation politique, économique, sociale et culturelle à un moment donné de sa trajectoire et de son histoire.
L’école prépare demain en formant dès aujourd’hui les hommes et les femmes qui assureront la survivance et la perpétuation de la société, et qui affronteront, grâce aux connaissances acquises et aux savoirs maitrisés, les défis de son épanouissement et de son progrès.
L’hôpital soigne les corps malades des hommes et des femmes qui luttent pour la survie et le progrès de leur société, répare les vies et les esprits brisés par les assauts du monde et les outrages de la vie, accompagne, rééduque, soutien, protège et redonne force et espoir.
C’est d’ailleurs pourquoi l’on dit souvent que lorsqu’on veut détruire les fondations d’une société, on s’attaque prioritairement à son système éducatif et à son système de santé.
Mais au constat, il ne fait aucun doute aujourd’hui que le Cameroun est victime d’une entreprise savamment organisée de destruction de ces institutions-fondations.
S’agissant premièrement de la santé, elle est devenue un véritable mythe dans une société malade, rongée par la lèpre des pandémies et des grandes endémies, handicapée par l’incompétence, l’imposture et la prévarication, défigurée par le cancer de la pauvreté qui prive de nombreuses familles de moyens élémentaires pour l’accès aux soins de santé primaires. Malgré l’augmentation des financements publics, des dons et des aides de mécènes et de philanthropes, des subventions et autres programmes d’appui des bailleurs de fonds internationaux, le système de santé apparaît comme l’un des parents pauvres des politiques gouvernementales.
La vétusté des ouvrages et des installations sanitaires, l’archaïsme des équipements et des plateaux techniques et technologiques, la rareté des médicaments dont plus de 70 % de ceux en circulation sont le produit de la contrebande et de la contrefaçon, ajoutés à tout ceci la multiplication des centres de santé clandestins, des certifications et qualifications irrégulières et frauduleuses, l’emprise de l’amateurisme et de la négligence, le règne de la corruption, et le sous-effectif criard du corps des personnels soignants.
L’hôpital au Cameroun est sous de mauvais hospices et le système de santé est un grand malade qui espère depuis trop longtemps être admis en soin intensif.
Quant à l’école camerounaise, sa crise dure maintenant depuis des décennies, et ni les hasardeuses tentatives de réformes initiées ici et là (telles que les États Généraux de l’Éducation du 22 au 27 mai 1995), ni les importantes mutations qu’a connu le secteur de l’éducation au niveau mondial, régional et sous régional, n’ont réussi à la sortir de cette sévère crise.
De temps en temps, comme pour rappeler à la conscience collective cette lente et longue agonie, des polémiques opportunes surviennent, comme celle qui a entouré le contenu d’un livre de sciences naturelles de la classe de 5e quelques jours seulement après la rentrée scolaire, et des scandales éclatent, comme ceux devenus plus fréquents sur les pratiques mystiques et de sorcellerie dans des écoles, la consommation des drogues douces et dures dans la quasi-totalité des établissements publics d’enseignement secondaire, de l’organisation des orgies sexuelles et des pratiques contre-nature dans des cours de récréation, ou encore le phénomène très à la mode de la multiplication de petits assassinats entre camarades de classes.
Tous ces clichés et toutes ces images sont révélateurs des errements et de l’effondrement de la société camerounaise toute entière, qui sombre dans une deshumanisation sans précédent.
Nos hôpitaux sont devenus des mouroirs lorsqu’ils ne sont pas opportunément transformés en prison secondaires (par ceux-là qui ont fait le serment de protéger et de sauver des vies) où croupissent, des mois durant, des malades infortunés et des jeunes mères sans fortune.
Nos écoles sont devenues des laboratoires de la méchanceté qui enseignent toutes les ficelles du banditisme et du braquage, des filières qui forment à toutes les spécialités de la délinquance et de la prostitution, des centres de formation professionnelle qui moulent à toutes les fonctions de la criminalité, des salles de travaux pratiques qui préparent à tous les concours de la fraude et de la corruption. Les cours de récréation sont allègrement transformées en scènes de crime.
En réalité, nos enfants sont à l’image de leurs parents. Les loups ne font pas des chatons.
L’école et l’hôpital sont simplement aujourd’hui le miroir le plus fidèle de notre société, devenue perméable à l’obscurantisme qui motive nos quêtes, et à la noirceur qui caractérise notre époque.
*Chronique parue précédemment à « Mutations »