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Chronique : Réflexions sur le succès éphémère des artistes populeux au Cameroun ou la décadence d’un modèle de culture

georges minyem

Il m’arrive rarement de m’exprimer sur l’art musical de mon pays, encore moins sur les tribulations du métier d’artiste dans notre triangle national, mais je pense que je devrais m’y intéresser davantage en tant qu’acteur culturel afin de dire ma pensée face à la dégringolade non moins teintée de déviances multiformes préjudiciables à notre modèle de créativité artistique. Se taire est se faire complice de cette avanie qui de conjoncturelle devient permanente et nous expose à la perpétuation d’une idée de la culture camerounaise qui risquerait de nous en détourner à jamais.


georges minyem
Henri Georges Minyem – capture photo

Ces dernières années ont été riches de toutes sortes de phénomènes dits culturels dont l’insignifiance structurelle n’avait d’équivalente que la vacuité de la substance qui fondait sa créativité. Oh, nous avons bien connu le zengue moto, et autres mako zaiko, puis le ndombolo mais les cultures dites urbaines ont fini de sonner le glas de notre spécificité artistique en Afrique avec le lot d’importations indifférenciées venues à la fois du Nigéria et l’omnipotence des médias qui ont soudain imposé à nos rares créateurs locaux une forme d’adaptation à ce qui se vend et qui devient le passage obligé pour pouvoir exister, dans une quête effrénée pour la subsistance, et parfois même à l’existence tout court.

Depuis quelques années, j’ai vu apparaître dans l’expression urbaine des artistes dont la grossièreté de l’expression se fondait dans un simulacre de remake des boys bands noirs américains des années 80-90 avec des figures devenues célèbres telles Ice Cube, Ice T, puis DMX et leur prolongation issue des phénomènes des banlieues américaines dont les Tupac, Snoop dog, 50 cents et d’autres rappeurs qui dépeignent les réalités de leur monde en défiant la société à qui ils renvoient systématiquement la cause de leurs marginalité, tout en s’exonérant quelconque responsabilité dans leur propre errance. Ces hommes bien souvent narrent une existence qui est la leur, faite d’un quotidien de violences parfois insoutenables et de commerces de drogues formalisés par le diktat racial dans une société différente de celle des jeunes africains.

Ainsi, l’importation de ces modèles étrangers ainsi que sa transposition dans des sphères culturelles structurellement et anthropologiquement différentes induisent une inféodation de nos propres exhalaisons artistiques à des modèles exogènes, mais pis encore, par l’unilatéralité du phénomène de mondialisation que nous devons à l’explosion du numérique, cette dépendance aux modèles du Nord entraine une phagocytose culturelle qui détruit les cellules organiques des cultures qu’elles envahissent.

Pour illustration, rendez vous en Californie, dans le Maryland ou dans le Kansas, vous n‘entendrez vos musiques d’Afrique que dans les maisons de vos amis de même origine ou dans des clubs très minoritaires tenus par des africains expatriés. Il en est de même à Paris ou Bordeaux ou Barcelone où vous aurez du mal à faire du buzz avec de la musique de Mr Leo, Petit pays, Lady Ponce ou du Fally Ipupa. Ce sont des cultures minoritaires et dépréciées : nos modèles sont qualifiés d’ethniques et nos radios de communautaires. Ce qui, vous en conviendrez, dans des sociétés comme la France où le communautarisme n’est pas censé exister face au jacobinisme dominant est plus qu’antithétique des idéaux républicains. Mais c’est cela l’illustration de la mondialisation à sens unique, c’est-à-dire du Nord vers le sud.

Que se passe-t-il au Cameroun ?

Depuis quelques jours, une nouvelle distraction secoue la toile camerounaise, à l’heure même où des faits politiques bien plus dignes d’intérêt tels que des incarcérations arbitraires requerraient plus d’intérêt. Il semblerait qu’un phénomène soit né : il s’appelle Nyangono du Sud. Je l’aime bien, il a une bouille sympa dont tout le monde s’amuse tout en lui prêtant une oreille plus ou moins attentive, il ressemble au camarade de classe dont tout le monde se moque à la récréation car il a toujours le geste qui amuse. Toutefois, le plus intéressant est moins dans ses pitreries que dans ce que cet artiste nous apprend sur nous-mêmes.

Il y a chez les Camerounais depuis quelques années une fascination pour le loufoque, l’étrange, l’abscons au point que tout ce qui semblerait futile, indécent ou obscène à l’homme de raison trouve une résonance quasi magnétique au sein de la population qui se met à lui vouer une admiration quasi mimétique. Là où l’insipide devient la norme, là où l’irrationalisable devient banal, l’esprit lucide tombe à la renverse et constate l’aliénation de la pensée rationnelle par la pesanteur du perfide et de l’absurde. Toute altitude d’intensité intellectuelle se morfond devant la contemplation de l’anomalie qui s’érige en système de gouvernance en même temps qu’en expression populaire d’une fatalité de la vacuité.

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Comment expliquer de façon rationnelle que des bestiaires de vulgarité culturelle tels que certains de nos artistes dits urbains ou des phénomènes de foire comme Nyangono du Sud embrasent des foules et suscitent l’admiration d’une jeunesse éberluée et admirative de personnes dont le talent est autant sujet à questionnement légitime ? Peut-on aller jusqu’à considérer qu’ils sont devenus les miroirs d’une jeunesse en mal de repères ou la continuité voire l’excroissance de cette paupérisation mentale qui trouve son expression jusqu’à la vulgarité que l’on observe chez des autorités morales hommes politiques et épouses censés incarner l’excellence socio-culturelle en même temps que l’exemple, voire le modèle de la société et l’aspiration de tout citoyen ?

Que l’on ne s’y méprenne pas ! Le problème en soi n’est pas Nyangono du sud, puisqu’en tant que créateur, il ne peut faire que ce que son talent lui permet. En tant qu’entrepreneur artistique, il surfe sur le vent présent et en sa qualité d’artiste, il produit ce qu’il estime être en capacité de produire. Le problème c’est tous ceux qui s’en amusent au début et qui au final retrouvent dans cette loufoquerie matière à assimilation au point de se reconnaître dans cette expression culturelle. Sans le vouloir, ils cautionnent ce qui devient par le jeu des interactions symboliques leur future expression culturelle.

Ainsi nous retrouverons-nous dans quelques temps à danser sur ces musiques, de la plus sérieuse des manières, à singer ses gestes au point de vouloir exceller dans les postures de son créateur. Notre créature sera ainsi devenue notre nouveau créateur et sa création culturelle sera devenue notre culture dominante. Ainsi naissent les hybridations artistiques qui font le lit de promoteurs culturels véreux qui s’alimentent de ce qui « buzz », puisque ça vend. Deux chercheurs Teodor Adorno et Horkheimer avaient déjà compris cette déformation quand en 1947 ils sortirent leur ouvrage de référence « Dialektik der Aufklarung » (La dialectique de la raison) qui ne fut édité que 20 ans plus tard, devenant les premiers critiques sociologiques de cette industrie culturelle qui nous étouffe et dont l’individu n’est pas la mesure, mais l’idéologie même, à travers le diktat qui les pose en les imposant.

Au nom de quelle fatalité le Cameroun devrait se transformer en réceptacle muet donc complice de toutes les aberrations artistiques fabriquées dans des officines sibyllines aux intérêts lucratifs dont nous ne maîtrisons pas les sordides secrets de fabrication ?

Rappelons-nous aussi de quelle manière chez nous au Cameroun nous savons travestir des phénomènes pensés et inaugurés dans d’autres contextes avec des connotations différentes tels que la fête de la femme du 8 mars qui est devenue le prétexte à toutes les expressions déviantes de nombreuses femmes camerounaises, en lieu et place de l’affirmation du droit des femmes.

Le moment me semble opportun de repenser notre rapport à la culture à l’aune des valeurs sociétales que nous entendons pérenniser et des cultures qui nous épanouissent, je parle de celles qui élèvent l’homme et non celles qui l’abrutissent.

Quelle culture proposer ?

André Malraux dans « Les tentations de l’occident » rappelait qu’« une culture ne meurt que de sa propre faiblesse ». Il est indéniable que ces chutes de cultures multiformes sont à la société ce que des chutes de bois sont au bon tronc solide, à savoir des ramassis d’incongruités stylistiques qui, mis bout à bout, paupérisent l’espèce et l’abâtardissent au point de dénaturer la force substantielle de la matière première. Toute société qui se respecte se doit de veiller à ce que des extensions de son modèle culturel ne se confondent à la nature authentique de sa créativité sous peine de devoir se réinventer car ne se reconnaissant plus à terme dans ce que sa propre culture sera devenue.

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Des succès populaires tels que ceux cités plus haut nous parlent et doivent nous interpeller quant à l’idée que nous nous faisons de notre culture, mais plus amplement sur les valeurs que nous entendons transmettre aux générations futures. En parlant de culture, ces personnes représentent-elles notre culture ? Quelle est-elle cette culture ? En existe-t-il une ou des cultures ? Ces nouveaux talents populaires sont-ils des bouffons nécessaires dont se servent toutes les cultures pour pouvoir respirer, se réinventer tout en recherchant dans leurs tréfonds les fondements structurels donc co-deterministes qui la font exister en tant qu’entité plurielle ?

Il n’y a pas une seule culture dans un pays. Qui plus est, notre diversité culturelle fait notre richesse en tant qu’entité géopolitique constituée de couches de populations aux origines diverses. Mais nous distinguons bien les cultures dites traditionnelles des cultures médiatisées, reconnues comme étant l’expression populaire de nos modèles culturels dominants.

De nos interactions se créent des expressions culturelles qui par le biais des médias se véhiculent à une vitesse exponentielle et masquent le vide. Très souvent les cultures dites sérieuses, les musiques trop travaillées se perdent dans les algorithmes mathématiques d’ingénieurs savants taxés de mélomanes et le grand public, le bas peuple s’exprime dans un quotidien qui lui ressemble, puisqu’aisément audible dans le bar du coin de la rue où il peut laisser libre cours à sa beuverie et s’épancher jusqu’à plus soif sur des rythmes endiablés qui diluent ses souffrances. Le sérieux devient bien trop codifié et formaliste, là où lui, l’homme de la rue, le quidam social voit en l’acteur culturel une prolongation de ce qu’il considère alors comme sa propre insignifiance sociale auto attribué. De cette confusion nait une connivence qui le rapproche de celui qui peut oser dire « mouf » dans ses chansons, user de toutes sortes d’expressions vulgaires sans enfreindre la loi, tout en riant de cette vulgarité. Là, dans cette banalisation du tabou se trouve pourtant le danger, car le glissement insidieux touche l’interdit que l’on peut bafouer tout en reprochant aux autres une espèce d’ordre moral qui nous limite dans nos interactions quotidiennes.

L’analyste, le sociologue, le chercheur doit trouver là, matière à introspection, à analyse des carences d’une société, de même que le signal d’alarme qui doit permettre à l’intellect de mettre en perspective les différents concepts qui fondent l’ordre invisible que l‘on qualifie de culture, de méta symptomatique, d’hypostase nouménale.

Ainsi naissent les cultures, mais ainsi disparaissent aussi les meilleures quand elles se laissent déborder par les expressions populistes qui font le lit de la médiocrité de certaines expressions collectives d’un peuple, d’une nation, d’une engeance constituée anthropologiquement en écosystème humain engendrant une forme plus ou moins aboutie de créativité dans son rapport au monde.

Saurons-nous dépasser ce stade intermédiaire dans notre rayonnement culturel telle la chrysalide devenant le papillon dans lequel l’on reconnaîtra toutes les couleurs flamboyantes d’un renouveau culturel ? Le résultat dépendra aussi de la synergie gagnante entre acteurs culturels tels que les promoteurs, les artistes et les politiques devant garantir le respect de l’œuvre artistique dont la commercialisation est le combustible qui garantit la propulsion de nouveaux modèles culturels. Ainsi ceux-ci pourront ainsi s’ériger en modèles de référence. Nous en sommes certes encore loin.

Prof. Henri Georges Minyem

Mais aussi chanteur à texte/Poète


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