Au même titre que le reste de la planète, le Cameroun est en crise. Ne nous berçons pas d’illusions, les lendemains sont plus que jamais incertains. Nous sommes en présence d’un fait total mondial (Covid-19) aux conséquences insoupçonnées. En dépit du volontarisme et de la communication volubile du Minsanté, notre système sanitaire déjà mal en point, n’est pas en mesure de supporter un afflux massif de malades. Il faut donc craindre le pire au moment où s’ouvre le stade 2 la pandémie, c’est-à-dire la transmission communautaire.
En attendant la découverte éventuelle d’un vaccin ou d’un médicament, le confinement, la sensibilisation et la solidarité restent les meilleures armes en notre possession pour tenter d’inverser la pyramide de contamination.
Confinement des grandes agglomérations
Nonobstant les mesures qui ont été prises jusqu’ici, il importe à ce stade de l’évolution de la pandémie d’aller vers un confinement partiel du pays (Yaoundé et Douala).
Dans les grandes agglomérations comme Yaoundé et Douala, le nombre élevé d’habitants combiné aux dynamiques sociales et culturelles (promiscuité, densité populationnelle, regroupements dans les marchés, rassemblements sportives, quartiers populaires, etc.) constituent un vecteur majeur de propagation du virus. Or, nous savons aujourd’hui avec certitude que la distanciation sociale/physique permet d’en limiter la propagation. Dès lors, bien que la distanciation soit à bien égard contre culturel, elle s’impose non sans quelques restrictions fortes (confinement).
Je noterai immédiatement que le confinement dont il est question ici nécessite des mesures d’accompagnements de l’État et dans certains cas, une forme de mitigation. Car nous ne sommes pas tous égaux devant la pandémie. Autrement dit, les mesures de confinement n’affectent pas tout le monde la même manière. Son acceptabilité sociale et sa traduction en fait concret sont toujours fonction du statut social.
1. L’accès à l’eau potable, l’utilisation de gels hydroalcooliques et surtout le confinement représentent un coût financier non négligeable pour l’immense majorité des camerounais. De nombreux foyers n’ont pas de réfrigérateurs pour entreposer des denrées alimentaires longtemps d’avance. Et quand bien même ils disposeraient de tels appareils, leur utilité resterait toujours tributaire de la sporadicité de l’électricité. Couplé à la précarité sociale, de nombreuses familles n’auront pas assez de ressources pour se nourrir au bout de quelques semaines de confinement strict. Autant dire qu’il faut être totalement déconnecté de la réalité camerounaise pour envisager un confinement sans mesures d’aide pour des populations déjà pauvres et désœuvrées.
À ce niveau, il y a toute une ingénierie administrative et sociale à inventer afin de soutenir le maximum de personnes. Nous n’avons pas le choix. Car à défaut de ces mesures, de nombreux citadins n’observeront tout simplement pas le confinement obligatoire ou volontaire. Jouant quotidiennement leur survie, ils n’hésiteront pas à vaquer à leurs occupations habituelles en pensant alors que le Covid-19 n’est de toute façon qu’un énième obstacle dans une existence déjà nue et lessivée par le labeur. Et à ce moment-là, il s’agira moins d’incivisme que d’instinct de survie.
En clair, pour que les mesures de confinement et de salubrité soient largement suivies, le gouvernement camerounais doit veiller à ce que les produits de premières nécessités demeurent accessibles à l’ensemble de la population en général et aux couches sociales pauvres et défavorisées en particulier.
2. Comme mesure d’accompagnement plus large, l’État, mais aussi les élites financières et les grandes entreprises doivent dans la mesure du possible soutenir la production et l’accessibilité aux gels hydroalcooliques. Le prix de ces produits demeure très élevé pour la plupart des camerounais.
3. Parallèlement aux mesures de confinement, il faut procéder à un dépistage massif suivi d’une prise en charge sanitaire des personnes contaminées. Et pour ce faire, il urge de donner davantage de moyens au personnel médical. Il faut également mettre à sa disposition les ressources dont il a besoin pour se protéger lui-même d’une contamination éventuelle au Covid-19. En plus des risques d’isolement social ou familial, cette catégorie de travailleurs et travailleuses doit quotidiennement composer avec le risque permanent de contamination au Covid-19. « Nous sommes en danger permanent », me disait récemment un médecin. « Au moins cette crise aura le mérite poursuit-il alors, de mettre en avant nos conditions de travail réelles ». C’est criminel de mettre en danger la vie de nos premiers de cordée, au moment où ceux-ci se battent précisément pour préserver nos vies. On peut d’ailleurs s’étonner que le Fonds de solidarité d’urgence débloquer pour le financement des opérations contre le Covid-19 n’ait été pourvu que d’un milliard de FCFA alors que 4 ans plus tôt, 75 milliards de nos francs avaient été utilisés pour l’achat et la distribution d’un nombre important ordinateurs « kleenex ». Et ce, en prélude à la campagne électorale de 2018.
Cette crise met plus que jamais à nu la facture macabre de notre malgouvernance hybride. À la faveur de la mort qui rôde et de l’indigence de nos ressources sanitaire, on découvre plus que jamais, le caractère superficiel de nos dépenses de prestige, nos priorités gargantuesques (stades, train de vie de l’État, évacuation sanitaire, etc.).
Sensibilisation
4. Relativement à la sensibilisation, le gouvernement ne peut prétendre inciter efficacement la population à respecter les consignes qu’il peine lui-même à observer. Ces derniers temps, l’espace médiatique a trop souvent été le théâtre de contre-exemples donnés par ceux-là même qui étaient censés indiquer la voie. Autant dire que les gouvernants ont un devoir d’exemplarité. L’exemple doit venir d’en haut pour le dire prosaïquement.
5. La lutte au COVID-19 passe également par un vaste plan de communication et sensibilisation qui tient compte des réalités linguistiques, culturelles, religieuses, socio-anthropologiques… du pays. Je me permets d’insister sur ce point. Car prétendre sensibiliser est une chose, mais parvenir à le faire de manière efficiente en est une autre. On ne sensibilise pas à Yaoundé comme on sensibiliserait à Baham. Toute campagne de sensibilisation doit être fonction du contexte et de la population cible. D’où la nécessité de construire une convergence communicationnelle, une union sacrée médiatique (chaine de télés, presses, radios, influenceurs, etc.) portée par une approche multidisciplinaire (journalistes, socio-anthropologues, marketeurs sociaux, philosophes, religieux, leaders communautaires, etc.).
Solidarité
Somme toute, je suis tenté de dire que le COVID-19 se veut démocrate. Il frappe les grands comme les petits. Et ne s’embarrasse pas de considérations sociales. Il met à nue la fragilité de nos attachements sécurisants habituels et nous donne d’expérimenter la précarité d’une vie.
Cette pandémie nous apprend également que la vie des uns dépend inextricablement de celle des autres et vice-versa. À l’époque du Coronavirus, aucun d’entre nous ne peut être en sécurité et en bonne santé si nous ne nous assurons pas que nous sommes tous en sécurité et en bonne santé dans le monde entier. Aucun camerounais ne sera en sécurité et en bonne santé si nous ne veillons pas à ce que tous les camerounais soient protégés.
Plus largement, le COVID-19 nous fait redécouvrir le lustre de la solidarité humaine, de la nécessité de tisser du lien et de lutter sans relâche pour construire et maintenir un bon système de santé. Autant dire qu’il y a un récit du monde à réinventer ou vivifier autour d’une politique de la solidarité et des biens communs à protéger (santé). Nul n’est à l’abri d’un revers de fortune. Cette valeur inestimable de la solidarité (re)découvert à la faveur de cette crise doit se traduire non seulement en action institutionnelle, l’ai-je évoqué plus haut, mais aussi en dynamique citoyenne.
Organisons-nous (tontines, associations religieuses, regroupements professionnels, partis politiques etc.), collectons des fonds et offrons la sensibilisation mais aussi l’eau, le savon, les produits de premières nécessités, etc. aux plus démunis de notre société (orphelinats, familles ou quartiers défavorisés, villages, etc.). Réveillons la part belle et lumineuse de notre humanité.
Ultimement, seule la solidarité nous sauvera.