Quelques jours seulement après sa sortie, « 1958 », le quatrième album de l’artiste camerounais, est plébiscité aussi bien par la critique musicale que par le public. Après avoir vogué de pays en pays pour étaler son art, Blick Bassy effectue un retour aux sources et rend hommage, en chansons, à l’un des plus grands héros indépendantistes camerounais, Um Nyobè. Un devoir de mémoire qui lui parait impératif pour une vraie libération.
Vous venez de sortir votre quatrième album au titre assez particulier. Pourquoi l’avoir appelé « 1958 » ?
« 1958 » est un hommage à Um Nyobè ; d’où le titre, qui rappelle l’année de sa mort, tué par l’armée française. C’est aussi l’occasion pour moi de rendre un hommage officiel et populaire à ce combattant des droits humains et à ses camarades de lutte tels que Ouandié, Osende Afana, Moumié…
Une création musicale entièrement consacrée à Um Nyobe. Pour quelle raison ?
Lorsque l’on voit ce qui se passe dans notre pays aujourd’hui, et dans d’autres pays africains, on peut se rendre compte de manière évidente que nous avons raté au moins une étape essentielle, celle de la reconnexion avec nous-mêmes, et donc avec notre histoire, nos valeurs ; mais également que nous nous efforçons à bâtir nos nations sur une structure étrangère n’ayant aucun lien avec notre écosystème. Structure qui nous a été imposée et qui définit, sans notre consentement, les différents modèles économique, éducatif, politique, culturel, et qui ne correspond en rien avec nos besoins et nos perspectives d’émancipation. Cela m’a alors paru évident d’aller chercher auprès de ceux-là qui ont donné leur vie pour une indépendance totale de notre pays.
L’album compte 11 titres. Est-il réellement possible de parler de Um Nyobè en seulement 11 chansons ?
Je pense qu’on peut parler de Um Nyobè même en une chanson car la symbolique parle d’elle-même. Un hommage peut se faire à travers un tableau, une sculpture, une ou plusieurs chansons…. Mon intention est surtout d’attirer l’attention sur ce personnage crucial de notre histoire, car je pense que nous ne le connaissons pas assez et qu’il est important de célébrer ce brillant camerounais, au-delà de sa lutte pour notre souveraineté et pour les valeurs universelles.
Certains observateurs estiment que l’histoire de la colonisation, ainsi que le rôle joué par la France au Cameroun, ne sont pas assez enseignés aux Camerounais. Etes-vous du même avis ?
Absolument. Car, la majeure partie de nos fournitures scolaires étaient encore importées il n’y a pas longtemps. Il est urgent de raconter notre histoire, de la préhistoire à nos jours, selon notre perspective et pas à travers celle des autres. Le story-telling est un élément essentiel pour la construction des imaginaires d’une nation.
Dans le titre « Woñi », vous semblez défendre l’idée selon laquelle l’oppresseur, le colonisateur est encore présent. N’est-ce pas un peu forcer sur les traits que de le dire ?
Non, pas du tout. J’aime à dire que nous n’avons pas encore de pays et qu’il faudra un jour qu’on décide enfin d’en avoir un. Parlons des faits. Nos modèles économique, politique, culturel, social et éducatif ont-ils été mis en place par nous ? Les grandes vacances par exemple qui correspondent à l’été en France doivent-ils avoir lieu au même moment, lorsque chez nous c’est la période de la grande saison des pluies ? Le nom de notre pays a été donné par d’autres, nos frontières également construites par d’autres. Avons-nous été consultés pour ça ? Le modèle de développement correspond-il à notre vision et définition du développement ?
Sans compter le fait que nous obéissons aux structures telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du Commerce, l’Organisation mondiale de la santé, qui sont toutes des structures pensées sans notre consultation et certainement à l’avantage de ceux qui les ont mises en place. Celui qui rédige le contrat protège d’abord ses intérêts. Rappelons qu’on a tué Um Nyobè et ses camardes car ils n’acceptaient par l’indépendance partielle, et voulaient l’indépendance totale. Ça veut donc tout dire.
Avec « 1958 », accepteriez-vous que l’on vous qualifie d’artiste « engagé » ou encore d’artiste « contestataire » ?
Je pense que nous sommes tous engagés d’une façon ou d’une autre, car notre action, ou notre inaction, agit sur la gestion de la cité. Mon engagement est peut-être conscient, d’où la nuance.
Puisque cet album parle essentiellement d’un héros camerounais, Blick Bassy en fera-t-il la promotion au Cameroun, à travers, par exemple, un concert ?
Oui, j’aimerais beaucoup. Ces dernières années, je n’ai pas arrêté de parcourir le monde, de partager ma culture camerounaise avec les communautés de toute la planète. Il est urgent que je revienne le faire dans l’espace ou je me suis construit, dans ma première communauté.