Arraché à sa liberté au Gabon le 17 juillet dernier puis déporté de force à Yaoundé, l’activiste Yves Kibuh Bershu, alias « Ramon Cotta », a été jeté dans le pénitencier de Kondengui. Malgré les murs de sa cellule, cet infatigable pourfendeur du régime de Paul BIYA ne faiblit pas et dit vouloir poursuivre son combat avec acharnement, a souligné Lebledparle.com, selon un article de Jeune Afrique.
Ci-dessous le récit :
Yves Plumey Bobo, Jeune Afrique
La société civile du Cameroun n’a pas réussi à faire libérer Yves Kibuh Bershu, alias Ramon Cotta, malgré les multiples appels à la fin de sa détention. Ce 10 octobre, après plusieurs mois passés dans une cellule du Secrétariat d’État à la défense (SED), cet activiste de 42 ans originaire de Bamenda, célèbre pour ses critiques acerbes envers le gouvernement de Paul Biya, a été placé sous mandat de dépôt provisoire de six mois à la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé.
« Retenu dans une chambre noire »
Cette décision a été prise par le capitaine Ignace Eyebe Etoundi, juge d’instruction au Tribunal militaire de Yaoundé, en charge du dossier. D’après l’ordonnance de détention consultée par Jeune Afrique, Steeve Akam, de son nom d’adoption au Gabon, est accusé de « coaction de révolution », « crime de sécession », « acquisition illégale d’armes de guerre », « outrage aux corps constitués », et « défaut de carte nationale d’identité ».
Selon un document confidentiel consulté par Jeune Afrique, Yves Kibuh Bershu a été arrêté par des éléments des forces de sécurité gabonaises, armés et en civil, devant son magasin de Libreville, le 19 juillet dernier, sans qu’un mandat ou une justification légale ne lui soit présentés. Menotté et cagoulé, il a été privé de son téléphone et a été coupé du monde extérieur pendant trois jours durant lesquels il a été, selon lui, retenu dans une chambre noire souterraine contenant quatre tombes.
Le 23 juillet, des militaires armés l’ont finalement transporté à la frontière entre le Gabon et le Cameroun, où il a été emmené jusqu’à Yaoundé, toujours sans indication de procédure, par des forces de police lourdement armées. Il a ensuite été détenu pendant trois jours dans les locaux de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE) avant d’être transféré dans une cellule du Service central de recherches judiciaires (SCRJ).
L’activiste a été maintenu au secret dans une chambre noire, où son équipe de défense affirme qu’il a subi des tortures, notamment avec des projecteurs puissants braqués sur ses yeux. L’intéressé affirme avoir été interrogé six fois, sans jamais bénéficier de l’assistance d’un avocat, dont deux fois à la DGRE et quatre fois par le SCRJ et au SED.
Toujours selon le rapport confidentiel que nous avons consulté, il souffrirait d’un « début de paralysie du côté gauche » et de « troubles visuels » résultant des « tortures et mauvais traitements » infligés pendant sa détention. Des séquelles encore visibles malgré une autorisation spéciale de soins accordée par Cerlin Belinga, le commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire de Yaoundé, près d’un mois après les premières recommandations des soignants militaires.
Une affaire internationale ?
Le silence qui entourait la situation de Ramon Cotta depuis son transfert à Yaoundé avait suscité une vague d’indignation parmi les défenseurs des droits humains. L’opposant Maurice Kamto s’est notamment demandé si l’on assistait à une nouvelle affaire Martinez Zogo, du nom du journaliste enlevé puis retrouvé mort en janvier 2023. Il avait exhorté les autorités à « dissiper tout doute sur le sort de [l’activiste] en prouvant publiquement qu’il est toujours en vie ».
Le 7 août dernier, un collectif d’avocats – constitué d’Hippolyte Meli Tiakouang, Serge Emmanuel Chendjou, Sother Menkem, Martin Tene Nzohoua ainsi que des membres du collectif Sylvain Souop – s’était constitué pour défendre les intérêts du disparu. Il avait notamment saisi le patron de la police Martin Mbarga Nguele, celui de la gendarmerie Galax Yves Landry Etoga, le procureur général auprès de la cour d’appel et le directeur de la justice militaire.
Contacté par Jeune Afrique, Me Hippolyte Meli, à la tête du collectif, nous a indiqué avoir fait appel, le vendredi 11 octobre de la décision du placement en détention de son client à Kondengui. Selon lui, il existe un « problème de compétence » : le tribunal militaire de Yaoundé agit comme s’il s’agissait d’une « juridiction internationale » et juge des crimes prétendument commis à l’étranger par des personnes résidant à l’étranger.
Me Meli assure que la compétence d’un tribunal repose sur trois critères : les lieux de l’arrestation, de résidence de l’accusé et de commission des faits, tous trois situés au Gabon dans ce dossier. En outre, Ramon Cotta « revendique son statut de réfugié au Gabon [et] réclame le bénéfice du privilège de législation et de juridiction que lui confèrent les instruments juridiques internationaux et communautaires liant le Cameroun et le Gabon », peut-on lire dans l’ordonnance d’appel.
Le tribunal militaire est conscient que l’accusé réside au Gabon, s’indigne l’avocat, tout en faisant mine d’ignorer comment il a été transféré au Cameroun. « [Ramon Cotta] va mieux depuis qu’il a récupéré ses lunettes et ses médicaments. Il était soumis à un régime extrêmement restrictif au centre de recherche judiciaire où il était détenu. Ne faisant confiance à personne, il refusait de manger aussi bien la nourriture de l’extérieur que celle préparée sur place », explique-t-il.
« Je reste Ramon Cotta »
Pour ses avocats, qui dénonce une « affaire politique », la seule solution est de « libérer » leur client et non de « légitimer une brutalité qui choque l’opinion publique ». « Depuis que nous avons déposé une requête en habeas corpus pour sa libération immédiate, il a été présenté de manière précipitée devant un juge [et ce] uniquement pour justifier sa détention en émettant un mandat de détention provisoire », dénonce Me Hippolyte Meli.
Jeune Afrique est parvenu à contacter Ramon Cotta lui-même, depuis sa cellule de Kondengui. Il y affirme vouloir poursuivre son combat : « Je rappelle au peuple camerounais un proverbe : lorsque l’on capture un crocodile dans la brousse et qu’on le met dans une piscine, même après 50 ans, il ne deviendra pas un maillot de bain. Il restera crocodile. Je reste Ramon Cotta et le plus dur reste à venir. Nous n’allons pas abandonner. »
L’activiste a aussi rappelé à ceux qui ont « orchestré » son arrestation au Gabon, à ceux qui « utilisent les moyens d’État pour mener une chasse aux sorcières, que ce pays appartient à tous. Nous nous battrons pour une justice équitable et indépendante (…) Je continuerai à représenter la voix des sans-voix et je resterai debout pour défendre nos droits et ceux des générations futures. » Ramon Cotta espère que son sort, loin de l’avoir fait taire, a plutôt « ravivé les blessures et éveillé les consciences ».