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Dieudonné Essomba analyse l’impact du coronavirus au Cameroun 

DD Esso

Dieudonné Essomba a passé au peigne fin l’impact de la pandémie du coronavirus au Cameroun dans une interview qu’il a accordée à Philippe Nsoa, rédacteur-en-chef du journal Baromètre communautaire.

DD Esso
Dieudonné Essomba (c) Droits réservés

Le gouvernement a communiqué le 30 avril 2020, 19 mesures d’assouplissement et de soutien aux secteurs le plus touchés par le coronavirus.

Depuis lors, le consultant de Vision 4 à qui aucun sujet relevant de l’économie n’échappe, ne s’y est pas prononcé. Mais au cours d’une interview avec Philippe Nsoa du quotidien de Mélanie Betebe de regrettée mémoire, le statisticien pense que le covid-19 est l’ennemi de tout le monde : « presque tous les secteurs sont touchés » par la crise. Pour preuve, « Les entreprises n’arrivent plus à vendre parce que le marché est directement frappé par le confinement », illustre-t-il.

Lebledparle.com s’est procuré l’intégralité de l’échange entre Philippe Nsoa et Dieudonné Essomba qui propose au passage les solutions pour sortir de l’impasse.

 

A votre avis, quels secteurs économiques ont le plus besoin du soutien de l’Etat ?

Il faut noter que dans cette crise, presque tous les secteurs sont touchés, en raison des interrelations qu’ils entretiennent entre eux, mais pas dans les mêmes proportions. Les raisons pour lesquelles un secteur peut être affecté par la crise sont multiples. Il peut être frappé directement dans ses débouchés. Les entreprises n’arrivent plus à vendre parce que le marché est directement frappé par le confinement. C’est le cas des débits de boisson qui voient leur chiffre d’affaires baisser drastiquement, ce qui se transmet naturellement aux industries brassicoles, et par ricochet, sur les Finances publiques qui prélèvent la taxe sur la valeur ajoutée. C’est également le cas du transport et du tourisme. C’est enfin le cas du secteur d’exportation dont la demande est sérieusement affectée par la crise. On peut notamment citer le pétrole qui a vu son prix passer de 60 dollars à 25 dollars.

 D’autres secteurs sont affectés de manière assez indirecte, à travers les interrelations qu’ils entretiennent avec d’autres secteurs. Ainsi, le confinement des populations dans les villes réduit la consommation et par suite, la demande de tous les secteurs et des fournisseurs de ces secteurs, et ainsi de suite.

Néanmoins, la lésion subie par un secteur dépend de sa nature. Certains secteurs peuvent se reconstituer spontanément après la crise, comme l’informel urbain ou l’agriculture artisanale. A l’autre extrême, d’autres peuvent s’effondrer définitivement, à l’instar de de la production pétrolière avec l’effondrement des cours, les agro-industries et les grands hôtels de luxe qui jouent un rôle important dans le tourisme des étrangers.

Entre ces deux cas extrêmes, on trouve une vaste palette d’impacts différentiés.

L’action à court terme de l’Etat consistera à appuyer les secteurs stratégiques dont la lésion peut être irréversible et qui stabilisent le système productif. Il s’agit notamment de tout le secteur d’exportation qui doit être préservé à tous les prix, à savoir, toutes les chaînes de production du pétrole, du cacao, du café, du coton, de la banane, de l’aluminium, etc. Corrélativement, il faut à tour prix sauvegarder le secteur d’import-substitution, autrement dit, les secteurs dont l’offre locale est en compétition avec les importations. Il s’agit notamment de l’industrie manufacturière comme la CICAM. A ces deux grands secteurs, on peut ajouter le tourisme qui procure les devises, ainsi que des secteurs d’accompagnement comme l’électricité ou les télécommunications.

Quels instruments budgétaires faut-il mobiliser pour la leur apporter ou quelle(s) forme(s) doit (doivent) pendre cette aide pour être aussi efficace que possible ?

Le recours à l’instrument budgétaire est très difficile dans notre contexte actuel, en raison de contraintes multiples. La situation antérieure du budget de l’Etat, avant même la pandémie n’était déjà pas bonne, et on sait que le FMI est là depuis 2017. Or, le FMI se comporte comme un gendarme qui nous contraint dans nos marges budgétaires. Les crises sécuritaires ont imposé une contrainte supplémentaire qui absorbe d’importantes ressources. Dans ces conditions, le Gouvernement ne peut faire que des efforts à portée plutôt symbolique. En réalité, les Camerounais doivent intégrer le fait que leur Etat n’est pas assez riche pour soutenir une politique sociale significative.

Certains analystes suggèrent une reconfiguration de l’architecture budgétaire avec la suppression ou la fusion de certains ministères. Cette option est-elle nécessaire ?

Les critiques sur l’obésité de notre Gouvernement sont récurrentes et la première idée à laquelle on pense spontanément pour réaliser des marges budgétaires est de le réduire. On y pense d‘autant plus que cette foule de Ministères entraîne une mauvaise articulation, voire des chevauchements de compétence et la dispersion de l’action publique qui ne favorisent pas une action cohérente du Gouvernement.

De fait, un nombre réduit de Ministères entraîne une réduction des dépenses de prestige liées à l’entretien somptuaire des responsables. Néanmoins, deux objections se posent à ce niveau. La première se situe dans le potentiel de réduction de ces dépenses qui n’affecte pas les autres postes, puisque les autres éléments de dépenses restent. Par exemple, le personnel reste le même et requiert le même salaire.

Du reste, ce n’est pas le nombre de Ministres en soi qui pose problème au Cameroun. C’est la macrocéphalie et le soviétisme du Gouvernement central avec pratiquement 70 Ministres, ce qui est excessif et contreproductif. Par contre, un modèle plus raisonnable serait un Cameroun avec 15 Ministres centraux, et 120 Ministres Régionaux, à raison de 12 Ministres par région.

Mais plus fondamentalement, un Etat n’a pas pour vocation de faire des économies. Comme Keynes l’a mis en évidence, la dépense publique est un puissant débouché pour le secteur productif local, et un Etat relance son Economie à travers ses dépenses, à la condition toutefois que cette demande s’adresse en priorité aux entreprises locales et soit contenue dans des limites raisonnables.

Le Cameroun a un budget qui ne correspond qu’à 20% du PIB. C’est très peu, puisque certains pays atteignent 60% du PIB. Si le Cameroun a des problèmes au niveau du budget, c’est simplement parce que nous avons une Economie extravertie. Toute la dépense publique se déverse à l’extérieur en importation, affaiblissant le système productif et poussant au déficit courant et à la dette.

Sinon, dans quels secteurs ou administrations opérer les économies nécessaires ? 

Une fois de plus, l’administration n’est pas un lieu des économies. C’est une erreur récurrente très en vogue en Afrique Noire, créée et entretenue par les vecteurs du libéralisme idéologique que sont les institutions de Brettons-Wood. Il vaut mieux parler de la rationalisation de la dépense publique, autrement dit, l’affectation optimale des ressources disponibles pour le développement du pays.

Et de ce point de vue, l’une des dépenses les plus improductives pour une Nation est justement la guerre civile, surtout lorsqu’elle est alimentée par des motifs purement idéologiques ! Vous ne pouvez pas parler d’économie dans un pays qui traîne une sécession armée de l’ampleur de la Sécession anglophone ! A elle seule, ses impacts plombent le budget et paralysent tout le pays à travers un effet en ciseaux : d’un coté, elle distraie d’importantes sommes de sécurité et de reconstruction, et de l’autre, elle verrouille la production dans le NOSO, mettant le Gouvernement en devoir d’y consacrer des ressources qui auraient pu servir ailleurs. Sans une solution à cette crise, toute autre action relève des économies de bouts de chandelle qui ne peuvent avoir aucun impact significatif.

Bien que le gouvernement écarte l’idée d’un confinement de la population, il semble de plus en plus probable d’apporter un soutien aux ménages les plus vulnérables. Et on se rappelle de votre théorie de la monnaie binaire. Pour mémoire : quel est son fondement ?

La Monnaie Binaire consiste à émettre, à côté du CFA officiel, un second CFA qui fonctionne comme des bons d’achat, un peu comme des bons de carburant. Ces bons ont la même valeur que le CFA pour les biens locaux, mais ils ne sont pas utilisables pour les biens importés, à moins d’une très importante décote. C’est une sorte de Franc local.

L’idée de la Monnaie binaire repose sur le raisonnement suivant : lorsqu’un Camerounais veut acheter les habits, il va presque à coup sûr vers la friperie européenne ou les habits chinois, car ceux-ci sont moins chers ou plus perfectionnés que les habits produits au Cameroun. Comme tous les habits se vendent en CFA, les produits nationaux sont battus, et le développement d’une industrie nationale de l’habillement devient impossible. Mais si le même Camerounais disposait en même temps du CFA normal et du CFA local, il serait obligé de consacrer le CFA local aux produits locaux et par suite, aux habits camerounais, car il ne peut rien acheter à l’étranger avec cet argent. Comme il est déjà habillé, il ne trouvera plus intérêt à importer des habits ; il dépensera donc son CFA normal qui est convertible à l’achat des biens difficiles à produire localement, du fait de leur technicité et de leurs coûts.

Comme on peut le voir, cette seconde monnaie vise à créer un marché aux biens que le Cameroun peut fabriquer puisque conforme à son niveau technique, tout en les préservant d’une ruineuse concurrence venant de l’étranger.  En même temps, elle oriente les Camerounais uniquement vers des biens étrangers qu’ils ne peuvent pas eux-mêmes fabriquer comme les voitures.

Elle offre la possibilité de nettoyer le marché intérieur de biens importés d’un niveau technique faible, au profit d’une production locale très diversifiée portant sur l’agroalimentaire, l’ameublement, l’outillage, l’habillement, les médicaments génériques, et l’électroménager, ne laissant que les produits importés de haut niveau technique. De ce fait, elle déclenche un cercle vertueux du développement impossible autrement dans un pays sous-développé du niveau du Cameroun.

C’est cette technique consistant à émettre une Monnaie qui ne sort pas, à côté d’une autre Monnaie qui peut sortir qu’on appelle « Monnaie Binaire ».

D’une manière pratique, quelle forme pourrait prendre une monnaie binaire dans notre contexte ?

Pour un pays comme le Cameroun, la meilleure formule de Monnaie Binaire est la Monnaie-Trésor que j‘avais présentée à l’Institut Politique de Lyon. La Monnaie-Trésor désigne une Obligation du Trésor à qui l’Etat accorde un pouvoir libératoire sur les biens locaux.

Traditionnellement, ces Obligations offrent deux possibilités, à savoir, les conserver jusqu’à échéance tout en percevant les intérêts, ou les vendre au marché secondaire en CFA avec décote. La Monnaie-Trésor ajoute une troisième possibilité, à savoir l’utiliser à sa valeur nominale sur les biens locaux. Ainsi, une telle obligation permettrait de régler directement sa facture d’électricité, les frais d’hospitalisation ou l’impôt, exactement comme s’il s’agissait du CFA lui-même.

Du point de vue opérationnel, l’Etat du Cameroun pourrait financer son développement en émettant la monnaie-trésor ex nihilo, suivant le modèle de la planche à billets actuellement en vigueur aux USA et en Union Européenne, en particulier pour subventionner l’agriculture et l’industrie locale et relancer la consommation en restaurant la bourse dans universités, en augmentant les salaires et en appuyant les ménages pauvres. L’impossibilité d’utiliser cet argent pour importer oriente ainsi la demande sur la production locale, contrairement au CFA qui a des effets contraires.

Cette monnaie binaire a-t-elle vocation à être permanente ou faudra-t-il la supprimer après la crise du coronavirus ?

La théorie de la Monnaie Binaire n’a pas été conçue dans la cadre de lutte contre le coronavirus ! C’est un concept développé dans les années 2007 et proposée lors des travaux de la Vision du Cameroun Emergent, puis éditée dans un livre en 2010. La Monnaie Binaire constitue une alternative monétaire dans des pays dont la capacité de production ne permet pas de valoriser l’instrument monétaire traditionnelle. C’est le cas du Cameroun. Il s’agit donc d’un système permanent qui reproduit dans une certaine mesure, le système monétaire suisse qui superpose le Franc Suisse au WIR, faisant ainsi de cette économie-là plus stable du monde, suivant les Economistes américains.


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