Le budget du Cameroun pour l’exercice 2021 avait été dévoilé le 25 novembre 2020 à hauteur de 4865,2 milliards de FCFA. Quelques jours après le lancement officiel dudit budget, Dieudonné Essomba, sous sa casquette d’économiste, a publié un long texte sur son mur pour expliquer de fond en comble comment se passe le budget d’investissement dans notre pays.
COMMENT SE FAIT LE BUDGET D‘INVESTISSEMENT AU CAMEROUN ?
Le budget d’investissement ne se fait pas au pif. Personne ne se lève pour dire : « faites un projet à cet endroit, car je suis le Président de la République ou je suis le Premier Ministre. »
La base de référence des projets au Cameroun est la Vision du Cameroun Emergent en 2035. Cette Vision a été sectionnée en 3 phases, dont :
-la période du DSCE, de 2011 à 2020 et qui vient de s’achever
-la période de la SND30 pour la période 2021-2030 et qui vient de commencer.
Le DSCE et la SND30 sont des documents de stratégie qui décrivent les objectifs que le Cameroun doit atteindre au cours des 10 prochaines années. Ils comprennent grosso modo :
-le diagnostic stratégique qui pose l’état de lieux de l’Economie camerounaise, assortie d’une analyse explicative
-les objectifs à atteindre à l’issue des 10 années
-le cadrage, qui permet d’évaluer les capacités du Cameroun à atteindre ces objectifs.
Le DSCE (idem pour la SND30) n’est cependant qu’un document d’orientation qui permet d’encadrer l’action publique. Chaque groupe de Ministères exerçant dans le même secteur doit élaborer une « stratégie sectorielle » qui est une sorte de DSCE réduit à leur secteur. Par exemple, le MINEPIA, le MINADER et le MINFOF vont élaborer la « Stratégie du Secteur Rural ».
Le MINEDUB, le MINESEC, le MINESUP et el MINEFOP vont élaborer la « Stratégie du Secteur Educatif ».
Etc.
Chaque stratégie sectorielle comprend un diagnostic du secteur, les objectifs à atteindre et se n’achève pas le PLAN D’ACTION PRIORITAIRES.
Le Plan d’Actions Prioritaires recense les actions que le secteur se propose de mener au cours de la période de 10 ans. Les Actions comprennent les Projets proprement dits, mais aussi toute autre action envisageable pour modifier la situation économique du secteur.
Maintenant, comment va se faire le budget d’investissement ?
PREMIERE OPERATION : le MINEPAT et MINFI établissent le Cadre Budgétaire Moyen Terme (CBMT), autrement dit, les ressources dont va disposer le Cameroun au cours des 3 prochaines années pour son investissement. Puis, ils font la répartition en fonction des secteurs et des ministères. Par exemple, ils peuvent dire : « le MINESEC : 5% d’investissement ».
DEUXIEME OPERATION : sur la base de la part qui lui est affectée, chaque Ministère établit son programme d’investissement pour les 3 prochaines années. C’est cela qu’on appelle Cadre de Dépenses à Moyen Terme (CDMT).
Les projets et les autres actions sont présentés par programme (généralement 3 programmes opérationnels et un programme-support par Ministère).
La première source d’inspiration des projets est le Plan d’Action Prioritaire du Secteur. C’est dans ce plan qu’il faut extraire les projets. On ne le fait pas au hasard : le Ministère doit tenir compte des urgences et des priorités. En outre, le Projet doit être « mature », c’est-à-dire, prêt à être réalisé sans entrave.
Outre le Plan d’Action Prioritaire, d’autres sources de projets sont :
-les Hautes instructions du Chef de l’Etat : quand il demande un projet, on l’inscrit immédiatement (mais c’est très rare)
-les projets à financement extérieur, dès lors que le financement est disponible
-les projets d’urgence, qui répondent à une situation imprévue et qui ne peut pas atteindre (exemple du COVID19 ou d’un pont coupé)
-les Aspirations de la Population, qui sont des projets que l’Etat réalise auprès des Communes.
TROISIEME OPERATION : le MINEPAT procède à l’analyse de la cohérence et à la consolidation des CDMT.
QUATRIEME OPERATION : Le Comité Interministériel d’examen des programmes, en abrégé « CIEP » et composé notamment de tous les Secrétaires Généraux des Ministères valide définitivement le CDMT.
Dans la norme, c’est ce CDMT validé qui est l’ossature du budget d’investissement public.
OBSERVATIONS :
Comme on peut le voir le budget d’investissement n’est pas un petit jeu d’enfant où n’importe qui peut venir glisser son projet à sa guise. L’inscription d’un projet doit pouvoir se justifier et il est difficile d’imposer un projet par simple autorité. On peut être Ministre et être incapable d’avoir un investissement qu’on veut chez soi, en dépit des efforts. La seule marge laissée aux hommes politiques se situe dans les Aspirations de la Population » où on peut, à coup de relations glisser une salle de classe ou un point d’eau.
Mais pour un projet vraiment important, ce n’est pas facile.
S’agissant maintenant de la fausse polémique des projets au Sud, il faudrait se ramener dans les années 2010. Nous sommes sortis des plans d’ajustement en 2006 et le cadre de référence était le DSRP, commandé par les bailleurs de fonds.
On avait reproché au DSRP sa tendance au saupoudrage, autrement dit, le budget était utilisé dans une foule de micro-opérations dont on ne voyait pas l’impact sur la croissance et l’emploi.
L’idée vint alors qu’il fallait plutôt se concentrer sur des projets structurants, qui pouvaient avoir un immense effet de chaîne. La première préoccupation était l’électricité dont tous les Camerounais se plaignaient : délestage, instabilité, mauvaise qualité, etc. On établissait alors que le déficit électrique nous coûtait 2 points de croissance.
Il fallait faire quelque chose de très rapide, d’où un Programme d’Urgence qui avait conduit à la création de centrales thermiques, notamment à Kribi. Mais plus fondamentalement, il fallait rapidement renforcer les capacités hydroélectriques du Cameroun. Plusieurs barrages furent choisis dans toute la République, mais dans ce cas, on commence toujours par les barrages dont le KW coûte le moins cher à la production. Et toutes les études étaient formelles : c’était Lom Pangar financé par la Banque Mondiale, Mem‘vele et Mekin
S’agissant maintenant du port en eau profonde, c’était également un besoin instant des Camerounais, le port de Douala étant très coûteux à la drague et souvent débordé. Qui fallait-il choisir entre les deux seuls candidats : Kribi et Limbe ?
Ramenons-nous dans les années 2006. Tous les Camerounais se rappellent les débats sur le gisement de fer de Mbalam qu’on estimait être l’un des plus grands du monde. On voyait alors des Blancs et des Coréens défiler, des contrats se signer, etc. Qui ne se rappelle la société américaine Geovic Cameroun qui avait eu le permis d’exploitation du cobalt, du nickel et du manganèse à Lomé, depuis 2003, opération dans laquelle la SNI et l’Etat du Cameroun avaient déjà investi 20 milliards de FCFA?
Dans cette ambiance, il était naturel que Kribi soit prioritaire puisque de toute évidence, le port s’inscrivait comme une composante du gigantesque complexe industriel auquel tous les Camerounais rêvaient. Du reste, le chemin de fer qu’on devait construire devait desservir le Nord du Congo, la Centrafrique et faciliter l’exploitation du bois.
On ne voit pas très bien comment, avec une telle configuration, on aurait pu choisir Limbe à la place de Kribi…
Il faut dire que je m’étais ouvertement opposé à cette politique de Grands Projets, non pas qu’ils étaient mauvais, mais parce que les moyens du Cameroun ne lui permettaient pas d’embrasser autant de choses à la fois.
Qui trop embrasse mal étreint !
Les projets ont été décidés, avec les résultats qu’on connaît.
Mais ce qui est important aujourd’hui, c’est la manière de présenter l’investissement public sur le plan territorial, et qui donne lieu à toutes les manipulations. On ne peut imputer un projet à une Région que si ce projet améliore ses « indicateurs d’accessibilité ». Par exemple, l’électrification rurale augmente manifestement le nombre de ménages qui ont accès à l’électricité. Mais la construction d’un barrage n’améliore rien du tout !
Mais lorsque ces projets stratégiques qui se poursuivent sont imputés au Sud, cette présentation donne une lecture totalement biaisée de la répartition de l’investissement au Cameroun, en donnant l’impression que Biya avantage sa région d’origine. Ce qui est totalement faux, puisque les projets qui améliorent les indicateurs de proximité y sont nettement moins nombreux qu’au grand Nord, au (à l’Ouest et au Nord Ouest.
La question essentielle est la suivante : pourquoi, en dépit de notre demande, le Gouvernement n’a jamais voulu présenter les projets en deux sections, de manière à clarifier l’opinion ?
La raison est très simple : ils ne veulent aucune décentralisation ! En effet, présenter le budget en 2 sections, c’est déjà distinguer de manière claire les rubriques qui devraient revenir aux Régions et celles qui devraient rester à l’Etat.
Et comme ils ne veulent rien entendre, ils préfèrent accepter les manipulations des démagogues et des imposteurs de métier.