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Dieudonné Essomba : « En matière foncière, ce n’est pas la loi qu’il faut regarder au premier abord, mais le ressenti des Communautés autochtones »

L’économiste et consultant de Vision 4 a commis une tribune, le lundi 17 avril 2023 pour voler au secours de Claude après ses propos jugés tribalistes au cours de l’émission Club d’élites. Le fonctionnaire à la retraite pense que Claude Abé dit haut ce que pensent les autres tout bas. Lebledparle.com vous propose de lire l’intégralité de la sortie de l’analyste économique.

Dieudonne Essomba E1

Du discours tribal

L’émission de Club d’Elites d’hier à Vision 4 s’est penchée sur la problématique des acquisitions des espaces fonciers, accaparées aujourd’hui par des élites et des groupes au nom de l’unité nationale et du Camerounais est partout chez lui.

Le Professeur Claude ABE a déclaré, de manière lapidaire, que dans le cadre de la décentralisation, chacun devrait rentrer chez lui, suscitant un immense tollé de la part de certaines franges de l’opinion qui ont poussé des cris d’orfraie et appelé à son exécution publique. On l’accuse pêle-mêle d’appel à la guerre civile, au génocide, à la destruction de la République, etc.

Cette exubérance des réactions apparait davantage comme une fuite en avant qui ne changera rien au fond du problème, ni même au discours. Ce n’est pas parce qu’on aura crié nuits et jours au matin au tribalisme que le tribalisme va disparaitre.

Et ceci pour 2 principales raisons : tout d’abord, le discours tribal ne vient jamais ex nihilo. Il est alimenté par des faits de compétition que nous voyons tous et qui font apparaitre certains comme ayant bénéficié davantage du système sociopolitique que d’autres. Il apparait donc lorsque la répartition des avantages collectifs n’apparait pas juste et équitable aux yeux de tous, lorsque certains estiment que les autres ont tout, alors qu’ils n’ont rien, lorsque certains estiment qu’ils perdent tout dans ce système alors que les autres gagnent tout.

Ainsi, le discours tribal apparaitra nécessairement lorsqu’il y a un accès différentiel dans les avantages de l’Etat que sont :

-l’emploi public

-les postes de pouvoir

-les infrastructures collectives

-les rentes publiques comme les marchés publics, les subventions ou les licences.

Les avantages publics ne sont pas le seul lieu de compétition intercommunautaire. Celle-ci peut apparaitre dans la conquête des espaces économiques, et notamment les secteurs économiques, ou les espaces fonciers. L’ethnopolisation d’un segment économique, autrement dit, son contrôle par une seule communauté peut susciter une hostilité violente des autres, surtout lorsque ce contrôle prend le  caractère d’un ghetto, où la communauté bénéficiaire empêche par des moyens actifs et divers l’entrée d’autres Communautés.

En ce qui concerne les terres, la création des colonies tribales au sein d’autres Communautés, avec pour finalité l’ethnocide de la communauté hôte au nom du développement et de l’unité nationale entraine toujours des conflits meurtriers.

Il n’existe donc aucun moyen d’empêcher le discours tribal à partir du moment où celui-ci se nourrit des frustrations réelles et des tensions effectives, justifiées ou non.

En second lieu, même s’il le voulait, le Gouvernement n’a pas les moyens opérationnels ni d’empêcher le discours tribal, ni même d’arrêter la dynamique reflété par ce discours qui est l’instabilité généralisée de l’Etat. Certains se font de fausses illusions sur l’Etat qu’ils érigent en une puissance immanente, en oubliant tout simplement qu’un Etat n’est qu’une organisation humaine qui ne fonctionne qu’en fonction des rapports de force.

Il n’existe pas une République abstraite, définie par une volonté extérieure et au détriment de l’opinion de ses composantes. Le Liban, le France ou la Chine sont des Républiques, mais elles ne fonctionnent pas suivant le même modèle. La France ne reconnait qu’une seule citoyenneté, mais c’est le fruit de son histoire jacobine. Au Liban, l’Etat est partagé entre les diverses confessions religieuses puisque ces confessions sont un facteur central de paix. En Chine, chaque Communauté a sa Région autonome, et vous ne pouvez pas vous y installer comme vous voulez.

Vous ne pouvez pas prendre le modèle français et aller l’appliquer au Liban ou en Chine, puisque ce n’est pas la même sociologie et la même histoire.

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Le problème au Cameroun est que certains veulent prendre le Gouvernement au mot et le pousser à l’erreur pour leur profit, alors qu’ils savent que le Gouvernement joue le jeu de l’unité nationale sans lui-même trop y croire.

Le Gouvernement est bien conscient que même avec ses moyens de force, il ne peut survivre qu’avec l’adhésion des Communautés qui doivent lui faire allégeance et ne sauraient être ignorées. Et il ne peut faire autrement que d’en tenir compte et les ménager. L’idée suivant laquelle le République peut, du haut de son armée et son administration, imposer son « Camerounais partout chez lui » et s’approprier les terres des Communautés au nom de sa loi relève incontestablement de la folie.

Le Gouvernement du Cameroun n’a pas les moyens de le faire. Il ne peut pas soumettre toutes les Communautés à sa guise, comme le prétendent certains, et si celles-ci se rebellent, c’est lui qui va s’effondrer. Il n’arrive pas à mater la Sécession anglophone et on ne voit pas très bien comment il pourrait davantage le faire si une autre communauté vient y ajouter une autre rébellion contre lui.

Ensuite parce que l’Etat n’est pas formé des gens venant de  la lune, mais bel et bien des Camerounais. Il ne faut pas croire que si la jeunesse Sawa dénonce un mal-être, c’est une réaction isolée dans cette communauté. En réalité, cela signifie que tous les Sawa ressentent le même mal-être, qu’ils soient dans l’Armée, dans le Parlement, dans le Gouvernement, dans les affaires ou dans la Diaspora.

Cela signifie quoi en clair ? Tout simplement que vous ne pouvez pas bénéficier de la protection d’un Etat si les principales composantes de cet Etat sont contre vous ! Les agents publics qui exercent dans l’Etat sont issus de ces Communautés, et si celles-ci vous détestent, ces agents publics vous détestent aussi et ne manqueront aucune occasion pour vous nuire. Le Parlement prendra des mesures contre vous et l’administration vous entravera dans vos actions. Et vous n’avez aucun recours !

Ne croyez donc pas qu’on peut fabriquer un Etat formé des ressortissants de toutes les Communautés et qui va protéger vos intérêts au détriment des autres Communautés.

Il n’y aura donc pas un Etat qui viendra imposer le « Camerounais partout chez lui » si les Communautés n’en veulent pas.

Au moment de l’indépendance, l’euphorie de la liberté, l’enthousiasme de bâtir une Nation et un niveau de vie très faible ont permis à une élite d’imposer leur vision de l’Etat qui excluait les Communautés. Cela se faisait à travers le parti unique, la police politique et le contrôle de l’information.

Mais l’eau a coulé sur le pont et les données ont changé. La prétention de l’Etat-Nation à développer les pays a échoué et les Communautés ont commencé à montrer leur tête. Les opinions émises par les Communautés sont des réalités fonctionnelles dont il faut tenir absolument compte, puisque ce sont ces opinions qui fondent la stabilité pérenne du système sociopolitique.

Il n’y a aura pas au Cameroun un Etat qui aurait des valeurs différentes des communautés qui la composent. Et en matière foncière, ce n’est pas la loi qu’il faut regarder au premier abord, mais le ressenti des Communautés autochtones. La loi doit venir entériner ce ressenti et non s’y opposer. Violer le ressenti d’une Communauté au nom de la loi, c’est se préparer à son expulsion un jour, par les moyens légaux ou par les Chefs de guerre communautaires comme en Ambazonie.

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Ne demandez pas au Gouvernement au-delà de ce qu’il est capable de faire. Pour maintenir cet ensemble hétéroclite et hétérogène, fabriqué de toutes pièces par les péripéties de l’histoire coloniale qu’est le Cameroun, il est obligé de tenir le discours de l’unité, mais tout en appliquant des techniques ciblées pour limiter les ravages de la compétition intercommunautaire.

Et c’est cela le sens de la notion d’autochtone dans nos textes de lois, de l‘équilibre régional, des listes sociologiques, etc. Ce sont là des pratiques institutionnelles appliquées depuis la naissance du Cameroun indépendant et qui, selon tous les auteurs, ont réussi à maintenir la paix dans ce Cameroun extrêmement clivé.

Ceux qui attendent davantage de l’Etat se trompent ! Il ne peut pas faire plus, au risque de s’effondrer ! J’ai entendu certains réclamer le partage des terres qui appartiendraient soi-disant à l’Etat. Quelle folie ! Est-ce que c’est l’Etat qui a distribué les terres aux Communautés pour venir corriger aujourd’hui ? Chaque Communauté a acquis et conservé ses terres, par la guerre et la lance, bien avant la création du Cameroun ! On ne peut pas venir redresser aujourd’hui une occupation des terres qui a eu lieu avant l’origine du Cameroun et sur la base d’autres référents !

Une telle expropriation va se fonder sur quel argument ? Et comment va-t-on empêcher que les Communautés n’attaquent l’Etat et le détruisent ?

Que l’Etat puisse, pour ses projets de développement et d’intérêt collectif, s’attribuer des espaces communautaires, c’est une chose. Mais qu’on veille l’instrumentaliser pour réaliser à retardement des conquêtes foncières qu’on n’a pas pu quand les tribus parlaient avec des lances et des sagaies, c’est le mettre en danger de mort.

EPILOGUE

Claude ABE n’a fait qu’exprimer à sa manière un véritable ressenti de vastes segments de la Communauté nationale et on ne peut pas évacuer une telle observation simplement comme une déclaration tribale. Elle montre tout simplement que la fiction de l’unité nationale est au bout du rouleau, et qu’il faut réformer le système institutionnel.

Nous avons à côté de nous un exemple de ce qu’il faut faire, à savoir le Nigeria. Je ne vois pas pourquoi nous avons honte de copier des frères, dans ce qu’ils ont réussi. Le Nigeria, c’est 2 fois la superficie du Cameroun et 8 fois la démographie du Cameroun. Nos pays ont les mêmes compositions sociologiques, mais en bien des points, ce pays marche mieux que le Cameroun.

Son fédéralisme limite l’intensification des compétitions intercommunautaires et permet notamment de gérer la cession des espaces fonciers sans des risques de violence. Vous ne pouvez pas par exemple pas vous approprier les espaces fonciers d’une Communauté à partir de la capitale ou par le biais des politiques publiques spoliatrices, sans avoir l’adhésion des 4 niveaux de Gouvernement que sont la Fédération, les Etats Fédérés qui sont des marcou-communautés, des Comtés qui sont des Communautés intermédiaires et des Communes qui sont des Communautés de base.

Cela n’empêche pas les cessions des terres, ni la création de gigantesques exploitations. Mais cela en suscite pas l’hostilité des allogènes.

C’est le bon modèle qu’il faut copier, faute de quoi nous sommes perdus.

Dieudonné ESSOMBA

 


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