Quatre jours après le double scrutin des législatives et municipales 2020, Dieudonné Essomba rebondit sur le taux de participation des Camerounais.
Les 5 et 6 février 2020, Dieudonné Essomba avait fait des analyses sur sa page Facebook. Il y démontrait alors que les législatives allaient connaitre un fort taux d’abstention au vu des arguments qu’il brandissait.
Ce 13 février 2020, l’économiste pense par le même canal qu’il « n’y a aucune intelligence à fabriquer des taux de participation élevés alors que le monde entier a vu un taux très faible ».
Une situation qui selon lui, part de certains manquements observés sur le plan social, économique et social.
Ci-dessous l’analyse de Dieudonné Essomba que vous suggère Lebledparle.com.
Elections au Cameroun : On ne peut pas tout cacher
Deux exemples devraient guider le Gouvernement dans ses tentatives de présenter un taux de participation sans la moindre proximité avec la réalité.
Le premier cas est la tentative de l’Iran de masquer la bavure de son armée qui a tiré malencontreusement sur un Boeing. Au lieu de reconnaitre rapidement l’erreur, le Gouvernement a tenté de masquer la réalité, jusqu’au moment où il a été contraint de la reconnaitre sous la pression des preuves. Cette situation n’a pas grandi l’Iran ni aux yeux de sa population, ni aux yeux du monde.
Le second cas est la tentative de la Chine de masquer l’épidémie du coronavirus. Alors qu’un médecin avait bien perçu et bien compris la tragédie qui se dessinait et avait avisé, le Gouvernement lui a plutôt fermé la bouche, en l‘accusant de propager de fausses nouvelles, certainement pour saboter le Parti Communiste. Aujourd’hui, le Gouvernement chinois est rattrapé par cette tendance à cacher la vérité au nom de la politique.
C’est dire qu’il n’y a aucune intelligence à fabriquer des taux de participation élevés alors que le monde entier a vu un taux très faible. Loin de grandir le régime, ce genre d’affabulation aggrave plutôt le sentiment d’un groupuscule aux abois obligé de recourir même aux mensonges les plus éhontés.
Le Gouvernement n’a pas à cacher la forte abstention, au risque de conforter les partisans du boycott dans un fallacieux succès. Nous ne sommes pas dans le boycott, mais dans une désaffection généralisée de la chose politique, liée d’une part à l’absence d’enjeu électoral significatif, mais surtout à une sorte de lassitude devant un manque total de perspectives de résolution des problèmes du Cameroun.
Sur le plan économique, le Gouvernement est en train de négocier la seconde phase de l’ajustement structurel avec le FMI, la phase la plus dure, celle qui connait des baisses de salaires, des compressions des effectifs, des privatisations en cascades, des augmentations des prix de produits de première nécessité, la dévaluation, etc. Cependant que les investissements prévus ne sont pas réalisés et que les infrastructures se délitent, sans possibilité de les réhabiliter.
Sur le plan politique, la Sécession sévit plus que jamais. Elle a chassé l’Etat dont elle a réduit la présence en îlots militaire, donnant à sa présence au NOSO l’allure d’une force d’occupation. Rien ne se fait plus là-bas sans couverture militaire : les élections s’y sont tenues avec l’Armée nationale, et uniquement là où elle est concentrée. Partout ailleurs, les gens sont restés claquemurés, tétanisés par la peur des Sécessionnistes. La Fête du 11 Février n’a pratiquement pas eu lieu, en dehors de quelques parades symboliques.
Et la question se pose d’ailleurs : les autorités administratives ont tous fui les combattants armés, et ceux qui y résident encore ne le sont que sous l’abri des fortifications militaires. Les conseillers municipaux et les maires vont exercer comment ? Vont-ils aussi bénéficier de la même protection militaire ? Et à quel prix ? Le problème du NOSO saigne le Trésor Public à blanc ; cela va durer jusqu’à quand ?
Sur le plan social, cela ne va guère mieux. On a vu les meurtres qui se multiplient dans les établissements d’enseignement, sans que l’Etat puisse faire quoi que ce soit, sinon des interventions hasardeuses opposant les enseignants à l’administration et aux forces de l’ordre. On peut citer d’autres problématiques, comme l’insécurité rampante, la drogue, etc.
Ce sont tous ces échecs qui ont créé la désaffection des populations et non un quelconque mot d’ordre. Et à voir le discours du Chef de l’Etat à la jeunesse, on voit bien que ni le président Biya, ni son entourage n’ont rien compris. En effet, ce discours consacre cette vision totalement passéiste d’une gouvernance basée sur les « Grands Camarades », les « Timoniers », les « Uniques miracles », les « Mont-Cameroun de la pensée », tout ce tralala des régimes obsolètes, où un individu prétend prendre sur son dos toute la misère du pays et se positionne comme une divinité magique chargé de le développer par son charisme, en mettant les citoyens de côté.
C’est un modèle qui a échoué partout. Un Chef de l’Etat n’est qu’un agent public et il n’est que cela. Sa mission est d’utiliser les ressources collectives pour répondre aux besoins collectifs de la Nation. Il n’est pas et ne saurait jamais s’assimiler à une sorte de divinité magique qui, par le biais de sa parole, distribue les biens et le bonheur.
Ce qu’on reproche au régime de Biya est justement là : paralyser les Camerounais avec une idéologie asséchante de l’unité nationale qui, in fine, se résume en la création d’une bureaucratie parasitaire qui ponctionne les maigres ressources de la nation pour alimenter un train de vie somptuaire tout en prétendant développer le pays.
Et depuis 37 ans, c‘est le même discours : « je vais lutter contre le chômage », « je vais améliorer les revenus », « je vais limiter les importations », etc.
Et depuis 37 ans, c’est le même résultat : le chômage reste massif, les revenus restent plafonnés et le déficit commercial prend un caractère de plus en plus explosif.
On a expliqué et réexpliqué au Gouvernement une règle élémentaire : « qui trop embrasse mal étreint ». Il n’est pas possible pour un Etat de la taille du Cameroun de gérer efficacement les besoins stratégiques et les besoins opérationnels avec un seul centre de décision. Un tel modèle n’a jamais conduit au succès nulle part. C’est un grossier mensonge de croire un instant qu’on peut développer un pays aussi pauvre, aussi disparate, aussi hétérogène et aussi hétéroclite avec un seul centre décision. C’est impossible, car vous ne pouvez ni gérer efficacement l’information, ni assurer un bon contrôle de la décision, ni prendre des décisions optimales. Toutes les ressources se noient dans les tentatives de neutraliser les tendances centrifuges d’un tel système, et l’entretien d’une bureaucratie impotente, cupide et corrompue.
Progressivement le système politique se bloque, paralysé par sa propre organisation.
Et c’est justement le cas du Cameroun.
Il y a donc aucune solution des problèmes du Cameroun dans l’Etat unitaire. Bien au contraire, cet Etat va multiplier les tensions jusqu’à l’infini, tensions qui ne peuvent se résoudre finalement que dans une conflagration généralisée.
La seule solution possible est la division des 5.000 Milliards par deux : la moitié pour l’Etat Central qui va se limiter aux actions stratégiques de l’Etat, à savoir la Défense, la diplomatie, les infrastructures structurantes, etc.
L’autre moitié aux Etats régionaux qui vont récupérer toutes les missions opérationnelles de l’Etat. Et chacun se débrouille chez lui, sans plus à se plaindre que Yaoundé ne l’aime pas. Si vos écoles sont en hutte, si vos routes sont pleines de crevasses, ce ne sera plus parce que le Président ne vous aime pas, mais parce que vos élites sont nulles.
C’est de cette manière que le régime va se libérer lui-même et en même temps, libérer les Camerounais en les amenant à produire le meilleur d’eux-mêmes.
Ce modèle où un individu se prend pour un démiurge revêtu de pouvoirs messianiques n’est bon pour personne.
Il faut absolument en sortir !
Dieudonné Essomba