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Dieudonné Essomba : « Le Cameroun sera fédéral, dans la paix comme en Belgique ou par la guerre comme en Ethiopie »

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Dans l’une de ses récentes publications sur sa page Facebook, Dieudonné Essomba analyse la thématique de la possibilité des Etats fédérés au Cameroun.

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Dieudonné Essomba (c) Droits réservés

« Débat sur le nombre d’états fédérés au Cameroun », c’est le titre de la tribune de Dieudonné Essomba sur son mur le 9 juin 2020.

Dans cette publication, l’économiste donne dans un premier temps, les enjeux du nombre d’Etats. Ensuite, il  fait une esquisse tout en soutenant qu’ « il n’y a pas un Fédéralisme qui serait communautaire et un autre qui ne le serait pas ».

Par ailleurs, le consultant média passe au peigne fin les entraves à la multiplication des « Etats » dans une fédération et propose enfin des pistes pour en créer des  dans son pays.

Lebledparle.com vous propose lecture intégrale de la publication de Dieudonné Essomba.

 

1. Les enjeux du nombre d’Etats

Le Cameroun sera fédéral, dans la paix comme en Belgique ou par la guerre comme en Ethiopie. Mais il sera fédéral, car son niveau de diversité en lui permet pas de fonctionner de manière durable dans un Etat unitaire, fût-il décentralisé.

Mais pour combien d’Etats ? C’est la question qui s’impose immédiatement à l’esprit. Le nombre des Etats représente en effet un enjeu essentiel dans un Etat fédéral :

-lorsque les Etats sont très peu nombreux, ils sont très gros par rapport à l’Etat Fédéral qui doit les ménager systématiquement. Le pouvoir Fédéral est trop faible et ne fonctionne que sur la base d’un consensus. L’ensemble s’apparente à une Confédération de fait, avec des risques importants d’éclatement en cas de conflit grave.

-Inversement, lorsque les Etats sont trop nombreux, ils sont émiettés et ne disposent plus de la capacité d’assumer leurs missions régaliennes. Ils deviennent très faibles devant la Fédération à qui ils ont d’ailleurs tendance à confier leurs propres missions. L’ensemble fonctionne alors comme un Etat unitaire décentralisé.

Du point de vue historique, les dictateurs dans les pays Fédéraux ont toujours eu tendance à émietter les Etats en jouant sur les antagonismes communautaires, le but étant de renforcer le pouvoir fédéral ou de manipuler politiquement les tribus. La technique est très simple : il suffit de convaincre les élites d’une communauté dans un Etat de réclamer le leur. Les élites réclament et le Gouvernement fédéral prend acte.

C’est le cas des Gouvernements militaires successifs du Nigeria qui ont progressivement porté le nombre d’Etats de 3 initialement au départ jusqu’à 36 aujourd’hui.

Le cas du Sud-Soudan est très illustratif de cet enjeu. A son indépendance en 2011, le Soudan du Sud est devenu un État fédéral composé de dix États fédérés. En 2015, le nombre d’Etats monte à 28, puis à 32. Mais à la suite de cette expérience d’émiettement, le Gouvernement tente de revenir à 10 Etats, ce que refuse l’opposition armée.

Le nombre d’Etats est donc un enjeu fondamental pour une Fédération. Trop peu nombreux, c’est une Confédération de fait, par essence instable. Trop nombreux, c’est un Etat unitaire de fait, par essence bureaucratique et inefficace. Dans l‘un et l’autre cas, on perd les avantages du modèle fédéral.

D’où la nécessité de trouver un équilibre entre les éléments d’autonomie des Etats et les éléments de cohésion de l’ensemble avec un nombre raisonnable d’Etats.

Au Cameroun, le nombre d’Etats qui assure l’optimisation du modèle fédéral est compris entre 7 et 15 Etats. A quoi on peut ajouter 4 Territoires Fédéraux qui sont des Etats particuliers : Yaoundé, Douala, Garoua et Bamenda.

2. Comment dessiner les Etats ?

Quel que soit le cas, les Etats sont toujours dessinés sur des bases communautaires, le terme « communautaire » étant plus général que le terme « tribal ». Une communauté peut se fonder sur une même origine, une langue commune, qu’elle soit locale ou importée, la même culture, une communauté de traditions, une histoire commune, un même mode de vie, etc.

Cela signifie que le Fédéralisme est nécessairement communautaire. C’est pour cette raison que le terme « Fédéralisme communautaire » qui a cours au Cameroun est tautologique. Mais il faut situer le contexte où le concept a été initié par deux citoyens : le Pr OWONA NGUINI et l’Honorable Cabral LIBIH.

Les deux citoyens ont parlé de Fédéralisme communautaire pour l’opposer au fédéralisme de 1961 fondé sur un Etat Anglophone et un Etat Francophone. Pour eux, s’il y a fédéralisme, ça ne peut plus être un Fédéralisme de type binaire, mais un fédéralisme étendu à tous les segments communautaires du Cameroun.

Mais il faut le dire de manière claire et définitive : il n’y a pas un Fédéralisme qui serait communautaire et un autre qui ne le serait pas ! Tout fédéralisme est communautaire. En effet, le but du Fédéralisme est de maintenir des Communautés différentes dans un espace politique commun. Il consiste à remettre la puissance publique entre les mains des segments communautaires, sous la forme d’Etat fédéré, le tout chapeauté par un Etat Fédéral qui assure la coordination, la régulation et la gestion des secteurs stratégiques.

Un Etat fédéré doit être cohérent. Cela est nécessaire pour qu’il puisse développer sa culture et se développer dans le cadre de cette culture. Cela est nécessaire pour faire ses lois locales, cela est nécessaire pour qu‘il puisse justifier sa taille, ses limites et sa population.

Dans le Fédéralisme, il importe peu que les Etats soient de taille différente. Par exemple, en Allemagne, l’Etat le plus grand est 80 fois plus important que l’Etat le plus petit. En Russie, cet écart est de 1.200 !

Vous ne pouvez pas empêcher une Communauté d’avoir son Etat, aussi petit soit-il !

3. Qu’est-ce qui empêche la multiplication des Etats dans une fédération ?

On peut penser que le fédéralisme entrainerait une multiplication des Etats au Cameroun. Il apparait tout à fait logique que si chaque Communauté est libre d’en créer le sien, on peut se retrouver avec 250 Etats pour le Cameroun, voire plus, et ce point est d’ailleurs un argument souvent évoqué aux opposants au Fédéralisme.

Ce n’est pas une vaine préoccupation. Toutefois, c’est un problème mineur, qui se pose très rarement dans une Fédération bien construite. En effet, dans un Etat Fédéral, la multiplication des Etats est entravée par deux puissants phénomènes :

  1. Les coûts de structure d’un Etat fédéré : plus un Etat est petit, plus les coûts d’entretien de son administration sont élevés. Par exemple, une Communauté de 10.000 personnes ne peut entretenir un Etat Fédéré au Cameroun : rien que l’entretien de son Gouvernement et de son Parlement engloutirait toutes ses ressources et il n’aura plus rien pour investir ou même mener les autres missions régaliennes ! Les Communautés qui se sentent proches ont donc tendance à rester ensemble pour mutualiser leurs ressources, plutôt que de s’éparpiller en plusieurs Etats peu viables.

  2. Le principe fédéral : le Principe Fédéral veut que ce qui est fait au niveau de l’Etat Fédéral soit aussi fait au niveau des Etats Fédérés. Autrement dit, les Etats Fédérés ne sont pas de petits Etats unitaires, mais des Fédérations de second ordre. Ils sont divisés eux-mêmes en Cantons autonomes (Comté aux USA, Local Government Area au Nigeria), à leur tour divisés en Communes autonomes.

Vous connaissez tous le célèbrent personnage du « Shérif » que vous avez vu dans les films. Eh bien ! Le poste de Shérif est un poste du Canton aux Etats-Unis : c’est le Canton qui l’élit comme Chef de sa Police.

Cela signifie que le Shérif n’est pas un Commissaire de Police nommé par le Président fédéral ou le Gouverneur de l’Etat ; c’est un individu élu par la population et qui gère la police locale.

Le Principe Fédéral permet à un Etat Fédéré de gérer ses différences, sur le même modèle que l’Etat gère les siennes. C’est la reproduction à un niveau plus bas des principes fédéraux appliqués à un niveau plus haut.

Si on prend le cas du Centre en supposant qu’il est devenu un Etat. Cet Etat va gérer les Universités et les routes bitumées de l’Etat, pendant que les Départements, devenus des Cantons autonomes, s’occupent de la construction et de la gestion des infrastructures sociales : Lycée, Collèges, Hôpitaux, etc.

Les deux phénomènes permettent de limiter l’émiettement des Etats sous la pression des Communautés.

4. Comment créer les Etats au Cameroun ?

Ce n’est pas le pouvoir central qui crée les Etats ex nihilo. Ce sont les Communautés elles-mêmes qui décident de la création d’un Etat et de ses limites.

Pour le cas du Cameroun, le processus consiste à ériger les Régions actuelles en Etats fédérés, mais avec les possibilités suivantes :

-une Communauté qui veut changer d’Etat organise un référendum, à condition qu’elle soit contigüe à l’Etat convoité ;

-si deux Régions veulent se constituer en un Etat, elles le font à la suite d’un référendum

-si une Communauté veut s’ériger en Etat, elle le fait à la suite d’un référendum (on peut tout simplement ici fixer une limite minimale, par exemple 1% de la population, soit 250.000 habitants).

Avec ces 3 règles, la Fédération est totalement normalisée en 10 ans. Autrement dit, les Etats sont définitivement tracés et d’autres ne se créent plus. Les simulations montrent qu’au Cameroun, on aboutit entre 7 et 14 Etats.

5. Pourquoi les territoires fédéraux ?

Très souvent, dans un Etat Fédéral, le rôle stratégique et le cosmopolitisme de certaines villes sont tels qu’on ne peut pas les assujettir de manière efficace à la loi locale. Elles disposent alors d’un statut spécial et constituent des Etats fédérés d’un type particulier.

Pour le cas du Cameroun, ces villes doivent aussi jouer un grand rôle économique pour les Etats de chaque Région. Les 4 Territoires Fédéraux sont : Yaoundé, Douala, Garoua et Bamenda.

Dieudonné Essomba

Pour approfondir :   [Tribune] Haman Mana : Le dernier round de Genève

 


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