Dieudonné Essomba analyse le mouvement d’humeur observé par certains recalés au recrutement des enseignants d’université lancé par le président Paul Biya.
En 2018, Paul Biya avait recommandé le recrutement de 2000 enseignants dans les huit universités d’Etat. Ladite décision a connu sa mise en pratique avec le recrutement d’une première vague de 1000 enseignants conformément à l’équilibre régional.
Seulement, les listes publiées n’ont pas été appréciées de ceux qui ont été recalés, occasionnant par conséquent de vives contestations de devant le ministères de l’Enseignement supérieur.
Sur sa page Facebook, Dieudonné Essomba argue que « Ce recrutement a suscité un grand nombre de contestations et même d’incidents, tout en mettant en évidence l’intensification des compétitions intercommunautaires qui s’exercent sur un emploi public de plus en plus rationné ».
Pour lui, « On a expliqué et réexpliqué au régime de Biya qu’il n’a plus les moyens de répondre directement à la demande sociale des populations, il ne veut rien comprendre et s’arc-boute sur une mission qui est devenue très dégradante pour sa propre image », soutient-il.
Lebledparle.com vous propose l’intégralité de la publication de l’économiste à ce propos.
Recrutement des enseignants d’université : l’ère des glorioles
En annonçant solennellement le recrutement des enseignants d’Université, le Gouvernement croyait certainement porter un coup politique extraordinaire. Les gars rêvaient certainement des motions de soutien à leur extraordinaire compétence et des hosannas lancés à la gloire de leur Chef, Biya BI Mvondo Paul Barthelemy, seul gage de la paix et du Développement, etc.
Seulement, voilà ! Ce recrutement a suscité un grand nombre de contestations et même d’incidents, tout en mettant en évidence l’intensification des compétitions intercommunautaires qui s’exercent sur un emploi public de plus en plus rationné.
Evidemment que cela ne contribue qu’à aggraver les fractures ethniques, multiplier les rancœurs et surtout conforter l’image d’un Etat épuisé, noyé dans la corruption et les réseaux d’intérêt.
Ce qui apparaissait comme une occurrence de gagner quelques bons points politiques s’annonce comme un flop, un de plus pour ridiculiser l’Etat et attirer maints sarcasmes et moqueries sur ses dirigeants !
Tout cela était pourtant prévisible ! On a expliqué et réexpliqué au régime de Biya qu’il n’a plus les moyens de répondre directement à la demande sociale des populations, il ne veut rien comprendre et s’arc-boute sur une mission qui est devenue très dégradante pour sa propre image !
Si chaque Région avait eu son Université, aurait-on eu toutes ces polémiques à répétition qui dégradent l’image de l’Etat ? Pas du tout ! On se serait retrouvé avec un problème dilué dans le temps et dans l’espace, éparpillé entre 10 Etats Régionaux, et totalement invisible !
Et le Cameroun aurait largement gagné, non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan universitaire, car, faut-il le rappeler, sur les 30 meilleurs Universités d’Afrique, y compris le Maghreb, 26 viennent des pays fédéraux !
Et c’est normal, car dans un système fédéral, chaque Etat a son université et se bat pour en faire la meilleure ! Nous ne sommes plus dans le modèle immobile, bureaucratique, sans dynamisme interne, perclus dans l’incompétence, le tribalisme et le mandarinat comme celui du Cameroun.
Mais plus fondamentalement, l’épisode de ce recrutement manifeste dans toute son ampleur le problème fondamental de la Gouvernance au Cameroun : notre Gouvernement a abandonné les secteurs stratégiques pour basculer dans le détail, l’accessoire et le dérisoire, dont il espère tirer quelques glorioles.
Une gloriole est une petite gloire que des gens humbles retirent des événements tout à fait anodins. C’est le cas lorsqu’un paysan place une grande photo encadrée avec luxe dans son salon, et le présentant en train de saluer le sous-préfet du coin. Dans sa tête et par rapport à ses cousins, il est grand monsieur, car il a salué un sous-préfet.
C’est exactement le comportement de notre actuel Gouvernement !
Pourtant, il ne manque pas de grands événements pour lesquels un Gouvernement sérieux devrait jouir de véritables félicitations. Depuis 2006 où le pays est sorti de la crise économique, et 2010 où il a élaboré sa Vision d’un pays Emergent en 2035, avec un DSCE qui devait couvrir les 10 premières années.
De mirifiques projets émaillaient cette Vision digne d’un pays comme le Cameroun. Mais, il faut bien se rendre à l’évidence : nonobstant les fanfaronnades, le Gouvernement n’a même pas pu faire illusion. Les autoroutes prévues sont abandonnées dans la broussaille, après avoir englouti des sommes faramineuses. Sur la série de barrages hydroélectriques prévus, un ou deux ont pu être réalisées, mais de manière très inefficiente. Même les routes construites par Ahidjo sont totalement dégradées, sans une sérieuse perspective de les remettre à niveau
La CAN prévue à grands tambours en 2019 a glissé en 2021 et il n’est pas sûr qu’elle soit organisée, quand on voit le caractère poussif des travaux, et surtout, cette guerre sanglante que des gens sans tête sont partis organiser au NOSO, à coups de provocation, de déni et de violence d’Etat gratuite.
Et ici encore, c’est l’échec d’un Gouvernement qui n’a pas su préserver la paix, seul argument qu’il avait pour justifier l’interminable longévité de Biya. Sa prétendue unité nationale s’exprime aujourd’hui par un tribalisme agressif nourrie de la féroce compétition des tribus sur les avantages publics, et qui peut basculer à tout moment dans l’épouvante et l’horreur des purifications tribales.
Sur le plan macroéconomique, le pays traine un déficit budgétaire permanent financé par les arriérés dans la plus pure tradition des flibustiers, une balance courante qui poursuit avec son déficit explosif, et une dette extérieure devenue incontrôlable. Le FMI est là et impose son dictat, sans qu’on sache quand il va repartir.
Sur le plan diplomatique, la crise anglophone a montré une action molle, bureaucratique et défectueuse. Une poignée d’activistes anglophones a réussi à mettre dans son camp les USA, la plus grande puissance du monde, ainsi que d’autres pays qui comptent. Notre pays est devenu l’objet de menaces de plus en précises, qui ne manqueront pas de s’abattre sur nous, en dépit des forfanteries.
Voilà des problèmes de fond de la vie de la Nation dont aurait dû s’occuper un Gouvernement compétent. Au lieu de ça, on a vraiment l‘impression d’un groupuscule de petits types, sans envergure et sans ambitions, dispersés dans la frime et le falbala et passant leur temps à rechercher des glorioles sur des choses totalement insignifiantes.
Tenez! Le Président, dans sa « magnanimité », a engagé le recrutement de 2000 enseignants de l’Université. Mais bon Dieu ! Que représente une telle action dans un pays de 25 Millions d’habitants ? D’ailleurs, c’est plutôt la preuve que le pays ne marche pas ! Le recrutement doit se faire chaque jour au fil des besoins. On n’a pas besoin d’attendre des années pour accumuler des besoins, puis un beau jour, d’annoncer qu’on en recrute quelques-uns tout assimilant cela à un anthologique exploit !
Et du reste, est-ce vraiment là la fonction d’un Ministre de l’Enseignement supérieur ? Ses missions sont ailleurs, là où précisément, on ne le trouve jamais ! Jadis on nous avait dit que système LMD allait professionnaliser les formations. Elles ont été professionnalisées ? Le chômage des étudiants de l’Université a été réduit ? Et les primes de recherche que ces gens réclament chaque jour, ils ont trouvé quoi ? On ne les voit jamais dans les grandes problématiques de la Nation ! L’Université camerounaise a été réduite à une machine qui ne fait que produire des gens sans la moindre utilité, à leur tour recrutés pour produire d’autres générations de gens sans utilité, dans une spirale sans fin !
Et il n‘y a pas que là-bas que les Ministres en sont réduits à des glorioles. Naguère on a vu le Gouvernement se vanter de régler les arriérés des hommes d’affaires, comme s’il était normal qu’un pays ait des arriérés ! Si un Etat lui-même n’est pas capable de respecter ses engagements, il va donc demander à qui de les respecter ? Tenez ! La petite monnaie manque, ce qui entrave les échanges, et le secteur financier est opaque. Que fait le Ministre de tutelle ? Il s’occupe à assainir le solde, l’activité normale et quotidienne d‘un simple Directeur dans les pays qui marchent ! Et évidemment, il attend qu’on lui dresse des lauriers pour un résultat aussi dérisoire !
On a vu même vu le Gouvernements du Cameroun se féliciter d’avoir lancé un recrutement de 1000 instituteurs, face à 52.000 candidats tous titulaires du diplôme professionnel CAPIEMP et exerçant comme temporaire dans l’enseignement primaire ! D’ailleurs, ce n’est pas fini, puisqu’ils continuent à recruter toujours à partir de Yaoundé ! Ils n’ont rien d’autre à faire !
On n’en finirait pas si on se mettait à citer le niveau de petitesse où évolue notre Gouvernement, plombé dans de choses dérisoires pour obtenir quelques glorioles. Bien plus, tout ce qui devrait plutôt faire l’objet de honte d’un Gouvernement est valorisé par le nôtre comme des exploits !
Le budget du Cameroun est officiellement de 5.000 Milliards. Quand on exclut les salaires représentant 1.200 Milliards, les investissements représentant 1.500 Milliards, et le service de la dette représentant moins de 500 Milliards, combien reste-il ? 1.800 Milliards dont on ne sait à quoi ils servent, sinon alimenter un système fou !
On ne peut plus continuer dans cette lancée et il faut mettre immédiatement fin à ce modèle de gestion. Sans la moindre hésitation et sans murmure !
Le Cameroun doit avoir deux niveaux de gouvernance, un niveau central dédié aux activités stratégiques et les infrastructures majeures structurantes, en laissant les opérations aux Etats régionaux.
Il n’existe pas d’autre solution pour sortir notre Gouvernement de cette reptation dans le détail et l’accessoire. Il n’est pas du tout agréable de voir Ministre se pavaner devant les télévisions pour avoir nettoyé les déchets d’un microscopique tronçon de route, alors que l’évolution des villes échappe complètement à son contrôle ! Ou alors, d’examiner le comportement de tel ou tel médecin, alors que tout le système de santé va à vau-l’eau.
On a besoin au niveau Central des ingénieurs de la gouvernance qui structurent, organisent, orientent, anticipent, prospectent, et non des manœuvres noyés dans le détail.
Ce détail, les Etats Régionaux, les Cantons et les Communes peuvent le faire et largement mieux !
Et pour cela, une seule solution : diviser les 5.000 Milliards du budget en 2 parties, une moitié pour l’Etat central une autre moitié pour les Etats Régionaux. Chacun prend son argent dans les sacs Mbandjok et rentre chez lui !
Il faut arrêter de raisonner comme s’il y avait des peuples incapables au Cameroun qui ne peuvent construire leurs routes ou gérer une Université qu’avec un tuteur envahissant qui se mêle de tout !
En refusant toutes réformes tout en faisant semblant de décentraliser, les dirigeants camerounais risquent gros. Car, jusqu’à présent, on les a toujours considérés comme des victimes d’un système mal formaté, au même titre que les autres Camerounais qui le subissent. Mais il arrivera bien un moment où la situation va basculer et ils seront alors considérés comme de véritables auteurs de l’effondrement du pays.
Dieudonné Essomba