Le 31 octobre 2019, le gouvernement américain avait émis l’intention de suspendre le Cameroun de l’Agoa. Un mois après, Tibor Naguy, Sous-Secrétaire d’Etat américain chargé des affaires de l’Afrique, revient sur la situation de l’armée camerounaise face aux séparatistes au Nord-Ouest et au Sud-Ouest depuis trois ans. Une sortie qui suscite une fois de plus l’analyse de Dieudonné Essomba.
Sur sa page Facebook ce 21 novembre 2019, l’économiste exprime son inquiétude au sujet de la position du pays de Donald Trump envers le Cameroun.
« Ce n’est pas bon quand une puissance comme les USA est contre toi ! Et quand les Américains insistent sur une affaire, cela signifie que les choses sérieuses peuvent commencer à tout moment. Car ce ne sont pas des bluffeurs ! Et peu leur importe la morale des autres : ils obéissent à leur morale à eux et non à celle de leurs victimes », a-t-il indiqué.
Pour lui, « D’autres espèrent que la France va les soutenir. Mais la France ne vaut même pas l’Etat de la Californie et elle ne fait pas le moindre poids devant les USA », souligne-t-il.
Lebledparle.com vous invite à parcourir cette chronique de Dieudonné Essomba.
Le prix de l’entêtement politique
La pression des Etats-Unis sur le Gouvernement du Cameroun devient de plus en plus intense. Un mois après la suspension du Cameroun de l’AGOA, ils reviennent en force, comme une terrible piqure de rappel.
Le Sous-Secrétaire d’Etat américain chargé des affaires de l’Afrique Tibor NAGY a expliqué que les gens qui entourent Biya et lui font miroiter une victoire militaire se trompent, car selon lui, il n’y aura aucune victoire militaire au Noso. Il a également demandé que le Gouvernement engage de véritables négociations avec les forces sécessionnistes en prenant notamment une solution qui satisfasse les modérés anglophones. Demandant qu’on transfère le pouvoir aux anglophones, il a implicitement menacé d’appuyer la Sécession, en rappelant que face à l’entêtement du régime, certains anglophones qui se sentaient d’authentiques Camerounais préfèrent désormais la séparation.
Ce monsieur qu’on a vu en compagnie des Sécessionnistes n’est pas à sa première sortie contre le régime de Biya. A la suite de la chute d’Omar Béchir du Soudan, il avait dit que le suivant sur la liste était Biya.
Ce n’est pas bon quand une puissance comme les USA est contre toi ! Et quand les Américains insistent sur une affaire, cela signifie que les choses sérieuses peuvent commencer à tout moment. Car ce ne sont pas des bluffeurs ! Et peu leur importe la morale des autres : ils obéissent à leur morale à eux et non à celle de leurs victimes. Et cette terrible morale, c’est le rapport de force, habillé de leurs « valeurs démocratiques ».
Ceux qui ont voulu jouer au petit malin avec ça l’ont senti dans leur chair : parmi les plus récents, Kadhafi avec une balle logée dans le crâne, Saddam Hussein pendu, et bien d’autres l’ont subi de la pire manière ! Le Sud Soudan et l’Erythrée sont devenus indépendants quand les USA l’ont décidé !
Et tout ceci, devant la Chine, la Russie et autres puissances sur lesquelles ils accrochaient leurs folles espérances ! Mais aussi devant les meutes de pseudo-patriotes qui poussaient leur Gouvernement à l’erreur, dénonçaient les vrais patriotes qui appelaient à la prudence et à la raison, plastronnaient sur les armes qu’ils vont prendre pour combattre les Américains, mais ont pris la jambe dans leur cou dès la première bombe, au moment même où on immolait les dirigeants qu’ils prétendaient soutenir ou qu’on partitionnait leur pays.
Depuis 1961, le Cameroun a toujours eu une saine attitude de prudence, évitant de se présenter comme un ennemi d’un pays étranger. C’était la bonne attitude, car un pot de terre évite soigneusement les terrains qu’écument les pots de fer.
Mais depuis le problème anglophone, nous avons changé de paradigme pour entrer en confrontation directe avec les puissances qui comptent.
Un problème interne que nous aurions pu résoudre en interne, avec un peu de modestie ! Mais poussés par des idéologues intégristes et des dirigeants obtus, nous avons dilapidé toutes les occasions qui se sont présentées pour faire la paix. Appliquant les techniques éculées d’un autre temps, nous avons cru pouvoir éviter les réformes nécessaires de notre propre Etat en imputant aux autres et notamment aux Américains la déstabilisation politique du Cameroun.
D’aucuns ont tenté une diversion en disant : « les Américains sont derrière les terroristes Ambazoniens ! »
Comme si c’était un argument !
Bien sûr que ce soutien est possible ! Il est même probable ! Mais quand vous avez dit ça, vous avez résolu quel problème ? Vous avez dissuadé les Américains de soutenir les Sécessionnistes ? D’ailleurs, si les Américains sont avec eux, cela signifie clairement qu’ils sont plus intelligents que le Gouvernement ! Notre Gouvernement n’a tout simplement aucune intelligence, car comment peut-on, dans un monde darwinien, se mettre à dos une puissance comme les USA ? Cela reflète un manque de jugement !
D’autres espèrent que la France va les soutenir. Mais la France ne vaut même pas l’Etat de la Californie et elle ne fait pas le moindre poids devant les USA. Certes, les USA ont toujours ménagé la France dans ses anciennes possessions coloniales et l’ont toujours laissée agir à sa guise. Mais justement, les Anglophones ne sont pas une ancienne colonie française ! Il n’y a donc aucune espérance que les USA laissent la France imposer ses solutions dans une colonie qui n’était pas la sienne ! Tout ce que peut faire la France, c’est laisser partir les Anglophones qui ne font pas partie de son ancien empire colonial, et rester imposer son ordre sur le Cameroun francophone !
Depuis 3 ans, nous avons dit et redit que le Cameroun n’avait pas les moyens politiques, économiques, financiers et diplomatiques pour venir militairement à bout de la Sécession anglophone. Et nous avons recommandé avec insistance de proclamer la Fédération, seul moyen d’enlever à la Sécession le très puissant argument sur lequel ils s’appuient pour légitimer leur action : « ils sont venus aux Francophones sur la base d’un Etat fédéral. Cette fédération a été supprimée de façon dolosive. Ils ne veulent plus de l’Etat unitaire ! Le Gouvernement ayant refusé de rentrer à la Fédération, ils ont pris les armes ! »
Libellées sous cette forme, il est impossible au Gouvernement de faire valoir sa thèse aux yeux des puissances du monde. En effet, dans un environnement où les pays les plus stables et les plus puissants sont justement des pays fédéraux, à qui peut-il faire accepter sa thèse de l’Etat unitaire qui assurerait mieux l’unité nationale ? Les gens qu’ils tentent de convaincre sont justement les témoignages vivants de la puissance et de l’unité d’un Etat fédéral ! Il va donc convaincre qui avec son Etat unitaire ?
En second lieu, dans le monde actuel, toute suppression d’autonomie d’un peuple apparaît comme une violation des droits des peuples à se gérer eux-mêmes, et surtout, l’indicateur majeur des régimes répressifs et dictatoriaux. On ne voit donc pas très bien comment le Gouvernement du Cameroun peut passer pour un pays de droit de l’Homme et de liberté quand il tente d’empêcher le débat sur le fédéralisme et affirme que la forme de l’Etat n’est pas négociable !
Ce phénomène s’aggrave avec la nature du régime en cours au Cameroun. Pour des raisons légitimes ou non, le pouvoir de Biya a déjà mis 37 ans avec un Chef d’Etat âgé officiellement de 86 ans. Ce n’est pas ce genre de régime que les pays Occidentaux écoutent avec aménité. Spontanément, avec de mauvais à priori, ils sont très mal disposés à écouter les arguments de tels régimes, aussi fondés soient-ils.
C’est dire que le Gouvernement a mal géré cette affaire. La suppression de la Fédération fut une faute, et même si on peut supputer que c’était pour de bonnes raisons, cela ne suffit pas à justifier la faute, car, comme on dit, l’enfer est pavé de bonnes intentions. L’intelligence aurait commandé de revenir à une Fédération rénovée, de manière à présenter l’épisode de l’Etat unitaire comme un passage transitoire entre la vieille fédération basée sur des référents coloniaux à une nouvelle fédération basée sur des référents culturels locaux.
Le problème anglophone était résolu de manière définitive, et simultanément, le problème plus général de la diversité camerounaise qui entretient une tension intercommunautaire de plus en plus explosive.
Mais au lieu de suivre cette solution l‘intelligente, le régime s’est arc-bouté dans des postures idéologiques et un patriotisme puéril qui n’ont fait qu’aggraver la situation. Refusant de prendre la vraie mesure du problème anglophone, symptôme de l’échec radical de son Etat unitaire et ses unités nationales décrétées, il a passé son temps à louvoyer, en croyant gagner du temps. D’abord, en niant le problème à coups de discours dans les médias officiels, avec une insolence qui frisait la provocation ! Ensuite, en tentant d’empêcher le débat sur le fédéralisme !
Tant qu’ils croyaient aux armes, il n’était même pas imaginable qu’ils puissent accepter la moindre concession. Mais cette concession, cette reconnaissance du problème anglophone, ils ont fini par la faire, sous la pression des armes amazoniennes qu’ils espéraient naïvement réduire en une semaine avec une escouade de gendarmes, ainsi que de la communauté internationale.
Mais le pire est devant ! Le fameux Grand Dialogue National sur lequel on a fondé toutes les espérances a accouché d’une souris. Les Sécessionnistes en ont rejeté les résolutions et poursuivent leurs attaques sanglantes de manière plus acharnée. Plus que jamais, Rentrées Mortes et Villes Mortes restent de rigueur. Et même à l’étranger, ce Dialogue n’a eu aucun écho favorable auprès des puissances qui comptent, et qui réclament de poursuivre le dialogue initié par la Suisse, où participent les Sécessionnistes qui bénéficient d’ailleurs d’une grande sympathie pour leur cause.
En réalité, le Cameroun va à une Confédération à deux Etats, et il n’existe presque plus rien qui puisse empêcher cette terrible évolution. Une Confédération dans laquelle le Président confédéral n‘aura pratiquement aucun pouvoir dans la Zone anglophone, avec une armée qui sera partagée en deux, un budget en deux, le pétrole qui soutient à 40% les recettes extérieures et à 25% le budget de l’Etat par 2.
C’est aussi cela le prix de l’entêtement. Le régime de Biya a fait 37 ans, et comme tous les régimes qui ont trop duré, il a perdu tout sens de la prudence et a fini par croire qu’il pourra échapper à toutes les adversités à coups de ruse, de pourrissement et de petits pas.
Il est possible que le problème anglophone soit la fin. Et qu’à force de s’arc-bouter dans leur logique, ils finissent par perdre le pouvoir, la liberté et même la vie.
Dieudonné ESSOMBA