L’un des sujets qui alimentent les débats depuis les années est la forme de l’Etat au Cameroun qui pourtant restera « un et indivisible ». Comme pour trancher le débat, Dieudonné Essomba analyse les contours du fédéralisme ethnique et territorial au centre des préoccupations.
C ‘est sur sa page Facebook ce dimanche 15 septembre 2019 que le spécialiste Dieudonné Essomba se prononce sur la question de fédéralisme.
Partant du postulat selon lequel « Un certain nombre d’individus véhiculent la peur que le modèle fédéral camerounais ne soit du type ethnique, ce qui, pour eux, signifie que les Etats éventuels ne doivent pas recouper les Communautés », le statisticien pense que « C’est une définition erronée du fédéralisme ethnique ».
Bien au contraire « la structuration d’un pays en circonscriptions administratives obéit toujours à une logique sociologique », a signifié l’économiste.
Pour plus de ressources à la problématique abordée, Lebledparle.com vous propose ce point de vue de Dieudonné Essomba.
FEDERALISME ETHNIQUE ET FEDERALISME TERRITORIAL
Depuis que le débat sur le fédéralisme a pris de l’ampleur, un certain nombre d’individus véhiculent la peur que le modèle fédéral camerounais ne soit du type ethnique, ce qui, pour eux, signifie que les Etats éventuels ne doivent pas recouper les Communautés.
C’est une définition erronée du fédéralisme ethnique. En effet, quel que soit le pays, quelle que soit l’époque, la structuration d’un pays en circonscriptions administratives obéit toujours à une logique sociologique. Cette partition dessine toujours des proximités communautaires : qu’on soit en Russie, qu’on soit en Chine, en France, en Espagne, aux USA, dès qu’on parle d’une Région administrative (Etat, Province, etc.), on voit toujours une homogénéité humaine de cette Région en contraste avec les autres. Une circonscription n’est pas définie par les fleuves ou les lieux cardinaux, mais par les hommes qui y habitent et qui gardent une certaine spécificité par rapport aux autres.
Ce principe fondamental est d’ordre anthropologique et ne peut jamais changer, quelle que soit la forme de l’Etat. On ne voit donc pas très bien comment on peut avoir des Etats au Cameroun qui ne respectent pas cette règle. Par exemple, on ne va pas mélanger le NDE Bamiléké à la LEKE Beti, au motif des unités nationales, pendant qu’on ramène le NYONG-ET-MFUMU au Littoral !
Non, ce n’est pas comme cela que ça marche ! Que ce soit dans un pays fédéral ou dans un pays unitaire, on regroupe toujours les gens qui se ressemblent : les éléphants avec les éléphants, les panthères avec les panthères, les tortues avec les tortues. C’est le principe fondamental de l’organisation des communautés humaines.
D’ailleurs, c’est cela que faisaient les colons quand ils divisaient le Cameroun, et c’est ce qu’on fait les deux Premiers Présidents au Cameroun : quand on veut créer une Région, on se demande qui peut aller avec qui. Et il en est de même pour les départements et les arrondissements. On ne trace pas ces circonscriptions sur la table, au crayon !
C’est cela qui explique que dans un pays, les circonscriptions aient d’importantes différences de taille et de population.
La définition des Etats sur la base des proximités sociologiques ne peut pas donc pas, sous quelque forme que ce soit, s’assimiler au fédéralisme communautaire.
Celui-ci apparait dans la notion de citoyenneté interne. Il faut en effet rappeler que les Etats fédérés sont des Etats qui ont des citoyens qui leur doivent loyauté. Même faisant partie d’un même pays, ils ont quelquefois des intérêts divergents, et entretiennent des compétitions multiples sur les dotations budgétaires, les investissements ou le capital humain. Ils ont besoin de gens qui les aident à maintenir et promouvoir sa culture. Chacun élabore donc ses stratégies à cet effet et ne peut accepter des traitres qui vont l’entraver au profit d’autres Etats concurrents.
Les citoyens d’un Etat ont des droits dans cet Etat que les autres membres n’ont pas. Certes, la Fédération garantit les droits fédéraux à tout le monde sur le territoire national : tout Camerounais a le droit de s’installer là où il veut, de mener l’activité de son choix, et d’avoir des propriétés et personne ne peut l’exproprier.
Mais à côté de ces droits fédéraux ouverts à tout le monde, les citoyens de l’Etat ont d’autres droits politiques exclus aux autres : le droit de travailler dans la Fonction Publique, le droit d’être Maire, le droit de bénéficier des bourses ou des subventions, etc.
Prenons l’exemple suivant : l’Adamaoua, dans le cadre de ses politiques, constatent que ses enfants ne suivent pas des formations en médecine. D’une part, les quelques places qu’ils peuvent avoir dans le concours fédéral sont trop insuffisantes, et le coût dans les Universités privées est de 1.500.000 FCFA par an, ce qui est hors de portée des familles.
Pour résoudre ce problème et avoir ses médecins, il crée une bourse pour 50 étudiants.
La question est la suivante : Qui peut prétendre à cette bourse ?
Evidemment, ce sont ses citoyens !
Mais qui sont ses citoyens ? C’est là-dessus qu’interviennent les différences entre les fédéralismes.
-dans le FEDERALISME COMMUNAUTAIRE, ses citoyens sont exclusivement les autochtones, qu’ils habitant dans l’Etat ou qu’ils soient ailleurs. Si vous n’êtes pas autochtones, vous ne pouvez pas être citoyens de l’Adamaoua, même si vous y résidez pendant 1000 ans ! A contrario, si vous êtes citoyens de l’Adamaoua, vous le resterez à jamais même si vous êtes installés au Sud pendant 1000 ans.
C’est le cas en Ethiopie où la fédération est ethnolinguistique, mais aussi dans tous les fédéralismes primitifs.
-dans le FEDERALISME TERRITORIAL, les citoyens sont des résidents de longue date de l’Adamaoua, indépendamment de leur origine. Ici, la résidence prime sur l’origine. N’importe qui peut donc devenir citoyen de l’Adamaoua, dès lors qu’il y réside, et inversement, un autochtone de l’Adamaoua qui réside ailleurs perd sa citoyenneté au profit de son Etat de résidence.
Les fédérations de territoire sont surtout le fait des anciennes colonies de peuplement : USA, Canada, Brésil, Australie, ce qui est très logique du fait qu’aucune communauté ethnique ne peut revendiquer de manière spécifique un territoire.
Dans tous les autres cas, les deux modèles sont toujours mixés à des proportions diverses : on est citoyen d’un Etat, soit parce qu’on y est d’origine autochtone, soit parce qu’on aura accompli certaines conditions de résidence (comme la durée minimale). Au Nigeria par exemple, on peut changer la citoyenneté si on a fait 10 ans dans un Etat.
L’enjeu dans un éventuel modèle fédéral au Cameroun, c’est le niveau de mixage qui est largement tributaire de la sociologie. On ne peut pas décréter le fédéralisme territorial, en raison des attaches que chaque Camerounais a par rapport à sa localité. On n’imagine évidemment pas que dans un concours de l’Etat de l’Adamaoua, on puisse exclure un Djibril, une Aïcha ou un Ali dont les parents sont des autochtones, au motif que ceux-ci résident à Yaoundé, et accepter un Essomba, un Ndjock ou un Kamdem au motif que leurs parents résident à Ngaoundéré !
Contrairement à ce que certains pensent, des mesures aussi antagoniques à notre sociologie locale n’auraient pas pour effet l’intégration nationale, mais une violente xénophobie, car les autochtones accuseraient les allogènes de venir voler leur Etat alors qu’ils ont le leur !
Avec pour conséquence la chasse aux « étrangers » !
Dieudonné ESSOMBA