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Eau potable: « L’ultimatum fantaisiste du Minee à Camwater »

eau potable

Le lundi 5 septembre 2022, le ministre en charge de l’eau et de l’énergie a demandé à Camwater de prendre sous huitaine toutes les mesures qui s’imposent en vue de garantir le niveau de production de la station d’Akomnyada. Un ultimatum qui n’a pas de sens au vue des défis énormes auxquels est confronté le secteur au Cameroun estime Louis-Marie Kakdeu, membre du Shadow cabinet du SDF au ministère de l’Économie, Finances & Commerce.

Il faut rappeler que la station d’Akomnyada est un vrai scandale technique et un gouffre financier pour l’État du Cameroun. Elle avait été construite en 1985 pour une capacité de 100 000 m3 et a déjà été rénovée par deux fois pour atteindre les 300 000 m3 d’eau nécessaires à l’approvisionnement des villes de Yaoundé et Mbalmayo. Mais, force est de constater qu’après avoir englouti des dizaines de milliards, sa capacité de production réelle n’excède pas les 130 000 m3, ce qui est largement insuffisant pour couvrir la demande de la capitale. Le problème est qu’à l’heure de la reddition des comptes, le ministre semble faire porter le chapeau à Camwater, ce qui est une posture de mauvaise foi.

  1. Des infrastructures mal conçues et mal réalisées. Comme toujours et snobant le savoir-faire local, le gouvernement camerounais avait fait le choix en 2009 d’importer l’expertise pour rénover la station d’Akomnyada supposée être livrée en 2013. En 2022, on attend toujours. Il s’agissait des sociétés General Electric et Environmental and Chemical Corporation qui n’avaient pas rendu satisfaction.

La station d’Akomnyada peine à porter des fruits

L’ingénierie locale semble aujourd’hui bouder ce travail mal conçu et mal réalisé dès le départ et dont la maîtrise d’œuvre aurait pu bénéficier du savoir-faire endogène et créer localement des richesses. « C’est quand ça foire que l’on nous appelle », semblent dire les ingénieurs camerounais.

  1. Ce n’est pas en 8 jours que l’on changera les équipements de pompage vétustes et démodés. Ce n’est non plus pas en 8 jours que l’on trouvera les ressources nécessaires. Ce n’est pas surtout en 8 jours que l’on mettra fin aux délestages d’Eneo dont une seule heure de coupure électrique est de nature à créer jusqu’à 9000 m3 de déficit journalier. L’on voit donc que le ministre s’est rendu à Akomnyada pour faire son show et se moquer des Camerounais au moment où il faut creuser le problème et y apporter des solutions durables.

Autopsie des problèmes de pénurie d’eau potable au Cameroun

Restons donc sur les chiffres officiels et constatons ensemble que le gouvernement est encore très loin de l’objectif de 75% de couverture qu’il visait en 2015 dans le cadre de son engagement pour l’atteinte de l’OMD 7. Même rendu à nos jours, le gap est toujours de plus de 27%, ce qui se justifie par le fait que le gouvernement camerounais a pendant longtemps abandonné la question d’adduction d’eau aux ONGs et autres donateurs étrangers se contentant simplement de faire l’accompagnement. Pour résoudre durablement le problème d’eau potable au Cameroun, il faudrait affronter les questions liées à l’environnement institutionnel et à la mobilisation des ressources nécessaires :

  1. L’hypercentralisation de la production et de la distribution de l’eau est à bannir !

Décentraliser pour mieux produire et distribuer

Il n’y a aucune approche de solution possible au problème d’eau dans la centralisation. Le Cameroun dispose de près de 103 stations urbaines d’eau potable et de plus de 3000 stations et points d’eau ruraux mais, la gestion reste centralisée. Après la défunte SNEC, le gouvernement avait opté en 2005 pour une solution administrative en opérant la séparation de la construction des infrastructures (Cameroon Water Utilities Corporation, Camwater) de la production et de la commercialisation de l’eau potable (Camerounaise Des Eaux, CDE) sans apporter pour autant une solution à la question de financement et d’assainissement. Par conséquent, 11 ministères différents interviennent sans coordination dans les questions d’assainissement de l’eau, ce qui ne peut que créer la lourdeur administrative, le laxisme et la mauvaise gouvernance. Au niveau de la Camwater et de la CDE, la centralisation crée une espèce de monopole qui dessert la cause de la démocratisation de l’accès à l’eau au Cameroun. Au plan social, l’incapacité de ces sociétés centralisées à approvisionner l’ensemble du pays crée un problème grave d’inclusion. Il n’y a pas d’autre solution que de décentraliser la gestion de l’eau au Cameroun et de la placer sous la responsabilité des communes. Le problème est que la loi sur la décentralisation tarde à être appliquée or, la vérité est que l’État central ne peut pas être partout. Toujours au chapitre juridique, il est temps pour le pays de disposer d’un cadre juridique unique d’orientation stratégique des activités en matière de gestion de l’eau.

  1. Un aménagement territorial défaillant. En l’état, il est difficile de faire un schéma directeur de l’hydraulique en absence d’un plan directeur national, et de procéder aujourd’hui à une adéquation entre la demande et l’offre. Le troisième recensement général de la population et de l’habitat depuis l’indépendance en 1960 (et c’est quand même terrible) a eu lieu en novembre 2005, plus de 18 ans après le deuxième effectué en 1987. Depuis 17 ans, on attend toujours le quatrième recensement qui ne vient pas nous éclairer sur les besoins du pays. Pire, la dernière enquête de ménage (ECAM) date de 2015. Dans un tel contexte, il est difficile d’établir la planification. Il est à espérer que l’aboutissement du projet Sanaga (convention du 29 janvier 2015 entre le Cameroun et Eximbank-China de 400 milliards de FCFA) viendra réduire considérablement le déficit en eau à Yaoundé. Mais, quid du reste du pays ?
  2. Des investissements privés grandement nécessaires : Le nouveau cadre juridique devrait favoriser la libre concurrence dans la production et la distribution de l’eau potable au Cameroun. L’État et les communes ne peuvent pas trouver tous les moyens nécessaires à l’investissement concomitant sur l’ensemble du territoire national. Il est nécessaire que les investisseurs privés soient intéressés en vue d’assurer la construction de nouvelles stations de traitement des eaux, le renouvellement des équipements, des conduites, des branchements existants en vue de sécuriser l’alimentation en eau potable.
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Le taux de couverture nationale en eau potable est passé de 33% en 2010 à 45% seulement en 2021

  1. L’entretien fait défaut : Il n’est pas efficace d’assurer l’adduction d’eau sans programme d’entretien dont l’absence cause non seulement des problèmes de perte d’eau, mais aussi et surtout une situation sanitaire désastreuse. Le taux moyen de prévalence des maladies liées à l’eau et à l’assainissement est de 19%. Pire, la connexion au réseau n’est pas synonyme de l’arrivée régulière de l’eau potable dans les foyers. Il convient dans les réformes de prévoir la création d’un programme civique de suivi, de promotion d’hygiène et d’éducation à la santé.
  1. Des équipements vétustes qui causent des pertes substantielles d’eau en qualité et en quantité. En effet, beaucoup d’eau disparaît dans le circuit de distribution à cause des fuites. Pire, les pannes sont légion dans les unités vétustes de production. Par exemple, le complexe de Japoma dans la capitale économique Douala date de 1954. Au complexe de Massoumbou mis en service dans les années 1980, seuls 65 000 m3 étaient produits par jour sur les 115 000 m3 quotidiens escomptés à cause d’une fréquence de pannes des machines de l’ordre de deux fois par mois. La pénurie d’eau au Cameroun est due à un déficit d’investissements lourds dans les infrastructures depuis les années 1960. Depuis la mise sous administration provisoire le 2 mai 2002 de la défunte SNEC, la société cherche à procéder à son redressement en vain. Elle cherche à rattraper 30 ans de mauvaise gouvernance dans la production et la distribution de l’eau camerounaise. Or, cela doit passer par la rationalisation des dépenses, la sécurisation des recettes et l’amélioration des mécanismes de transparence autour de la gestion des portefeuilles afin d’assurer le respect des cahiers des charges. Ce n’est pas gagner avec la gestion actuelle !
  1. Un manque de dynamisme dans l’action commerciale. En 2019, le Cameroun ne comptait qu’environ 450 000 abonnés dans 105 centres commerciaux. Ces chiffres ne changent pas beaucoup d’années en années, ce qui montre l’existence d’un service commercial passif. Pire, le service après-vente n’est pas fonctionnel. On observe un manque de réactivité des interventions sur le terrain, engendrant des pertes énormes dans le circuit de distribution. Ces pertes s’accumulent aussi dans les impayés. Par exemple, au 30 juin 2022, l’entreprise réclamait 10,3 milliards de FCFA à l’État pour factures impayées. Il convient d’intensifier les campagnes de branchement des particuliers en vue d’augmenter le nombre d’abonnés et d’assurer la rationalisation de la distribution de l’eau selon un planning alternatif connu. Cela permettrait aussi de garantir un minimum d’approvisionnement à tous. Il convient surtout de renforcer le service après-vente afin de limiter les pertes d’eau au niveau des tuyaux défectueux du réseau. Il convient enfin de renforcer le service de recouvrement en vue d’amortir les problèmes de trésorerie de l’entreprise.
  1. Sur le plan de la gestion des ressources humaines, le personnel est démotivé et non recyclé. Il n’y avait plus de prime de productivité, les avancements et reclassements étaient gelés. Cette situation regrettable conduisait à des pertes en efficacité et à la montée de mouvements d’humeur gangrenant le fonctionnement de l’entreprise. La situation n’a pas beaucoup changé. Il convient non seulement d’assurer le paiement de ces arriérés, mais aussi et surtout d’assurer le recyclage du personnel.
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Dans les faits, de profondes réformes institutionnelles, juridiques et politiques sont nécessaires pour garantir un élargissement durable de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en conformité avec les normes environnementales et sociales. La responsabilité de l’État est de mettre sur pied des politiques inclusives et incitatives pour encourager les initiatives privées allant dans le sens de la multiplication des constructions de forages et autres châteaux de moindre envergure pouvant permettre de juguler les déficits au niveau local et ce, dans l’ensemble du pays.

Par Louis-Marie Kakdeu, membre du Shadow cabinet du SDF au ministère de l’Économie, Finances & Commerce


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